Qu’est-ce qui motive ces infirmiers à choisir l’intérim ? Témoignages en Haute-Vienne

Le statut de salarié en CDI ou de fonctionnaire ne les fait plus rêver. À l’hôpital ou en EHPAD, ces soignants préfèrent rester intérimaires. Si ce mode d’exercice est privilégié par quelque 5.000 médecins en France, il a aussi gagné les professions d’infirmiers et d’aides-soignants.

Qu'est-ce qui motive ces infirmiers à choisir l’intérim ? Témoignages en Haute-Vienne

Illustration © Jérémie FULLERINGER

Jusqu’à fin 2019, Aurélien était en CDI. Infirmier au sein d’une entreprise de Haute-Vienne, il a volontairement quitté le confort d’un emploi stable pour exercer en intérim. “J’avais fait le tour de ce que je pouvais apporter dans la structure où j’étais et j’aspirais à une autre pratique.”

Il enchaîne quelques mois les missions d’un jour ou deux, en Ehpad, à Limoges et quarante kilomètres alentour, puis d’autres contrats courts en clinique ou à l’hôpital “jusqu’à Ussel ou Guéret”. Plus de trois ans après, il n’envisage pas de reprendre un poste fixe dans un établissement.

“L’intérim correspond plus à mon choix de vie”, assume-t-il. Comme lui, de plus en plus de soignants choisissent de rester intérimaires ou de le devenir. 

Les aides-soignants en tête

Si le phénomène est bien connu dans le milieu médical, au point d’être régulé par un plafonnement des rémunérations à compter de ce lundi 3 avril 2023, il a aussi conquis les professionnels paramédicaux : “majoritairement des profils d’aides-soignants et d’infirmiers”, selon Maud Zaoui, directrice des ressources humaines chez Adecco Médical au niveau national.

Mais aussi des agents de service hospitalier (ASH), selon Georges Cano, directeur Aquitaine et Limousin pour Appel Médical, un des principaux acteurs du travail temporaire dans le milieu de la santé, implanté à Limoges et Brive. 

“Un avant et un après Covid”

La crise sanitaire a même accentué les besoins des établissements. “Il y avait déjà une pénurie de personnels et la demande était croissante, mais il y a eu un avant et un après Covid. En deux ou trois ans, notre activité a été multipliée par deux”, poursuit la DRH d’Adecco Médical, dont l’agence locale comptait début mars une centaine de missions à pourvoir sur Limoges et la Haute-Vienne. 

De son côté, Appel Médical fait part d’une hausse des effectifs intérimaires “de 40 % en Limousin” entre 2021 et 2022 : “On est à +20 % en Nouvelle-Aquitaine”, poursuit Georges Cano.

La sollicitation intense tout au long des années Covid a épuisé les professionnels de santé titulaires et entraîné une crise des vocations.

Dans les établissements sanitaires ou médico-sociaux, des postes restent vacants, certains agents ont démissionné, les congés maladie ont augmenté, et les besoins explosé. C’est le cas notamment au CHU de Limoges qui a presque quadruplé son budget consacré à l’intérim en 2022

Des sous-effectifs qu’il faut donc pallier dans les structures ou les services. “Je préfère être celle qui remplace que celle qui subit ce remplacement”, affirme ainsi Lila, 26 ans. Le statut de fonctionnaire ou de salarié en CDI n’a rien d’enviable, selon cette infirmière. “Les équipes sont souvent tendues, fatiguées et sous pression, parce qu’elles manquent de bras, qu’elles sont rappelées sur leur jour de récupération.”

Acquérir de l’expérience

Au départ, en 2019, la jeune femme a choisi l’intérim en centre hospitalier ou en clinique à Tulle, Brive, Nontron, Limoges, pour se former, comme un “passage obligé”.

“Quand on n’a pas d’expérience, quand on ne sait pas vers où se diriger, ça permet de découvrir des pratiques différentes dans des structures variées”, confirme une autre infirmière intérimaire, Sarah, 25 ans, qui a principalement œuvré au début dans les Ehpad auprès des personnes âgées, les unités de soins de suite et de réadaptation ou de longue durée, ou les instituts accueillant des jeunes souffrant d’un handicap, d’abord en Bourgogne puis en Limousin. 

Gérer son emploi du temps

Mais près de quatre ans après leur sortie de l’Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) de la Croix-Rouge, aucune des deux n’aspire à une embauche définitive.

“On veut rester maîtresses de notre planning.” Faire des nuits, “bosser douze heures”, travailler le dimanche, pourquoi pas, si la contrepartie est de pouvoir poser ses congés et ses jours de repos comme bon leur semble. 

À 33 ans, Aurélien, père d’un petit garçon de 7 mois, apprécie ainsi “la liberté” qu’il a de “[s’]occuper de [son] fils”. Il n’accepte aucune mission le week-end ou la nuit. “C’est pour cette raison que je privilégie les missions courtes.”

Et l’argent ?

La liberté est leur moteur, pas l’argent, assurent-ils. Parfois qualifiés de “mercenaires”, les intérimaires se défendent sur le montant de ce qu’ils touchent. Tout dépend des structures et de leur localisation. “On n’est pas dans la même position que les médecins intérimaires. On est généralement rémunéré sur la même grille tarifaire qu’un agent titulaire. Parfois, l’ancienneté professionnelle est prise en compte, d’autres fois, non”, explique Aurélien.

“Ce qui fait la différence, c’est qu’on touche une prime de précarité de 10 % et une prime de congés payés de 10 %”, indique Lila. Des frais kilométriques peuvent aussi s’ajouter. “Si on travaille de nuit, on est mieux payé”, reconnaît l’infirmière, qui a touché en novembre 2.600 euros pour 16 nuits. “S’il y a de la distance ou des jours fériés, ça peut aller jusqu’à 3.500 euros.”

Des contraintes aussi

L’autre avantage est de se consacrer exclusivement aux soins. “On ne gère pas l’administratif”, apprécie Sarah. Mais l’intérim n’est pas sans contraintes, ni responsabilités.

“On n’a pas de liens avec les collègues, puisqu’on bouge tout le temps, et ça manque. Et on n’a pas de suivi avec les patients”, regrette Lila.

“Il faut aussi ne pas accepter des missions dont on ne se sent pas capable ou qui risquent de nous mettre en difficulté, surtout au tout début quand on démarre dans le métier”, selon Sarah. Lila sait par exemple “que les urgences ne sont pas faites pour [elle]”. Et puis “il y a des postes où ça dysfonctionne tellement, qu’on se met en danger”.

Et l’avenir ?

Et la suite ? Lila ne se projette pas : “Il y aura toujours du travail dans la santé”. Sarah consacre désormais une partie de son activité au libéral. “J’aime aller au domicile des patients.” Mais elle avoue ne pas savoir si elle exercera toujours la profession d’infirmière dans quelques années.

Quant à Aurélien, il réfléchit à accepter un CDI intérimaire proposé par l’agence Appel Médical. “Cela me garantirait 35 heures par semaine, un salaire fixe, des congés payés et m’éviterait la recherche de missions.” Moins de stress donc, mais aussi moins de liberté à laquelle ces soignants sont attachés.

La loi “Rist”


Du nom de la députée Stéphanie Rist (Renaissance), cette loi plafonnera le montant de la rémunération des médecins intérimaires à l’hôpital public à 1.390 euros bruts pour 24 heures de travail.
Cette nouvelle réglementation destinée à mettre un terme à des pratiques excessives entre en vigueur à compter de ce lundi 3 avril 2023.

Hélène Pommier

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