Secrets de Stars dans les cantines de Cinéma

Le cri d'une actrice césarisée apercevant une limace dans sa salade. Depardieu célébrant sa cuvée Cyrano en athlète du lever de coude. Claude Chabrol voyageant dans un ballon de Condrieu

Secrets de Stars dans les cantines de Cinéma

Elles ne sont répertoriées dans aucun guide gastronomique et se réservent plusieurs semaines à l’avance. Que sont donc ces cantines ambulantes qui font saliver les stars du cinéma en tournage? Doté d’un budget de 20 millions d’euros, cet évènement rapporte près de quatre fois plus à la région cannoise. 

Secrets de Star dans les cantines de Cinéma

Le cri d’une actrice césarisée apercevant une limace dans sa salade. Depardieu célébrant sa cuvée Cyrano en athlète du lever de coude. Claude Chabrol voyageant dans un ballon de Condrieu blanc, avant sa crème glacée quotidienne… Ces scènes-là pourraient former un film qui n’a jamais été tourné. Mais qui se poursuit, tournage après tournage, dans un même lieu clos aux allures de cirque: la cantine.

Difficile de manquer le barnum, installé à deux pas du décor: tables gaiement dressées, buffet enjôleur… Les touristes y voient une guinguette, les clochards un festin offert par le Samu social: on les détrompe gentiment. Ce restaurant nomade, où déjeunent de 50 à 70 personnes -voire des centaines, si les figurants abondent-, est le sanctuaire caché du tournage. Il offre le meilleur moment d’une journée qui se partage entre attentes interminables -comédiens pas prêts, projos de rechange bloqués dans les embouteillages, etc.- et sprints de concentration fusionnelle, qu’un rien fait capoter.

“Les mauvaises cantines font de mauvais films”
Acteurs, équipe caméra, décorateurs, costumiers, maquilleurs-coiffeurs -les “maq-coif”-, régisseurs, électromachinistes, tous les corps de métier oublient leurs tensions pour y fraterniser un -trop- bref moment: la pause repas dure une heure. La cantine est donc le lieu stratégique où se déverse la tension d’une journée à haut voltage. Ici règne la convivialité française, fertile en galéjades et blagues de potaches, cimentée par l’esprit de famille de travailleurs au long cours qui se revoient de film en film. Bonne occasion de réfléchir au calme, le chef de poste expliquant le prochain plan à son équipe ou portant ses instructions du lendemain sur la feuille de service, passée de table en table…

“Les mauvaises cantines font de mauvais films”, disait Chabrol. Sommaires il y a trente ans, elles sont aujourd’hui un luxe obligatoire: les actrices ont l’oeil rivé sur la balance et les équipes ont le bec finaud, boycottant à la seconde le poisson trop cuit ou la sauce à la colle. Forçats de l’excellence, pourquoi applaudiraient-ils un travail de sagouin? “Cantine de merde!” Pour le régisseur, responsable du choix, ce mot est une guillotine. Craignant l’émeute, il pianote illico sur son portable… “Hélas, notre budget est compté -de 23 à 27 euros le repas-, explique François-Xavier Bazin, régisseur général. Et les bonnes cantines, trop rares, se bookent des mois à l’avance.”

Secrets de Star dans les cantines de Cinéma

Du frais, du beau, du bon… Si les cantinières d’autrefois dynamisaient les troupes avec un simple tonnelet de rhum, on n’imagine pas les merveilles que les chefs peuvent improviser en quelques heures aujourd’hui.Du frais, du beau, du bon… Si les cantinières d’autrefois dynamisaient les troupes avec un simple tonnelet de rhum, on n’imagine pas les merveilles que les chefs peuvent improviser en quelques heures aujourd’hui.Photo Mathieu Zazzo pour L’Express Styles

 

Pour le tournage de Rosalie Blum, le premier long-métrage de Julien Rappeneau -fils de Jean-Paul-, dans lequel jouent Anémone et Noémie Lvovsky, le producteur lui-même a décroché son téléphone pour réserver la perle rare. L’homme qui a révolutionné la cantinologie avec ses plats frais, gais, digestes, a pour nom Jean-Baptiste et pour prénom Joinès. A son côté, sa femme, Angelina, un pâtissier et une poignée d’aides pour les pluches et le montage du barnum.

Salade thaïe, steak d’espadon, tête de veau…
Après sept semaines à Nevers, le tournage s’est ancré dans le XIIe arrondissement de Paris. Joinès y a planté sa tente dans une rue discrète, face au camion suréquipé -chambre froide, générateur, etc.- où il cuisine tout lui-même quelques heures avant. Après la quiche minute et les asperges vertes croquantes, les techniciens attaquent un rôti très tendre dont ils vont éponger la sauce avec du pain, en attendant les choux à la crème…

L’oeil rivé sur son smartphone -une de ses équipes officie sur un autre tournage-, le cantinier décline son parcours: né en Haïti, il y a été instituteur six ans puis a tenté la restauration en France. “Vu les journées terribles, j’ai préféré la cantine de cinéma.” Ses recettes? “J’improvise avec le haut du panier de Metro -le grossiste de la restauration. Aujourd’hui, jabugo, saumon fumé, steak d’espadon…” Il réussit avec le même brio la salade thaïe et la tête de veau, voire la choucroute en hiver. Dès le premier jour, allergiques et végétariens lui ont confié leurs tabous: il se souvient de tous. “Les marges sont réinvesties dans la qualité des aliments”, précise-t-il en débouchant un Oratoire de Chasse-Spleen, second vin du château éponyme. Qui suscite un feu roulant d’éloges: “Merci, Joinès! Quel régal c’était!”

Une vie de bohème
“C’est pour ces instants-là qu’on se fatigue!” opine Ewa Catherine Paprocki, ravie qu’on ait repris cinq fois de son thon cru et demandé sa recette de pintade au citron et lavande. “Je ne travaille que du frais et change de recette chaque jour pour offrir la qualité d’un restaurant”, confie celle dont Léa Seydoux apprécie la mousse au citron et qui fait saliver Vincent Lindon avec ses brocolis au gingembre. Formée par Joinès, elle a fondé sa propre société: Cather’ing. Pour le tournage d’un clip publicitaire dans une casse d’Aulnay-sous-Bois, elle a dressé sa tente sous les frondaisons d’une allée forestière. L’éclat de son sourire et ses bains-marie fumants aimantent peu à peu l’équipe qui vient s’attabler par groupes. “Les réalisateurs confirmés, comme Benoît Jacquot, déjeunent à l’heure dite. Mais en cas de retard, on s’évertue à tout garder au chaud…”

Ewa ne se plaint jamais. Directrice de production à TF1, elle a tout plaqué pour partir avec son mari, Wiesiek, ex-chef électricien, mener une vie de bohème qui la ravit jusque dans ses galères: dresser le barnum dans la neige ou tirer 200 litres d’eau dans un quartier chic de Paris…

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Jean-Baptiste Joines, chef cuisinier pour les tournages de films.Jean-Baptiste Joines, chef cuisinier pour les tournages de films.Photo Mathieu Zazzo pour L’Express Styles
Tout le cinéma connaît le chapiteau rose d’Eve Bruant et son camion bariolé de graffs. Devenue cantinière en 2000 par amour pour son ex-mari, Dominik Moll -le réalisateur de Harry, un ami qui vous veut du bien-, cette quadragénaire musclée qui conduit son camion elle-même régale les équipes de tournage de ses plats ensoleillés -feuilleté de brandade de morue, bo bun, viandes marinées…- et a ouvert son propre blog. On apprécie son entrain, qui réconcilie les fâchés, et la musique dont elle égaie parfois son camion -Muriel Robin et bien d’autres s’y sont trémoussés. Pour le tournage de 100% Cachemire, Valérie Lemercier l’avait chargée d’un catering -buffet permanent de pâtisseries- 5 étoiles, avec jus de fruits frais, lui prêtant à cet effet sa machine à presser personnelle, d’un modèle rare. “J’ai tremblé jusqu’à la fin du tournage”, avoue Eve.

Gérard Depardieu en cuisine
“Beaucoup rêvent de ce métier, mais c’est dur!” Agé de 57 ans, Sylvain Surblé appartient à la génération d’avant, qui courait les marchés et débusquait les producteurs locaux. A Dieppe, il approvisionnait sa cantine en huîtres et soles fraîches comme l’oeil. “J’étais sur le tournage de Cyrano en Hongrie communiste, raconte cet as de la débrouille. Et Rideau de fer ou pas, je trouvais les produits de saison!” Gérard Depardieu lui a témoigné son estime en préparant ses propres plats dans son camion. “Et il cuisine bien!” C’est en 1982 que cet ancien cuisinier fasciné par Michel Guérard a rejoint le cinéma, par envie de voyager. Et plus encore par soif de liberté: “Ici, je cuisine absolument ce que je veux.” Des plats de ménage type osso-buco, du foie gras escalopé, mais surtout beaucoup de légumes -sa passion- et des spécialités méditerranéennes.

Secrets de Star dans les cantines de Cinéma

Retenus par les coiffeurs et maquilleurs qui les pomponnent avant la prise, actrices et acteurs se trouvent souvent privés de cantine, mais le menu du jour leur parvient sous forme de plateaux-repas, livrés dans leurs loges et mangés sur le pouce.Retenus par les coiffeurs et maquilleurs qui les pomponnent avant la prise, actrices et acteurs se trouvent souvent privés de cantine, mais le menu du jour leur parvient sous forme de plateaux-repas, livrés dans leurs loges et mangés sur le pouce.Photo Mathieu Zazzo pour L’Express Styles

Lui aussi ancien restaurateur -et de peu son aîné-, Gilles Goutal a déployé sa carrière chez le mythique Locafête. Riche de nombreux camions et de chefs reconnus, cette entreprise de cantine fondée en 1973 est la mamelle historique du cinéma français. Cela se sent à la gentillesse gouailleuse avec laquelle Gilles Goutal assaisonne son sauté de veau et son colombo de porc. Il a connu l’époque où les électros, élite des sportifs de la classe ouvrière, réclamaient de la viande bien rouge et organisaient chaque jour un apéro “au cul du camion”, auquel n’étaient invités que les initiés. “Aujourd’hui, dit-il, on boit beaucoup moins.”

Tant mieux si ses collègues ont dressé leur tente sur des plages perdues, des rebords de falaise, des alpages emplis de vaches errantes ou des sous-sols de parking… Gilles Goutal, lui, a cantiné et nourri l’équipe dans le désert de Mauritanie -pour Fort Saganne, en 1980-, et a sillonné six mois durant le Vietnam avec Jean-Jacques Annaud lors du tournage de L’Amant (1992), dressant les tables sur une barge, au bord de la rivière Saigon. Dans ses rêves revient souvent la jungle amazonienne, qu’il a tant aimée lors du tournage du Jaguar (Francis Veber, 1996): “En guise de barnum, les Indiens m’avaient bricolé un abri de branches. Et ils m’apportaient chaque jour des poissons que je livrais cuisinés à l’équipe en pirogue.” Un cinéma pareil, on en redemande!

Cantinière et blogueuse

Eve Bruant, plus de 50 films à son actif, publie dans un blog son journal de bord illustré de photos, de dessins, de menus encore imprégnés du climat de fête qui caractérise ses prestations: tables aux couleurs vives, illuminations de guinguette, plats fins et roboratifs -sauté de veau de l’Aveyron, dal au gingembre…-, le tout pimenté de minidrames -la tente qui s’envole-… Il y a toujours de quoi raconter, à commencer par la mine éberluée des visiteurs lorsqu’ils voient un réalisateur célèbre restaurer ses équipes au milieu d’une décharge ou sur le trottoir d’une ZAC.

cantineevebruant.over-blog.com

 

 

 

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