La chute d'une « oligarquette » à Courchevel

Cette dernière accuse leur propriétaire, Janna Bullock, une Russo-Américaine de 47 ans, d’avoir blanchi de l’argent sale......

La chute d’une « oligarquette » à Courchevel

 

C’est l’un des joyaux hôteliers de Courchevel, la très chic station de ski savoyarde, prisée par la ­jet-set russe. Au pied d’un domaine skiable de plus de 600 kilomètres, l’Alpes Hôtel Pralong est un 5-étoiles avec piscine où les suites et les ­appartements se louent entre 1 500 et 2 500 euros la nuit.

La chute d'une « oligarquette » à Courchevel

« Ici, chaleur et convivialité riment avec luxe et raffinement, vante la plaquette publicitaire. Seul ­l’ostentatoire n’a pas droit de cité. » Selon nos ­informations, cet ­établissement de luxe ainsi que le Crystal 2000, un hôtel 3-étoiles situé non loin, ont été saisis début ­janvier à la demande de la justice russe.

Cette dernière accuse leur propriétaire, Janna Bullock, une Russo-Américaine de 47 ans, d’avoir blanchi de l’argent sale lors de l’achat de ces deux bâtiments estimés à 102 millions d’euros. La ­transaction remonte à 2007. Mariée à Alexeï Kouznetsov, ancien ministre des finances de la région de Moscou, Janna Bullock s’est lancée dans l’­immobilier et a investi à tour de bras dans des centres ­commerciaux, des immeubles de bureaux et des appartements, principalement en Russie, mais aussi aux Etats-Unis et en Grande-­Bretagne.

« AIMABLE MAIS DURE EN AFFAIRES »
A la tête du RI Group, elle cherche également à s’implanter à Courchevel où les nouveaux riches de Russie dépensent sans compter. Elle met la main sur deux établissements construits dans les années 1970 par Albert Parveaux, l’un des pionniers de la station : le Pralong, un 4-étoiles « luxe » de la chaîne Relais & Châteaux, et le Crystal 2000. « C’est une femme aimable mais dure en affaires qui sait compter, confie l’intéressé. Dans la transaction, il y avait aussi un beau château-hôtel en ­Dordogne, qu’elle a vite revendu car la campagne, ce n’était pas son truc. »

Pour fêter son arrivée fracassante sur la neige savoyarde, Janna Bullock donne, en janvier 2008, une grande soirée au Chalet des pierres, un restaurant chic de la station. Les invités, blottis sous des couvertures en fourrure, y sont acheminés dans des calèches conduites par des cochers en habit de cosaque. Et peuvent admirer une immense sculpture en glace ornée de l’inscription « S-Club 5 flames of Pralong ».

La femme d’affaires russo-américaine est heureuse d’annoncer le nouveau nom de son hôtel, le S-Club Pralong, qui ambitionne de décrocher une cinquième étoile. Pour l’agrandir et le décorer, elle a fait appel à l’architecte italien Giancarlo Alhadeff. Son confrère américain, Ieoh Ming Pei, le célèbre architecte de la pyramide du Louvre, est, lui, pressenti pour moderniser le futur Crystal Palace.

Janna Bullock voit grand. Ces deux établissements sont les premiers d’une nouvelle chaîne de trente hôtels de luxe dénommée S-Club. Les gazettes économiques russes évoquent alors un investissement de 700 millions de dollars (612 millions d’euros). Membre du conseil d’administration de la Fondation Guggenheim à New York, où elle réside, l’ancienne ­traductrice née en Biélorussie, débarquée à Brooklyn dans les années 1980, est ­devenue une « oligarquette », selon le titre du magazine Time. Suivie par la presse people, elle se pose sur son site jannabullock.com en grande prêtresse du design ­d’intérieur.

Mais la success story tourne court en 2008. Alexeï Kouznetsov, son influent époux, est accusé par les autorités de son pays d’avoir empoché 400 millions d’euros depuis trois ans grâce à des prêts consentis à des collectivités locales qu’il aurait détournés à son profit. En juillet 2008, l’oligarque se réfugie alors en France, à Gassin, près de Saint-Tropez (Var), où il est interpellé cinq ans plus tard. Incarcéré à Lyon, il tente par tous les moyens de s’opposer à son extradition demandée par la Russie. « Il constituait une menace politique car il n’est pas monté en puissance dans la roue de Poutine, plaide son avocat Me Pierre-Olivier Sur, le bâtonnier du barreau de Paris. Il a été éradiqué de ­l’échiquier politique et économique par une justice totalement instrumentalisée. »

Affirmant être victime des fraudes d’Alexeï ­Kouznetsov (dont Janna Bullock est aujourd’hui divorcée), la Gazprombank, filiale du groupe gazier public, tente alors de récupérer un maximum d’argent ­dissimulé par le couple dans des paradis fiscaux. La banque, qui réclame 18,5 millions d’euros à Janna ­Bullock, a réussi à faire geler ses avoirs par un tribunal de Chypre où est ­immatriculée l’une de ses sociétés.

Mariée en 2013, pour la ­quatrième fois, avec un critique d’art américain, la ­quadragénaire doit aussi faire face au ­blocage judiciaire de la vente de son appartement londonien estimé à 27 millions d’euros. Lors de ses rares interviews, Janna Bullock se dit victime d’un clan rival, aux ordres de ­Vladimir ­Poutine, qui a mis la main sur son groupe en Russie. Aux abois, elle est aussi poursuivie par ses créanciers. Giancarlo Alhadeff, ­l’architecte en charge de l’aménagement de l’Alpes Hôtel Pralong mais aussi de Tzarine, son yacht de 50 mètres d’une valeur de 20 millions ­d’euros, exige le paiement d’une facture de 1,6 million d’euros. Poussée vers la sortie de la Fondation ­Guggenheim, la femme d’affaires a été mise à la porte de son penthouse de Park Avenue à New York, en 2013, car elle était incapable d’honorer 35 000 euros de charges…

La saisie pénale immobilière de ses hôtels de ­Courchevel est un nouveau coup dur. Les grands ­projets d’expansion de l’Alpes Hôtel Pralong et du Crystal ont fait long feu. « Elle a oublié qu’elle n’était pas attendue et ses voisins ont freiné ses désirs ­d’expansion », glisse Albert Parveaux.

En 2011, elle a confié la location-gérance de son navire amiral au groupe Tournier, propriétaire d’hôtels, de restaurants et de discothèques à Courchevel et Saint-Tropez, et celle du Crystal à un tour-opérateur anglais. Ces deux ­établissements constituent en tous les cas des prises inédites pour la récente Agrasc (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués), chargée de leur mise en vente aux enchères. Ces lots de choix devraient aiguiser l’appétit de pas mal ­d’investisseurs dans les mois à venir.

Par Jean-Pierre Vergès

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