Marque employeur, le marketing du recrutement

Elle est de toutes les conversations, prétexte à des forums dans la sphère du recrutement et des ressources humaines. Des agences en font leur spécialité.

Marque employeur, le marketing du recrutement

 

L’amélioration de la réputation de leur entreprise pour attirer des jeunes talents de plus en plus exigeants : une mission à la croisée des chemins mais aux enjeux clés pour les DRH

 


Marque employeur, le marketing du recrutement

Elle est de toutes les conversations, prétexte à des forums dans la sphère du recrutement et des ressources humaines. Des agences en font leur spécialité. La “marque employeur” s’impose comme un élément clés de la stratégie de séduction des DRH. Tant les enjeux – attirer les plus brillants candidats – sont devenus cruciaux dans cette fameuse guerre des talents. Les groupes du CAC 40 en ont fait leur arme de séduction essentielle, quand les petites et moyennes entreprises la découvrent progressivement.

Ce nouveau concept à coloration marketing gagne du terrain dans tous les secteurs. Pourquoi un tel engouement ? En dépit d’un contexte économique dégradé, les entreprises sont confrontées à des difficultés de recrutement et voient en la marque employeur une vraie martingale pour réussir à recruter voire fidéliser leurs salariés.

“La marque employeur n’a jamais été tant d’actualité, souligne Didier Pitelet, aux commandes de l’agence Moon’s Factory, et qui a introduit et déposé en France, en 1997, cette notion apparue outre-Manche quelques mois plus tôt. Après l’hyper-financiarisation des sociétés et la gestion à court terme, la marque employeur revient à considérer la culture d’entreprise comme levier de la performance, explique-t-il, et ce sur le long terme. Une entreprise a une histoire et des valeurs à partager. C’est sur ces éléments qu’il faut aujourd’hui communiquer.”

La parade aux recrutements ratés
Dans un contexte difficile, la problématique posée aux DRH n’est pas tant de recruter, mais surtout de s’adjoindre les compétences des meilleurs. “Aucune entreprise ne fait le calcul, regrette Éric Le Touzé, directeur exécutif chez Experis Executive France, filiale de Manpower, mais un recrutement raté coûte cher. Entre les salaires, la productivité dégradée, les indemnités de licenciement, les erreurs commises ou les opportunités manquées, la note est salée.” Une étude américaine de 2012 du groupe Manpower tablait – à l’euro près ! – sur un coût de 638 573 euros. Ce chiffre paraît très élevé. Selon Gwenaëlle Quénaon-Hervé, directrice générale adjointe du site Regionsjob, la fourchette à retenir serait plutôt entre 40 000 euros et 100 000 euros. D’où cette idée de sécuriser le recrutement.

Tel est l’enjeu de la marque employeur : parler sans langue de bois, en toute transparence, contraintes et forcées par le développement d’Internet qui aiguise et satisfait les curiosités. Jusqu’à faire des candidats des sur-informés. “Les jeunes peuvent aller plus loin sur Linkedin ou Viadeo, constate Marion Dépont, responsable du pôle employabilité et relations recruteurs de Kedge Business School. La promesse faite doit correspondre à la réalité du terrain.” D’après Audrey Charbonnier, enseignante-chercheur à l’Inseec Business school, “cette étape est difficile à négocier, car les services de ressources humaines n’ont pas pour habitude de communiquer.”

Enjeux : attirer les meilleurs diplômés
La génération Y ? Le sujet tourne à l’obsession pour les grandes entreprises. La généralisation des postes de campus manager – hier baptisé “responsables des relations écoles” – en est la traduction première. Car les besoins en jeunes talents sont patents dans les grandes entreprises de tous secteurs. Mazars y repère par exemple ses hauts dirigeants de demain. “Dans un système pyramidal, ces postes de l’audit ou la comptabilité confiés à de jeunes diplômés permettent d’asseoir les bases techniques et méthodologiques, explique Martin Huerre, directeur des ressources humaines France de Mazars, indispensables pour progressivement muscler leur jeu et accéder à l’encadrement d’équipes.” Pas moins de 600 recrutements sont ainsi programmés en 2015 au sein de ce cabinet d’audit français, les trois-quarts concernent des jeunes diplômés, un peu moins intéressés a priori. “Les métiers subissent des modes, et l’audit est moins strass qu’il y a 20 ans.”

Autre secteur, même pratique et même appétit des jeunes talents : “On va les chercher, on ne les attend plus”, explique d’emblée Caroline Flandrin, en charge de la marque employeur à l’international de L’Oréal. “Google est venu bousculer la marque employeur. Aussi, depuis deux ans, on a repensé notre EVP (Entrepreneurial Value Propose) pour mieux expliquer qui on est.” Le message ? Une aventure fascinante, une culture d’excellence. L’Oréal ne veut plus être uniquement perçu comme le temple du marketing. “30 % de nos salariés sont des industriels, 40 % des commerciaux… et 8 % des marketeurs. Nous sommes une entreprise innovante, avec 45 usines.” Le changement se fait clairement en direction des ingénieurs…

Pour les recruteurs de Nestlé aussi, les jeunes – en particulier s’ils sont ingénieurs – constituent la première cible. Leurs prévisions ? 1 800 recrutements de 2014 à 2018. Soit la moitié des recrutements de cadres. Le management s’appuie sur une véritable stratégie de marque employeur pour atteindre ces ambitieux objectifs. Elle passe d’abord par une politique d’information des plus détaillée.

Approche directe, détaillée et de plus en plus précoce
Quel effort en matière de formation ? Quelles opportunités à l’international ? Quelle évolution au bout de trois à cinq ans ? Quelle place faite à l’autonomie ? Quelles responsabilités accordées ? À quelle vitesse ? Autant de points à ne pas négliger d’entrée de jeu – le mieux étant de les aborder dans le texte de l’offre d’emploi, premier point de contact. “Les candidats se considèrent comme un produit, explique Franck La Pinta, responsable marketing “marque employeur” de la Société Générale, rattaché à la DRH du groupe. Ils cherchent à optimiser leur propre valeur, leur curriculum vitae. Aux entreprises de développer une argumentation qui va au-delà du descriptif du poste.”

“Les entreprises doivent avoir conscience que les ressorts diffèrent selon la génération visée, explique Nicole Prud’homme, directrice Talent management chez Hudson, au lendemain de la parution de l’enquête “Choc des générations”. Les jeunes nés entre 1980 et 1994 sont plus sensibles à l’engagement sociétal de l’entreprise, à la quête de sens, que leurs aînés – la génération X –. Le poids du sentiment d’appartenance est prégnant.” Si les applications iPhone ou les tactiques 2.0 se multiplient, “les étudiants recherchent avant tout du concret, observe David Izoard, directeur des relations avec les entreprises de Skema Business School, ils veulent aller au contact d’opérationnels pour, justement, contrebalancer l’effet massif des réseaux sociaux. La génération Y a du mal à adhérer à des grands discours.”

“Tel est l’enjeu de la marque employeur : parler sans langue de bois, en toute transparence, contraintes et forcées par le développement d’Internet qui aiguise et satisfait les curiosités. “cette étape est difficile à négocier, car les services de ressources humaines n’ont pas pour habitude de communiquer””

La politique du “micro tendu” se met en place dans toutes les entreprises, avec le recueil de témoignages de collaborateurs organisé par l’entreprise elle-même. “La réalité ? Avec ou sans nous, ce verbatim se diffuse sur le Net, observe Caroline Flandrin de chez L’Oréal. Ce sont alors souvent des anciens tentés de tenir un discours négatif. L’idée est d’utiliser cet espace et d’en faire une opportunité positive, vers plus de transparence.”

Plus la concurrence entre les entreprises cherchant à recruter les meilleurs est âpre, plus ces dernières remontent le fil des cursus… Ainsi sont aujourd’hui ciblés les tout jeunes entrants de première année. Leur carte d’étudiant tout juste reçue, les 300 étudiants de l’Ecole spéciale des travaux publics (ESTP) passent une journée avec 30 DRH. Autre exemple, l’organisation dans les semaines à venir par Colas, filiale du groupe Bouygues spécialisée dans la construction et l’entretien des routes et d’infrastructures de transport, d’un tournoi inter-écoles (ESTP, ESITC Cachan, ICAM et EIVP) de footbulle. “Trois heures de prestation, à 200 euros l’unité, plus une production d’affiches pour le faire savoir, c’est une opération à coûts maîtrisés comme on les aime, détaille Cédric Mendès, chef de service recrutement & relations écoles. Le but ? toucher des étudiants qui n’ont pas encore une idée précise de leur choix de spécialisation métier. Avec un tel événement, notre groupe parvient à être visible et audible. C’est un enjeu stratégique pour nous, entreprise BtoB, de travailler notre notoriété et de les capter très tôt pour mieux les intégrer et les fidéliser.”

Classement employeur, les entreprises notées et classées
Mardi 10 février dernier. Benoît Montet reçoit à l’hôtel Intercontinental, proche des Champs-Élysées. Petits fours et décors soignés… le directeur France de Top Employers s’apprête à révéler les lauréats de l’année – appelés certifiés – et les meilleures pratiques en matière de ressources humaines. Chaque année, 10 à 20 % d’entreprises supplémentaires sont en lice. “Que font les autres que je ne fais pas ? Telle est la question prédominante”, décrypte Benoît Montet. Dès le lendemain, PageGroup, Faurecia et Lyreco, les entreprises lauréates, diffusaient leurs communiqués de presse.

Si grandes écoles et universités ont les yeux rivés sur les grands classements – de Shanghai ou du Financial Time –, les entreprises, elles, scrutent d’autres palmarès ou certifications. Outre “Top Employers”, les plus connus sont “Universum, Trendence”, “PotentialPark”, “Happy Trainees” pour les stages ou bien encore “Glassdoor”… Depuis trois ou quatre ans, ces indicateurs de performance sont devenus incontournables.

Avec 35 000 étudiants sondés, “Universum” donne une idée précise de ce que pensent 20 % de la cible, et jouit d’une importante couverture médiatique. Résultat : ces distinctions s’exposent, sous verre, dans les couloirs des directions des ressources humaines. “En 2013, Colas est l’entreprise qui a gagné le plus de places en un an, s’enorgueillit Cédric Mendes, chef du service recrutement. Un trophée nous a même été remis à l’occasion. En trois ans, notre groupe est passé de la 22e à la 8e place.” L’Oréal, Nestlé, la Société Générale… quel que soit le secteur, les recruteurs dégainent en quelques secondes leur classement. Et Aurélie Robertet, manager France d’Universum, d’ajouter : “Les équipes affectées à ces sujets sont même récompensées de leur progression dans nos classements.”

Il y a quelques années encore, seul le “buzz” de l’école existait. La digitalisation et les réseaux sociaux ont aujourd’hui multiplié par dix l’impact de ces classements. Les entreprises vivent là une véritable mise à nu.

Les PME hors champ ?
“On n’a pas le temps pour ça, ni les moyens” ! “On est trop petit pour cela !” “Ce n’est pas pour nous !” Ces commentaires, Claire Vinchon, créatrice de l’agence Small is beautiful, les entend régulièrement dans la bouche des patrons de PME à l’évocation de la marque employeur. “Ces entreprises cherchent avant tout un résultat immédiat, explique-t-elle, or la marque employeur se travaille sur la durée. Rares sont celles qui anticipent leurs besoins à venir de recrutement. Trop absorbés par leur quotidien, ces patrons n’essaient pas de lister leurs atouts, n’ont pas d’énergie à investir, ni de collaborateurs à mobiliser pour parler d’elles. Ce n’est pas dans leur culture.” La réponse de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGMPE) à notre demande d’interview en atteste : “Nous n’avons rien de particulier sur la marque employeur”. Les PME seraient donc hors champ ?

Par petites touches impressionnistes, les lignes bougent pourtant. Pour preuve : site grand public bien connu, avec 6 à 7 millions de pages vues par mois, leboncoin. fr n’a pas hésité à investir 250 000 euros pour développer sa marque employeur, et ce depuis fin 2013. “Les jeunes n’ont pas le réflexe de candidater chez nous, regrette Alexandre Collinet, le directeur général. Sans doute ont-ils en tête l’image de deux ou trois animateurs de site installés dans un garage.” Or, créé en 2006, leboncoin. fr compte aujourd’hui 260 collaborateurs et s’apprête à en recruter une centaine courant 2015 (dont 40 % de profils techniques). D’où l’effort consenti. Quelle image a l’entreprise ? Combien de candidats postulent ? Quels sont les éléments de différenciation à mettre en avant, par rapport à un Google, par exemple ?

“Les PME cherchent avant tout un résultat immédiat. Or la marque employeur se travaille sur la durée. Rares sont celles qui anticipent leurs besoins à venir
de recrutement”

Autant de questions qui ont permis de faire émerger la marque employeur du boncoin. fr avant de transformer Alexandre Collinet en “évangéliste”, pour reprendre son expression. Les moyens mobilisés par le champion de la petite annonce ? Classiquement, le versement de la taxe d’apprentissage à des écoles spécialisées dans l’informatique, ou plus surprenant, l’organisation de “meet up”, rencontres de jeunes innovateurs dans leurs locaux parisiens. “Juste par envie de se faire connaître, détaille Alexandre Collinet, on les accueille, on leur offre les repas… pour leur montrer l’envers du décor.”

Petites entreprises et grandes manœuvres sur les campus
Autre signe du changement progressif des mentalités, les entreprises à taille humaine font une percée remarquée sur les campus des écoles lors des forums, en solo ou à plusieurs – les quelque 3 000 € à 4 000 € réclamés en moyenne étant parfois prohibitifs –. Elles sont ainsi 50 PME à s’être déployée sur le campus de l’École centrale de Lyon en 2014, pour le forum qui leur est consacré, 50 aussi à l’Edhec de Lille. D’autres, à l’instar de Polytechnique ou de l’EM Lyon, leur confèrent un corner. Pour Françoise Marcus, déléguée générale de la Fondation Audencia et directrice des relations entreprises et diplômés, “à force de présence, de répétition, l’état d’esprit évolue. Obliger les étudiants à aller au-delà de la notoriété est essentiel, pour leur présenter les métiers, l’ambiance”. Ce message fait son chemin… de part et d’autre.

Parmi les stratégies déployées pour valoriser la marque employeur, le parrainage constitue un “must” pour asseoir une relation sur la durée, quitte à partager le siège. Ainsi, Fondasol, bureau d’études géotechniques (520 personnes) et les Ateliers des Compagnons, spécialisés dans la rénovation et la réhabilitation, (200 salariés) sont-ils devenus les parrains de la promotion 2016 de l’École spéciale des travaux publics (ESTP).

Par ailleurs, l’association Synergie Campus Entreprise, qui réunit le gratin du CAC 40 sur le sujet des bonnes pratiques de la marque employeur, travaille sur les modalités d’une ouverture en direction des PME ou des entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Fidéliser les collaborateurs
Reste que résumer la marque employeur à sa seule dimension de valorisation de la notoriété extérieure auprès des jeunes diplômés serait une fatale erreur. Le travail n’est fait qu’à moitié. “Les salariés doivent être embarqués”, insiste Martin Huerre, DRH France de Mazars.

La communication en silo, étanche, est contre-productive. La marque employeur doit refléter ce qui se passe en interne. On peut parler d’effet miroir… Les meilleurs ambassadeurs des entreprises ? Leurs collaborateurs. Cette considération qui leur est portée est un bon moyen de les fidéliser. Du deux en un, en quelque sorte.

Bertrand Lamberti
directeur de la stratégie à l’Association pour l’emploi des cadres (Apec)
Comment interprétez-vous la montée en puissance de la marque employeur ?
Cette montée en puissance correspond probablement à un besoin partagé de sens, tant du côté des entreprises que des cadres. Aujourd’hui, un contrat de travail ne suffit plus. Même si la formule peut heurter tant ils sont nombreux à butiner des contrats à durée déterminée (CDD), mais sa possession couvre “juste” un besoin primaire, avec la mutuelle, les tickets restaurant… L’idée de socle peut être évoquée. Indéniablement, les candidats actuels deviennent plus exigeants, d’où un rapprochement entre le marketing produit et celui des ressources humaines, d’ailleurs pas toujours bien assumé par les entreprises. Toutefois, la problématique de la marque employeur vaut davantage pour la population des cadres ou des jeunes diplômés de haut vol.
En quoi le développement de la marque employeur peut-il être difficile pour les entreprises ?
Le lien de subordination, défini par le contrat de travail, est au cœur de ce mode de raisonnement. À quoi ai-je droit ? Telle est la question des candidats qui s’impose. Les recrues potentielles subissent moins. Elles ont besoin d’être en adéquation avec le génome de l’entreprise. De moins en moins de salariés sont enclins à contribuer au développement d’une société qui ne leur ressemble pas. L’identité sociale est devenue indispensable. Et plus on monte dans la hiérarchie, plus cette perception est prégnante. Plus le poste est stratégique, plus ce critère devient incontournable…

Un exemple : la chaîne de fast-food McDo n’est pas reconnue pour sa contribution gastronomique. Pour autant, elle a gagné ses lettres de noblesse car sa marque employeur promet un ascenseur social efficient… Ce qui se pratique en interne se voit de l’extérieur. Le syndrome Activia, en quelque sorte !

Murielle Wolski

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