Kevin Chambenoit: Service Gagnant

Médiatiquement, les cuisiniers prennent toute la lumière pendant que les métiers de salle demeurent dans l'ombre. Ne ressentez-vous pas cela comme une inégalité ?

Kevin Chambenoit: Service Gagnant

À 33 ans, le directeur de la restauration du palace parisien Le Bristol vient de décrocher le titre de meilleur ouvrier de France dans la discrète catégorie des «maîtres d’hôtel».

Kevin Chambenoit: Service Gagnant

Que s’est-il passé dans la vie de Kevin Chambenoit? Depuis mardi, les messages s’accumulent dans sa boîte mail et les demandes d’ajout pleuvent sur son compte Facebook. À son lieu de travail, les mains sont tendues et les mines réjouies. «Cela me touche, je ne m’attendais pas à de tels retours.» Il a la diction lente et posée. À l’issue d’une série d’épreuves démarrée en novembre, le directeur de la restauration du Bristol, 33 ans, vient de recevoir le titre de meilleur ouvrier de France. Attribué sans numerus clausus, tous les quatre ans, par un organisme dépendant du ministère du Travail, ce Graal distingue la crème des artisans et des commerçants, une centaine de métiers confondus. Dans le Landerneau gastronomique, les cuisiniers captent toutes les vocations: 215 prétendants pour 8 lauréats la semaine dernière. Notre homme aux airs de premier de la classe s’affirme, lui, comme le seul distingué parmi 41 candidats dans la catégorie «maître d’hôtel, du service et des arts de la table». Rencontre avec le nouvel ambassadeur d’une discipline pas si désuète invoquant aussi bien la mise en scène (flambages, découpes…) que la diplomatie.

Le Figaro. – Qu’est-ce qu’un bon service dans un restaurant?

Kevin Chambenoit. – C’est quelque chose que l’on ne perçoit pas mais qui fait toute la différence. Il faut comprendre les attentes des personnes que l’on a en face de soi, et puis les dépasser. La beauté du restaurant, c’est que tout le monde se trouve là pour une raison différente. Si vous venez pour passer un moment de convivialité avec des amis, vous apprécierez que l’on s’occupe de vous. En revanche, si vous êtes en conversation intime, dans votre bulle, vous trouverez désagréable qu’un maître d’hôtel vous coupe la parole ou essaie de s’imposer. Parfois, le service, c’est de ne pas faire de service.

Médiatiquement, les cuisiniers prennent toute la lumière pendant que les métiers de salle demeurent dans l’ombre. Ne ressentez-vous pas cela comme une inégalité?
Cela ne date pas d’hier. C’est dans les années 1960-1970 que les chefs ont mis l’emphase sur l’assiette, ont commencé à apparaître en salle et que le maître d’hôtel a commencé à passer au second plan. En France, nous avons de grands noms comme Denis Courtiade au Plaza Athénée, François Pipala chez Paul Bocuse… Au Bristol, il y a une belle osmose avec le chef Éric Frechon. Et toujours beaucoup de travail en salle. Nous découpons les poulardes et les homards à Épicure (le restaurant 3 étoiles de l’hôtel, NDLR). Ainsi que la poule faisane, la pintade et la côte de bœuf au 114 Faubourg (la brasserie 1 étoile de l’établissement, NDLR). Nous filetons également la sole au guéridon.

Même de manière invisible, même à votre insu, n’existe-t-il pas un rapport de force entre la salle et la cuisine?
Je l’entends, mais non, je ne suis pas d’accord. Il n’y a aucune scission, aucune guerre. Juste un travail d’équipe entre des personnes passionnées qui ont le même but. Nous désirons tous que les clients soient contents et aient envie de revenir.

Ne va-t-on pas vers plus de discrétion dans le service?
Pas de discrétion mais de naturel. Il y a quelques années, on rencontrait souvent le stéréotype du maître d’hôtel pincé, agacé, lointain. En général, lorsque l’on met de la distance, c’est que l’on n’est pas sûr de soi. La proximité avec le client s’installe à condition d’être un bon ambassadeur de la cuisine du chef.

Une grande part de théâtralité demeure dans votre métier…
On parle toujours du restaurant comme d’une scène. Un des aspects les plus difficiles est d’arriver à s’oublier soi-même pour devenir cuisinier, maître d’hôtel ou directeur de la restauration. On tient un rôle, mais ce n’est pas de la composition: on nous a appris à le jouer et on le peaufine au fil des années d’expérience.

Vous travaillez dans un des plus grands palaces parisiens. Ce service d’excellence n’est-il pas l’apanage du luxe?
Tout dépend de l’endroit. Prenez cette pizzeria, juste à côté de chez moi, dans le XIIe arrondissement, Casa da Naktel. Qui que vous soyez, le propriétaire vous salue, vous sert la main, vous offre un apéritif et un digestif. La convivialité est un service. Et tout le monde a envie de spectacle. Quand vous êtes dans un restaurant et que quelqu’un flambe une crêpe ou des cerises jubilé, vous savez qu’il y a quinze personnes qui passeront la même commande ensuite. Au Coq Rico d’Antoine Westermann(75018, NDLR), on vous présente les volailles entières et on les coupe pour vous.
La culture générale fait partie des épreuves du concours de meilleur ouvrier de France. En quoi est-ce important?
C’est tout l’art du maître d’hôtel de pouvoir engager des conversations. On nous a évidemment posé des questions de gastronomie mais aussi de grammaire, d’orthographe, de politique. On m’a demandé par exemple le nombre de personnes siégeant à l’Académie française. Ils sont quarante, j’ai mentionné Jean d’Ormesson, qui fait partie de nos habitués. Les clients se sentent entre de bonnes mains quand on arrive à discuter avec eux d’égal à égal.

D’égal à égal, vraiment?
Dans la même sphère de culture en tout cas. Un client se rend dans un restaurant pour la cuisine et revient pour le service. Il doit passer un bon moment et se sentir reconnu. Nous devons savoir aborder les thèmes qui lui sont chers. S’il est passionné de pêche, par exemple, il sera content de pouvoir en discuter avec nous.

Quelle fut l’épreuve la plus difficile?
La découpe de poulet pour cinq personnes. Ce n’est pas quelque chose de très habituel.
D’autant moins habituel qu’en tant que directeur de la restauration vous n’opérez plus en salle. Pourquoi avoir décidé de remettre les mains dans le cambouis?
Nous étions quatre personnes de l’hôtel à présenter ce concours. Je me suis inscrit par solidarité avec mes collègues et pour voir où j’en étais. Si vous voulez être exigeant envers vos équipes, il faut être exigeant envers vous-même. Montrer l’exemple.

 

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