La cuisine du futur s’invente à Orsay

A quoi ressemblera votre réveillon en 2050 ? « Des produits de qualité, issus d’une agriculture raisonnée, en circuit court. Un menu végétal à 80 %. Des desserts sans saccharose, nocif pour la santé. Des contenants traditionnels en porcelaine et d’autres biodégradables voire comestibles. Et toujours beaucoup de plaisir », répond sans hésiter le chef étoilé Thierry Marx, qui ne découvre pas le sujet. Imaginer la gastronomie en 2050 est en effet au coeur des recherches qu’il mène depuis fin 2012 dans le cadre du Centre français d’innovation culinaire (CFIC), créé avec le physico-chimiste Raphaël Haumont, directeur de la chaire « Cuisine du futur » au sein de l’Université Paris-Saclay. « L’université nous a soutenu et permis de créer un laboratoire à part où tout est comestible et où on peut lécher les béchers », sourit l’enseignant-chercheur rattaché à l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay (ICMMO). Matières premières, approvisionnement durable, techniques, réduction des déchets ou récupération de l’eau qu’ils contiennent… Aujourd’hui, rien n’échappe à leur réflexion qui vise à associer « plaisir, bien-être et santé » tout en répondant aux enjeux de demain, tels la pénurie d’eau. « Je suis un artisan avec un cursus scolaire modeste. Le CFIC permet de créer des passerelles entre le monde de l’artisanat et le monde universitaire, qui sinon vivent en silos », souligne Thierry Marx.

Cette aventure est l’aboutissement d’une rencontre. Celle, il y a dix ans, d’un jeune scientifique gourmand, tout juste nommé maître de conférence, qui demande un stage à l’auteur de l’ouvrage « Planet Marx ». Il est accueilli à bras ouvert dans la cuisine du chef qui officie alors en Gironde, avec cette phrase : « Faites-nous des tests ! » Les possibilités sont infinies. « Parce que l’on comprend la structure de la matière, c’est-à-dire la chimie, on peut prédire ses propriétés physiques », explique Raphaël Haumont. Ce qui vaut pour un pneu de voiture, vaut pour la coagu­lation du blanc d’oeuf ou la cristallisation du chocolat. Aujourd’hui, les recherches du CFIC portent notamment sur la cryo­concentration, qui permet de piéger les saveurs par le froid, ou encore sur l’encapsulation de liquide dans des films comestibles. Ces derniers travaux trouvent des applications en cuisine moléculaire, mais ont aussi permis de mettre au point une canette végétale pour de plus gros volumes, et peut-être bientôt des films étirables. « Une partie des retombées de nos recherches pourront être réinvesties en cuisine, d’autres dans l’industrie », note Raphaël Haumont. La chaire universitaire « Cuisine du futur » est soutenue par des entreprises. Ces mécènes (Danone, Les vergers Boiron, groupe ECF, cuisines Perene) n’orientent pas les travaux, mais peuvent, à l’occasion, être intéressés par leurs résultats. Un partenariat industriel pourrait ainsi être signé courant 2017 avec Danone pour développer une nouvelle texture mise au point en laboratoire.

Mais autant qu’à la recherche, l’enseignement et la formation, Raphaël Haumont est attaché à la sensibilisation du grand public. Et de s’enthousiasmer pour un nouveau projet. Il a imaginé « Molécules à cuisiner », l’un des seize ateliers proposés pour un public scolaire (8-15 ans) par la Maison d’initiation et de sensibilisation aux sciences (MISS), portée par le conseil régional et la fondation de coopération scientifique Diagonale Paris-Saclay. La MISS devrait disposer de son propre bâtiment de 638 m2 au coeur du campus à la fin de l’année. La pose symbolique de sa première pierre est prévue mi-janvier mais l’atelier est déjà testé depuis plus d’un an. Au menu : techniques de gélification et de sphérification pour réaliser des spaghettis de carottes, des macarons de concombres ou des billes de grenadine… Pour le plaisir des yeux et du palais.

À NOTER

Le bâtiment de la MISS est financé par la région pour un montant 3,7 millions d’euros.

Marie Bidault