Sophie Bellon : "Je ne ressemble pas au patron modèle"

Fille aînée de Pierre Bellon, le fondateur de Sodexo, leader mondial de la restauration collective, Sophie Bellon est....

Sophie Bellon : “Je ne ressemble pas au patron modèle”

 

Fille aînée de Pierre Bellon, le fondateur de Sodexo, leader mondial de la restauration collective, Sophie Bellon est vice-présidente du conseil d’administration depuis 2013 et en prendra la présidence en janvier 2016. Elle donne à Enjeux Les Echos sa première grande interview depuis sa nomination.

Sophie Bellon : "Je ne ressemble pas au patron modèle"

Sophie Bellon (Vice présidente du conseil d’administration, Sodexo)

En matière de management, que vous a appris d’essentiel Pierre Bellon, votre père ?
Mon père nous a donné une vision, à mes sœurs, mon frère et moi. Il nous a élevés dans l’idée que rien n’est impossible. C’est une vraie force. Il nous a aussi transmis la valeur du travail, c’est le seul moyen d’y arriver mais aussi un plaisir, ce qui permet de se réaliser. On me demande parfois pourquoi je travaille étant donné mon nom. Tout simplement, parce que j’aime ça ! Mon père nous a enfin appris l’humilité. Il est aussi à l’aise avec un patron du CAC40 qu’avec le plongeur de restaurant. C’est aussi important pour moi, même si je ne suis peut-être pas aussi à l’aise, sans doute plus timide…
Et sur quels points souhaiteriez-vous être différente de lui ?
Mais je suis différente, d’abord parce que je suis une femme. C’est une chance : je me compare moins que si j’étais son fils. Au-delà de cette évidence, je manage différemment de mon père, je privilégie le collectif.

Vous êtes très engagée sur la féminisation des instances dirigeantes. Comment faites-vous chez Sodexo ?
Quand j’ai pris la direction de Sodexo Entreprises France, il y avait vingt hommes et pas de femme parmi les directeurs régionaux. J’ai posé la question, et il m’a été répondu que ce n’est pas du tout un métier de femmes : on travaille énormément, on ne rentre pas le soir à la maison… Avec humour, j’ai prouvé à tous ces hommes qu’il s’agissait surtout de clichés. Quand j’ai quitté ce poste, il y avait cinq femmes directrices régionales. Les technologies ont tellement évolué qu’il n’y a plus de métier impossible pour une femme. Ce sont les idées reçues qu’il faut remettre en cause.

Quels recrutements privilégiez-vous ?
Chez Sodexo, en tout cas, il n’y a pas un énarque ! On a embauché des polytechniciens, mais cela n’a pas toujours très bien marché. Ils ont des têtes bien faites mais il leur manque souvent la dimension humaine, essentielle dans les métiers des services de qualité de vie. Ils sont trop intellectuels. Nous sommes 420 000 personnes dans le groupe, donc quand vous êtes patron d’un business, vous devez entraîner les équipes. Si vous leur expliquez que 1+1 fait nécessairement 2, vous avez faux. Les raisonnements trop logiques ne fonctionnent pas sur le terrain. L’important, c’est de mélanger les profils différents. Quand j’étais responsable de la partie Entreprises pour la France, je ne gérais au départ que les équipes restauration puis j’ai récupéré les autres services. Les collaborateurs venant de la restauration étaient à l’écoute du client, alors que les techniciens se focalisaient surtout sur les process… Ces différentes approches apportent de la valeur au client.
Selon vous, une femme est moins réticente à dire qu’elle ne sait pas…
On ne peut pas tout savoir et, si l’on ne sait pas, il vaut mieux le dire ! Mes équipes m’ont fait remarquer à quel point je me différenciais sur ce point de mes prédécesseurs. Cela s’explique sans doute par mon parcours atypique. J’ai démarré beaucoup de fonctions qui n’existaient pas dans l’entreprise, donc j’ai été obligée de m’entourer, de prendre des opinions, de faire des essais, parfois de me tromper. Et j’ai enchaîné les jobs fonctionnels : en centrale, dans la finance, la fidélisation des clients, l’amélioration de nos indicateurs de performance, etc. Quand j’ai pris la direction très opérationnelle Entreprises France il y a six ans, je me suis retrouvée avec de grosses équipes auxquelles j’ai dit : « Il y a plein de choses que je ne sais pas, je ne vais pas vous donner des conseils. En revanche, en quinze ans chez Sodexo, j’ai fait de nombreuses choses, vu beaucoup de gens et de pays. Sur ce plan-là, je pense que je peux vous apporter. » Cela m’a permis d’avoir des collaborateurs deux fois plus engagés.
Quelles sont les qualités requises pour être un bon manager aujourd’hui ?
Un bon dirigeant doit d’abord être à l’écoute de ses équipes. Mais, après, il doit décider et assumer sa décision. Les gens peuvent parfois me trouver autoritaire, mais quand j’affirme une idée avec force, c’est que j’ai suffisamment écouté ou vu pour me faire une opinion. Le dirigeant doit aussi être engagé. Lors d’une visite de trois jours dans la Silicon Valley le mois dernier, j’ai été très agréablement surprise de constater à quel point les patrons de Square ou Dropbox sont mus par des convictions. Finalement, ces start-up partagent de nombreux points communs avec Sodexo, qui aura bientôt 50 ans mais se développe sur des valeurs très fortes…
Si vous deviez résumer – en quelques mots – la patronne que vous serez dans un an ?
Je n’ai pas l’impression que je ressemble au patron modèle, mais je l’assume. Je voudrais être une présidente à l’écoute, qui continue à privilégier le collectif et l’humain. De plus, je n’arrive pas trop à jouer la comédie, je suis lucide et authentique, je n’aime pas les gens faux ni ceux qui se sentent supérieurs.
La perfection, quoi !
Bon, je peux aussi apparaître autoritaire ou trop déterminée : parfois, cela fatigue… Je peux aussi être impatiente : il m’arrive de voir ce qu’il faut faire et je ne comprends pas que les autres ne le voient pas. Je sais qu’il ne sert à rien de vouloir aller trop vite dans une grande organisation comme la nôtre. Mais cela me pèse !

 

Qui sont les patrons que vous admirez ?
Ils sont nombreux. Quand j’étais jeune, je lisais beaucoup de biographies de patrons emblématiques comme Jack Welch de General Electric. J’ai rencontré il y a une dizaine d’années Tony Hsieh (cofondateur de Zappos) et il m’a beaucoup impressionnée bien qu’il y ait chez lui une contradiction qui me dérange : il crée des super boîtes mais il les revend ensuite sans toujours penser aux équipes ! Globalement, j’admire les patrons des nouvelles sociétés de technologies californiennes pour leur côté informel, leurs convictions, la rapidité avec laquelle ils avancent. En France, j’admire mon cousin Jacques-Antoine Granjon, Xavier Niel, Franck Riboud, Peter Brabeck de Nestlé et bien d’autres. Mais si je devais ne garder qu’un nom, ce serait Christine Lagarde. C’est bien d’avoir un rôle modèle femme !
Qu’est ce qui a changé pour vous depuis l’annonce, en décembre 2013, que vous succéderez à votre père ?
Ce qui m’a surprise, c’est combien le regard des autres a évolué. J’ai eu droit à des articles intitulés « De l’ombre à la lumière », « Sophie Bellon, la révélation ». Cela me semble étrange : ça fait vingt ans que je suis chez Sodexo, je n’ai pas changé. Tout le monde m’observe et projette des choses sur moi. Le jour où je ne souris pas à une réunion parce que j’ai mal à la tête, on se dit : l’entreprise va mal ! Faire la une ne me motive pas particulièrement mais il faut profiter de l’intérêt nouveau que je suscite. Pas pour moi, mais pour faire parler positivement de l’entreprise formidable qu’est Sodexo et faire progresser la cause des autres femmes.
Une grande responsabilité vous attend dans un an. Ça ne fait pas un peu peur ?
Franchement, non ! Pour ne rien vous cacher, le jour où j’ai appris, par un coup de fil de l’un des administrateurs en charge de décider de la succession de mon père, que c’était moi, mes épaules se sont littéralement affaissées… Mais, depuis, je me suis approprié le rôle. J’ai fait un travail sur moi-même, y compris grâce à des coaches. Aujourd’hui, je me sens à l’aise et surtout pas seule, entre Michel Landel le directeur général, le Comex, les équipes incroyables… Pour moi, c’est plus que jamais le collectif qui prime ! Seule, je ne ferais rien.

Propos recueillis par Laurent Guez et Isabelle Lesniak

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