Les dessous de la chute du Groupe Flo

Une décision doit intervenir dans les prochains jours. Elle sera prise conjointement par les administrateurs ad hoc, les représentants des anciens actionnaires et les banques créancières sous le regard de Bercy.

Les dessous de la chute du Groupe Flo

Le groupe qui possède les restaurants Hippopotamus et Bistro Romain, criblé de dettes, se dirige vers un démantèlement, avec la vente dans les prochains jours d’une partie des ses actifs.

Les dessous de la chute du Groupe Flo

Le groupe Flo est en grande difficulté Hippopotamus ou La Taverne de Maitre Kanter font partie du groupe Flo. JEAN-PIERRE MULLER / AFP

Dernier rebondissement dans le long feuilleton des difficultés rencontrées par le Groupe Flo (Hippopotamus, Bistro Romain, Tablapizza, Taverne de Maitre Kanter…) actuellement placé sous mandat ad hoc : des acquéreurs potentiels se sont manifestés auprès de Rothschild & Co, la banque d’affaires chargée de dénicher de nouveaux propriétaires. Il s’agit du groupe Bertrand (Burger King, Quick, Frères Blanc, Angelina, Lipp) ainsi que du fonds d’investissement Butler Capital Partners, dirigé par Walter Butler. Ce dernier était déjà présent au capital du Groupe Flo entre 2002 à 2006. Concernant Walter Butler, ” il serait assez croustillant de voir revenir un actionnaire qui avait vendu sa participation à prix d’or (entre 350 et 380 millions d’euros) il y a dix ans à Albert Frère et aux fonds Tickehau et Ackerman et qui la rachèterait aujourd’hui pour 10% de la valeur de l’époque et sans aucun projet industriel “, s’indigne un proche du dossier.

Olivier Bertrand ne veut pas surpayer

L’autre offre, celle du groupe Bertrand a l’avantage d’être émise par un spécialiste reconnu de ce métier difficile, et qui a fait la preuve depuis cinq ans, de sa capacité à intégrer, redresser et développer des entreprises. Mais le très discret Oliver Bertrand qui vient d’absorber coup sur coup Quick et Frères Blanc est réputé, n’est pas généreux en capitaux et son offre de reprise, industriellement pertinente, sera la moins bien placée aux yeux des créanciers. En outre, le groupe Bertrand ne viserait que l’enseigne Hippopotamus (190 restaurants) et les concessions en gares et aéroports.

Une décision doit intervenir dans les prochains jours. Elle sera prise conjointement par les administrateurs ad hoc, les représentants des anciens actionnaires et les banques créancières sous le regard de Bercy.

Le groupe Flo affiche aujourd’hui une dette nette de plus de 90 millions d’euros, pour 266 millions d’euros de chiffre d’affaires et un déficit qui approche les 14 millions en 2016. Ses créanciers ont donné au groupe jusqu’au mois d’avril pour faire face à ses échéances. Les grandes brasseries parisiennes telles que la Coupole, Bofinger ou encore Le Vaudeville suscitent l’appétit des groupes familiaux spécialisés dans la restauration parisienne tels que Costes, mais le redressement de ces établissements ne sera pas facile, de l’aveu d’un de ces repreneurs potentiels car les coûts fixes (loyers et masse salariale) sont très élevés et car le climat social est explosif.

Les dessous de la chute du Groupe Flo

Comment en est-on arrivé là ?

C’est l’un des fleurons de la restauration française. Un groupe né d’une brasserie de la rue des Petites Ecuries baptisée Flo en mai 68 en souvenir sans doute d’une jolie étudiante en révolte. Bien avant de devenir le leader français de la restauration, la brasserie Flo, dirigée par un certain Jean-Paul Bucher, fils d’ouvrier alsacien, était le rendez-vous des artistes et des jeunes branchés. Très vite l’affaire est florissante avec ses 600 couverts par jour pour seulement 120 places. Le maître des lieux, véritable cuisinier, passé par les pianos de Lucas Carton n’a pas son pareil pour créer un décor et une ambiance qui attirent et fidélisent les clients. Au moment où la malbouffe, prête à réchauffer, commence à s’inviter aux menus de nombreux restaurants parisiens, Jean-Paul Bucher mise sur de bons petits plats traditionnels et un décor emprunté à l’Art Nouveau qui fait alors un tabac à une époque où personne n’avait encore eu l’idée d’utiliser ce style presque oublié.

Grâce au succès de Flo, Bucher peut racheter d’autres restaurants et constitue même un petit groupe en agrégeant des monuments de la gastronomie parisienne tels La Coupole (rachetée en 1988) et même la chaîne Hippopotamus en 1992. Précurseur, il décline la marque Bofinger en déployant des « Petit Bofinger » puis il récupère les Bistro Romain en 2000 avec leurs 25 établissements. Mais la proie est très grosse pour lui, et l’opération s’avère d’autant plus difficile à digérer qu’éclate peu après la première crise de la vache folle. Il évite de sombrer en ouvrant son capital au fonds d’investissement de Walter Butler.

Le financier parisien apporte de l’argent frais et son expérience dans l’accompagnement d’entreprises en phase critique de croissance mais cela ne suffit pas. Un tel groupe qui partage ses activités entre la restauration à thème et la restauration traditionnelle ne peut se permettre de négliger les investissements dans la communication, pour soutenir ses marques à vocation nationale, et dans le maintien d’un haut niveau de qualité de ses produits et de son service. Des nécessités qui ne font partie des priorités des investisseurs financiers, plus sensibles au redressement des comptes et au retour sur investissement rapide.

Un tel hiatus ne va pas s’améliorer lorsque le fondateur Jean-Paul Bucher se retire du capital en 2006, en vendant ses parts à un consortium d’investisseurs composé notamment de la Compagnie nationale à portefeuille d’Albert Frère.

Promesse haut de gamme mais prix accessibles

Au fil des ans, les marques pas assez soutenues par la publicité et qui n’ont pas su s’adapter aux nouvelles modes alimentaires, perdent du terrain. Bistro Romain échoue dans son grand écart entre une offre qui se veut haut de gamme et des prix attractifs. Le contenu de l’assiette, réalisé en cuisines centrales s’en ressent. Les nombreuses crises sanitaires qui ponctuent les années 2000 et 2010 (vache folle, épizooties, lasagnes…) créent une défiance durable des consommateurs. Autre phénomène funeste, en période de crise économique et de chômage de masse, les Français se privent de sorties au restaurant, ou en diminuent drastiquement le budget, mais ne diminuent en rien leurs dépenses électroniques et de communication.

Autre faiblesse stratégique, le nerf de la guerre, le personnel souriant et qualifié est une denrée rare. Les jeunes générations rechignent à entrer dans le métier du service en salles, réputé stressant et physiquement éprouvant en raison des horaires décalés et des conditions de travail. Et malgré les efforts déployés pour s’attirer les faveurs des apprentis dans ses métiers, le groupe Flo comme la plupart de ses concurrents a toujours peiné à avoir une main d’œuvre efficace, capable d’offrir un niveau de service à la hauteur des tarifs pratiqués dans ses grandes brasseries parisiennes notamment. D’autant que le modèle économique de ce groupe détenu par des fonds d’investissement ne privilégie pas une politique salariale généreuse.

Bien entendu ces graves évolutions touchent l’ensemble du secteur. Faute de pouvoir investir partout à la fois, le Groupe Flo fait quasiment disparaitre Bistro Romain et revend les emplacements. Dans le même temps, le concurrent Les Frères Blanc, se sépare de son enseigne Chez Clément, aujourd’hui disparue. Seuls les groupes détenus et dirigés par des entrepreneurs familiaux comme les Costes, Olivier Bertrand, et les dynasties auvergnates de Paris telles les Jomaitre chanter maitre ulie et les Dorr, réussissent à prospérer depuis les années 2000 dans cette ambiance pourtant mortifère pour la restauration française.

Challenge

Partgagez

Plus d'articles

Ecrivez-nous