Thierry Breton : Un plan Marshall pour le tourisme européen

Thierry Breton : Un plan Marshall pour le tourisme européen

 

Thierry Breton, Commissaire européen pour le marché intérieur de la Commission européenne, a publié un article sur son site linkedin qu’il nous a semblé important de reprendre, compte tenu de sa vision : “Le monde est confronté à une menace sans précédent pour la santé publique, le Coronavirus. Aujourd’hui, l’Europe est l’épicentre de cette crise. Cette pandémie ne connaît ni frontières ni nationalité. Sa propagation rapide ne peut être arrêtée que si nous agissons ensemble…”

 

Thierry Breton : Un plan Marshall pour le tourisme européen

“La situation est grave. Et je le dis d’autant plus sérieusement que nous ne savons pas combien de temps durera cette situation…” /crédit photo Commission européenne

“La situation est grave. Et je le dis d’autant plus sérieusement que nous ne savons pas combien de temps durera cette situation…” /crédit photo Commission européenne

Permettez-moi de dire très clairement que l’Europe dans cette crise doit prouver que la solidarité n’est pas un vain mot, mais une réalité tangible, une boussole – la seule possible – pour notre action.

Au-delà de l’urgence sanitaire, nous vivons un choc économique d’une ampleur sans précédent depuis 1929. Je le dis clairement – car il faut être totalement réaliste sur ce qui nous attend: la crise est et sera très grave.

La première réponse européenne a été rapide et forte, avec l’injection de liquidités par la BCE, l’application flexible du pacte de stabilité, des mesures visant à faciliter les aides d’État, l’augmentation du soutien de la BEI en matière de liquidités aux PME et l’instrument de solidarité pour aider les travailleurs à conserver leurs revenus et aider les entreprises à rester à flot (SURE).

Tous les secteurs de l’économie sont touchés, mais je me concentrerai sur les défis auxquels est confronté l’écosystème touristique, en particulier toutes ses PME, les entreprises familiales, les commerçants, les agences de voyage, mais aussi ses principaux acteurs tels que les compagnies aériennes et les croisières.

Concernant l’impact du Coronavirus, si nous prenons l’écosystème touristique dans son ensemble – et c’est dans cet esprit que je travaille – nous savons qu’il contribue entre 10 et 11% du PIB de l’UE;

représente 12% de l’emploi dans l’UE, soit 27 millions d’emplois directs et indirects;
est composé de près de 3 millions d’entreprises, dont 90% de PME, dont certaines très petites.

Nous avons donc la responsabilité collective de mobiliser tous les outils à notre disposition pour répondre à cette pandémie. Nous devons agir avec urgence et audace, avec responsabilité, mais surtout dans un esprit de solidarité européenne inébranlable.

L’Europe représente 50% du marché mondial du tourisme en termes d’arrivées.Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un secteur économique européen très important.

C’est également l’un des secteurs les plus touchés, sinon le plus, compte tenu des indispensables restrictions de mobilité mises en place.

Au niveau mondial, Covid-19 devrait entraîner une réduction du trafic touristique international de 20% à 30% d’ici fin 2020, selon l’Organisation mondiale du tourisme.

L’OCDE prévoit une baisse de 45% à 70% de l’économie touristique, en fonction de la durée de la crise sanitaire et du rythme de reprise des voyages et des activités touristiques. Cela représente des pertes comprises entre 275 et 400 milliards d’euros pour l’industrie du voyage dans le monde.

 

3 millions de PME et 27 millions d’emplois directs et indirects

Au niveau européen, je suis en contact permanent avec toutes les parties prenantes. J’ai discuté plusieurs fois directement avec les différents participants de l’industrie et je continuerai de le faire régulièrement.

La situation est grave. Et je le dis d’autant plus sérieusement que nous ne savons pas combien de temps durera cette situation.

Nous estimons que les pertes de revenus au niveau européen sont de 50% pour les hôtels / restaurants, 70% pour les voyagistes et les agences de voyage, et 90% pour les croisières et les compagnies aériennes.

Mais ces chiffres agrégés cachent d’importantes disparités géographiques. Et je n’oublie pas les nombreuses zones géographiques, régions, îles d’Europe, dont certaines dépendent presque exclusivement du tourisme et qui se trouvent dans des situations très compliquées, en Espagne, en Grèce, en Italie, en France et ailleurs.

Je n’oublie pas non plus que derrière ces chiffres se cache une réalité sociale, ces entrepreneurs, hommes et femmes, qui ont une relation quasi-familiale avec leur hôtel, leur restaurant, leurs salariés dont l’activité ou l’emploi est menacé. Car nous sommes confrontés à un risque évident de fermeture d’entreprises et de pertes d’emplois.

Notre réponse doit être double: premièrement, à très court terme, nous devons aider ces entreprises à traverser cette période difficile, et deuxièmement, à moyen terme, mais rapidement, nous devrons commencer à réformer le secteur européen du tourisme.

Je voudrais développer ces deux aspects:

 

8 milliards d’euros pour aider près de 100 000 PME européennes

1. Mesures d’urgence

En réponse aux besoins immédiats, nous travaillons à fournir un filet de sécurité pour l’ensemble du secteur.

Assurer la liquidité est la première priorité. Mais un financement doit également être fourni rapidement pour franchir cette période jusqu’à la reprise des flux touristiques.

Le secteur du tourisme doit donc bénéficier dans les prochaines semaines des mesures annoncées, qu’il s’agisse du programme de liquidité de la BCE, des aides d’État nationales spécifiques et ciblées, du soutien au chômage partiel et des investissements BEI / FEI.

En particulier, avec la garantie du budget de l’Union, le Fonds européen d’investissement, avec des banques de toute l’Europe, nous mobiliserons environ 8 milliards d’euros de financement pour aider près de 100000 PME européennestouchées, y compris dans le secteur du tourisme.

En outre, l’initiative d’investissement dans la réponse aux coronavirus (CRII), qui s’élève à 37 milliards d’euros, permettra aux États membres de mobiliser les budgets inutilisés des Fonds structurels à diverses fins, y compris le tourisme. Avec le soutien du Parlement européen reçu le 26 mars de cette année, cette initiative est déjà entrée en vigueur le 1er avril.

Mais il faudra aller plus loin, avec un plan européen de relance industrielle pour tous les écosystèmes industriels européens, le fameux quatrième pilier du dernier Eurogroupe – un plan Marshall, comme le dit la présidente Ursula von der Leyen.

Selon nos estimations, le tourisme devrait être le principal bénéficiaire d’un tel plan. Il est donc essentiel qu’il soit mis en œuvre rapidement.

Nous étudions également notre arsenal réglementaire afin de l’adapter en conséquence si nécessaire:

Ensemble, nous avons adopté une mesure énergique pour éviter les vols fantômes et alléger la pression sur les compagnies aériennes pour conserver leurs créneaux aéroportuaires;
Nous avons également présenté des lignes directrices sur les droits des passagers, qui établissent le caractère exceptionnel de la situation.

Cela signifie que les compagnies aériennes n’ont pas à indemniser les passagers, mais – et nous le savons clairement – elles doivent leur offrir, à leur discrétion, un remboursement ou un bon pour un vol ultérieur.

La protection des consommateurs est en jeu;
Enfin, et même s’il est trop tôt pour en parler maintenant, il s’agira de préparer les meilleures stratégies de sortie possibles des mesures de confinement, et ce que cela signifie pour la reprise progressive de l’activité touristique et de la mobilité au sein de l’espace Schengen et en dehors de l’UE.

Il s’agira d’établir des conditions claires et des mesures préventives, coordonnées au niveau européen.

 

Regarder vers l’avenir, vers le monde de demain

2. Inventer le tourisme de demain

Au-delà de l’immédiateté de la situation et de la gestion des conséquences à court terme de la crise, il nous faut désormais regarder vers l’avenir, vers le monde de demain, qui sera forcément différent pour toutes nos sociétés et tous nos économies.

Ensemble, nous devrons réinventer et repenser un secteur du tourisme européen durable, numérique et résilient
Ne vous y trompez pas: le tourisme ne fera pas exception. Ensemble, nous devrons réinventer et repenser un secteur du tourisme européen durable, numérique et résilient.

Tout plan de relance, tout soutien public au tourisme, doit s’accompagner d’une transition, pour intégrer, comme dans tous les autres secteurs, les réalités environnementales, numériques et stratégiques.

C’était une nécessité avant cette crise, et cela devient maintenant un impératif de sortie. Parce que mon ambition, que je sais partagée par votre commission, est de maintenir l’Europe en tant que première destination touristique mondiale en termes de valeur, de qualité et d’innovation.

Mais c’est aussi créer, ensemble, une nouvelle référence mondiale pour un tourisme responsable, durable et innovant en réponse aux excès du tourisme de masse, à la réalité de la transition écologique et à l’émergence de nouvelles plateformes qui remettent en cause l’équilibre de l’écosystème.

Je vois trois composantes d’une telle stratégie.

Premièrement, le tourisme doit être au cœur du Green Deal européen et promouvoir le tourisme durable face au «sur-tourisme» que l’on observe dans certaines villes ou régions.

Il s’agira de trouver un équilibre entre la préservation des écosystèmes touristiques et les réalités économiques. Je suis bien conscient de la difficulté d’un tel changement.

Il ne s’agit pas d’empêcher les gens de voyager, mais de promouvoir, par exemple, le tourisme local. Un tel changement devra également s’accompagner d’une nouvelle politique européenne de mobilité touristique et d’un engagement fort au niveau local.

 

Trouver un équilibre entre acteurs dits traditionnels et plateformes numériques.

Deuxièmement, le tourisme devra passer au numérique et trouver un équilibre entre les acteurs dits traditionnels et les grandes plateformes numériques.

Il ne s’agit pas de dresser l’un contre l’autre. Chacun devra s’adapter, certains en devenant plus numériques, d’autres en devenant plus responsables dans leur rôle au sein des écosystèmes.

La responsabilité des plateformes en général, et dans le secteur du tourisme en particulier, est un élément sur lequel je pense qu’il y aura un avant et un après cette crise. La loi sur les services numériques sur laquelle nous travaillons déjà sera l’occasion de trouver un tel équilibre.

Enfin, le tourisme doit devenir stratégique: en raison de son poids économique et social, et parce qu’il est basé sur une histoire européenne riche et une diversité culturelle européenne inestimable, il doit également se protéger.

En particulier, il doit se protéger des stratégies d’investissement agressives des pays non européens, qui pourraient voir la crise actuelle comme une opportunité d’acquérir des bijoux européens à un prix inférieur. Je serai attentif à cela, avec les États membres, afin que nos outils de suivi des investissements étrangers soient en alerte.

Face à ces défis, nous aurons besoin d’une réponse coordonnée au niveau européen. Nous devons travailler ensemble: Parlement, Conseil, Commission, avec l’ensemble de l’écosystème, sans oublier les régions et localités, qui sont pour moi un niveau clé de la nouvelle gouvernance que nous devons mettre en place pour définir la stratégie européenne du tourisme de demain.

C’est aussi la nouvelle approche que je préconise en matière d’écosystème, afin de rassembler tous les acteurs autour d’un même objectif. Nous devons regrouper nos efforts au sein d’un mode de gouvernance ad hoc qui pourrait s’appuyer sur les travaux de la task force tourisme du Parlement, mais aussi sur les travaux des ministres européens en charge du tourisme, que je rencontrerai la semaine prochaine, et d’autres davantage de plateformes régionales.

Je propose d’organiser dès que possible – dès que la situation sanitaire le permettra – un sommet européen du tourisme, afin de réfléchir ensemble sur l’avenir et de construire une feuille de route vers un écosystème touristique européen durable, innovant et résilient.

Au-delà de l’urgence sanitaire, qui reste notre priorité actuelle, cette crise accélère les changements dans le monde, dans nos modes de vie et de production, à l’ère de la digitalisation et de la prise de conscience de notre impact sur les ressources de la planète.

Face à cette crise sans précédent, il n’y a pas de temps à perdre, notamment pour le tourisme. Il faut tout d’abord – et c’est normal – sauver les acteurs de l’écosystème, et transformer très rapidement ce secteur pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle dans les transitions profondes de notre économie et de nos sociétés.

Source Tourmag

 

 

 

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