Tutoiement dans les offres d’emploi, au travail : Une bonne idée ?

De plus en plus d’entreprises choisissent le “tu”. Une manière de jouer la proximité mais l’approche est à double tranchant.

Il est encore très minoritaire au global mais la tendance est forte. L’usage du tutoiement dans les offres d’emploi est aujourd’hui de plus en plus fréquent.

Selon les chiffres* d’Indeed, depuis le 1er janvier 2020, le poids du tutoiement dans les annonces a quasiment doublé: +91%, même si cela ne représente que 3,2% de l’ensemble.

Évidemment, certains secteurs sont plus à même d’utiliser le “tu” pour séduire des candidats. Toujours selon la plateforme, on le retrouve désormais dans 10% des annonces dans le marketing ou dans la communication et les médias et dans 9% de celles dans le développement informatique.

Mais aussi dans 8% des offres d’emploi du commerce de détail ou plus étonnant, dans plus de 5% des annonces pour des postes dans les ressources humaines.

“L’usage du tutoiement peut se comprendre sur certains postes traditionnellement prisés par les jeunes, les recruteurs cherchant à rendre le poste et l’atmosphère de travail plus sympathiques et attractifs” explique Indeed. D’autant plus dans des secteurs frappés par les difficultés de recrutement.

“Pas le bon signal”

Cette tendance est également le résultat d’un usage du tutoiement de plus en plus fréquent dans les entreprises, entre les salariés mais aussi entre les salariés et leur management.

Selon la revue “Sociologie du travail”, 63% des Français utilisent le “tu” avec leur supérieur direct. Un phénomène qui touche particulièrement les entreprises du secteur privé où 65% des salariés utilisent le tutoiement.

Cette étude révèle que ce sont les cadres les plus enclins à tutoyer leur chef, à l’inverse des employés qui sont plus frileux. Tout comme les hommes qui sont bien plus à le faire que les femmes.

Reste que le tutoiement est une pratique à double tranchant. Dans les annonces d’emploi, cela “contribue à véhiculer un message quelque peu dissuasif aux chercheurs d’emploi plus âgés. Cela peut malheureusement dissuader des candidats seniors de postuler, ceux-ci se sentant moins à l’aise dans un contexte de tutoiement” souligne Indeed.

“À l’heure où le gouvernement souhaite repousser l’âge légal de départ à la retraite, les offres d’emploi utilisant le tutoiement ont tendance à décourager – volontairement ou non – les candidatures de profils seniors, donc n’envoient pas vraiment le bon signal”, ajoute Alexandre Judes, économiste au sein du Hiring Lab d’Indeed.

Terrain propice à la manipulation

En interne, dans les entreprises, l’objectif de nombreuses directions est désormais de créer de la proximité entre les salariés, dans une ambiance plus décontractée ce qui inciterait à plus d’esprit d’équipe. Une approche plus transversale à l’anglo-saxonne renforcée par les attentes des salariés et des nouvelles recrues.

Mais le tutoiement peut fausser les relations hiérarchiques. “Ce n’est pas parce qu’on se tutoie, qu’on est devenu des égaux. Les frontières continuent d’exister” indique Alex Alber, sociologue et responsable de l’étude à RMC.

Il peut ainsi être source de malaise lorsque le salarié doit gérer une situation compliquée ou une demande sensible (augmentation de salaire, conditions de travail).

“Le problème du tutoiement, lorsqu’il est imposé d’en haut et institué comme une norme, c’est que cela vous lie subrepticement à celui qui vous tutoie d’une façon faussement amicale. Le tutoiement ou l’usage systématique du prénom ne permettent plus de maintenir la distance nécessaire pour respecter l’autonomie de chacun. La frontière entre la sphère privée et publique s’efface, les différences de statut, de hiérarchie, aussi. Tout cela crée un terrain propice à la manipulation, au conflit interpersonnel et au harcèlement moral” résume le sociologue Jean-Pierre Le Goff.

*: Toutes les offres d’Indeed.fr contenant le pronom “tu” ont été comptabilisées comme des offres utilisant le tutoiement.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business

Partgagez

Plus d'articles

Ecrivez-nous