Comment l’hôtellerie de luxe peut-elle sortir de la crise?

Comment l’hôtellerie de luxe peut-elle sortir de la crise?

Les palaces Parisiens rivalisent de prestations pour séduire à nouveau la clientèle fortunée.

 

Comment l'hôtellerie de luxe peut-elle sortir de la crise?

Spa de l’hôtel Fouquet’s rénové, à Paris, le 10 juillet 2017. © Joël Saget / AFP.

 

Il n’y a pas une seule capitale au monde où l’offre des grands hôtels –à plus de 600 euros la nuit– est aussi importante, variée et adaptée aux désirs de la clientèle que Paris.

Du Ritz, le palace d’Escoffier et Charles Ritz, sorti de l’autobiographie de Marcel Proust, au Park Hyatt Vendôme, d’une étonnante modernité, en passant par le Plaza Athénée, fief de la mode et du chic parisien, chaque voyageur d’expérience –et de souvenirs– peut trouver logement à son goût. N’oublions pas non plus le Meurice, face aux Tuileries (1835), so old fashioned, le Four Seasons George V au massif de fleurs face au patio géant, et le Bristol, au délicieux jardin d’hôtel particulier et suites Prestige. Les prestations (spa, piscine ou pas) ne manquent pas.

C’est souvent les à-côtés du séjour, une Rolls Phantom à l’aéroport si vous êtes au Peninsula, un directeur de restaurant gentleman mondain et chanteur de charme, Werner Küchler, au Relais Plaza, la vue panoramique sur la Concorde au Crillon, une table japonaise, Matsuhisa, au Royal Monceau, le Bar Hemingway et les cocktails fameux du barman Colin Field au Ritz, sans oublier le club sandwich au homard (65 euros)… Ces spécificités créent l’accoutumance, les «plus» qui font pencher la balance. Quel sera votre choix?

 

Des taux d’occupation en berne

Le prix de la nuitée a aussi son importance. De 1.200 euros au Crillon jusqu’à 750 euros au Fouquet’s ou 880 euros au Meurice, la différence n’est pas négligeable, surtout si l’on reste cinq nuits et plus. D’autant que la crise sévit encore et qu’elle impacte les résultats financiers de ces grands hôtels légendaires, qui peuplent l’imaginaire des fous des voyages, avec l’appartement Chanel au Ritz, la suite panoramique du Meurice, la dégustation de grands vins en compagnie d’Éric Beaumard, chef sommelier à la cave du Four Seasons, une balade romantique à Versailles dans la limousine du Peninsula…

Paris subit encore les effets terribles, si néfastes des attentats terroristes, même si les Japonais et les Américains ont retrouvé, en partie, le chemin et le désir de Paris –enfin!

Au Plaza, François Delahaye, directeur général du groupe Dorchester, propriété du sultan de Brunei, indique que le taux d’occupation de 80% est moins fréquent que les 60%, sans profit à la clé.

Mis à part le rush des fashion weeks, les salons ponctuels (l’aviation en juin), les grandes expositions au Musée d’Orsay ou au Musée Picasso, les ventes aux enchères (la collection Bergé-Saint-Laurent, 375 millions d’euros), le Plaza de l’avenue Montaigne et ses concurrents sont trop rarement complets.

De plus, les suites de haut luxe, tableaux et meubles authentiques (au-delà de 1.500 euros) sont moins demandées: les clients deviennent raisonnables, attentifs aux tarifs, les additions au Relais Plaza so chic (menu à 56 euros) sont réduites, le champagne moins séduisant. Un comble à Paris, capitale mondiale de la pétillance de bulles!

Une offre excessive

«Il faut bien voir que nous ne retrouverons jamais les résultats et les super profits des années 2000 à 2015. Nous avons changé d’époque, le terrorisme est une épée de Damoclès sur nos têtes. Par chance, les gens oublient vite les horreurs et le sang.

 

Ainsi, le Park Hyatt, cet été, a connu d’excellents taux de fréquentation, de 80% et 94% en septembre. Ce palace contemporain plaît par sa situation, rue de la Paix, et les espaces de vie et de convivialité sont bien adaptés à la demande actuelle des gens d’affaires de tous pays» confie Claudio Ceccherelli, patron du Hyatt Park Vendôme, un grand professionnel du métier –il a officié à Venise au Gritti et à la Villa d’Este, admirable palace romantique sur le lac de Côme.

Aujourd’hui, Paris compte 1.900 chambres de luxe: est-ce trop? En dehors des périodes fortes, l’offre est excessive. D’où des cadeaux aux clients fidèles, la troisième ou la quatrième nuit gratuite, un sur-classement en suites d’office et du champagne tous les soirs, avec des quenelles de caviar.

En plus de la concurrence du loueur de chambres et d’appartements par Airbnb –un scandale pour nombre d’hôteliers–, l’avenir proche va accroître les problèmes de fréquentation dans le haut de gamme. L’avenir n’est pas rose.

En plus des dix grands hôtels et palaces en activité vont s’ajouter, dans un avenir plus ou moins proche, le Lutetia dont on dit grand bien, le Cheval Blanc dans l’ex-Samaritaine du groupe LVMH, le Lotti mitoyen du Costes (cent chambres au bas mot), près de la place Vendôme –et cela sans compter les quatre étoiles à 300 et 400 euros la nuitée qui ouvrent chaque mois.

Allons-nous vers un trop-plein de chambres et suites dans l’ancienne Lutèce? C’est le dilemme angoissant qui mine les jours et les nuits des hôteliers «high class» et la caste des clés d’or. Du stress dès le breakfast.

 

Critique : le Crillon

Il a fallu quatre ans de travaux gigantesques pour concevoir et réaliser le nouveau Crillon, place de la Concorde, dont la sublime façade a été édifiée pour Louis XV, en 1758, par le grand architecte Ange-Jacques Gabriel.

Si proche de l’Élysée, le palace des rois et chefs d’État, en piteux état et abîmé par les ravages du temps, n’était plus à la hauteur de sa légende: le confort, la décoration, les prestations offertes –pas de piscine ni de spa– dataient d’un autre temps.

Le grand hôtel de pierres blanches où Thierry Le Luron vécut ses dernières heures ne méritait plus la mention de palace, en dépit des marbres, des lustres et des salons aux rideaux noirs de Sonia Rykiel –les plus beaux appartements donnant sur la Concorde. Aucun investisseur-repreneur en France ni en Europe: il a fallu un investisseur des Émirats.

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Le Crillon a été acquis par le prince saoudien Mitab Ben Abdallah ben Abdelaziz Al Saoud, membre de la famille royale, pour 250 millions d’euros, à quoi s’est ajoutée la facture de la rénovation: 16.740 mètres carrés sur sept niveaux, soit 200 millions d’euros demandés par l’architecte Richard Martinet et quatre décorateurs (Tristan Auer, Chahan Minassian, Cyril Verguiol et l’agence Affine Design), plus le couturier Karl Lagerfeld (pour deux suites d’exception sur la place de la Concorde dites des «Grands Appartements») et le paysagiste Louis Benech (pour les espaces verts et les notes florales). Une œuvre pharaonique, avec 147 métiers d’art représentés et 250 sous-traitants.

Le palace est géré par le groupe américain Rosewood, qui compte dix-neuf hôtels dans douze pays. Le Crillon comprend 124 chambres et suites, trois salons, un spa, une piscine turquoise, un salon de coiffure pour femmes et un espace dédié aux hommes.

Cette métamorphose «high class» rivalise sans mal avec le Ritz, lui aussi chargé d’histoire et de souvenirs. Oui, il y a des amoureux de ce genre de palace proustien.

L’atmosphère du grand hôtel ouvert sur la place Vendôme –une localisation parfaite– restitue à merveille le style Grand Siècle grâce au mobilier couleur bois de rose et au confort moderne. Le site étant classé, il fallait faire attention aux fondations et aux sous-sols creusés en lisière de Seine.

Les parties communes sont une vraie réussite, car elles humanisent le Crillon: le bar en arrondi est riche de cent marques de champagnes et la Brasserie d’Aumont, fréquentée par le premier client du Crillon, est ouverte du petit déjeuner au souper. Agrémentée d’un patio dans la cour-jardin, cette trouvaille a été plébiscitée par le public dès l’inauguration en juillet.

Au menu du chef Justin Schmitt, la salade de homard au pamplemousse (38 euros), l’œuf mimosa (14 euros) ou le tartare de bœuf fumé (28 euros). Cette brasserie est le cœur battant du palace, doté d’une circulation aisée. Oui, on se sent bien au Crillon. Le bar a fait le succès de l’hôtel dès l’ouverture.

Côté restaurant, l’Écrin, une salle à manger de vingt-cinq couverts seulement, est dirigée par Christopher Hache, un chef audacieux qui a mis au point une expérience œnologique liée au mariage des mets et des vins: la bavaroise de tomate et une Petite Arvine de Suisse, la langoustine façon garum (en sauce) et le Clos Venturi 2015 de Corse, les rougets avec l’Hermitage blanc 2005 ou le Pommard 2009, le pigeon sur une bière Deck & Donohue, le chocolat au blé noir sur le Rivesaltes 1985.

La cuisine envoie douze séquences (260 euros) ou sept temps (195 euros) selon vos envies, à quoi s’ajoutent les vins pour 95 euros. Une première à Paris, pour les fous de la dive bouteille.

Toute cette recherche épicurienne est saluée par les œnophiles les plus sérieux. Les autres s’en remettent au sommelier très savant, Xavier Thuizat, pour se faire servir les vins de leur choix. Il reste à attendre la note, et les étoiles éventuelles du Michelin 2018.

• 10 place de la Concorde, 75008 paris. Tél.: 01 44 71 15 00. Chambres à partir de 1.200 euros. Suites Berstein à 25.000 euros. Complet toutes les fashion weeks.

 

Critique: l’hôtel Fouquet’s Barrière

Le groupe Barrière, on l’a vu pour le Majestic de Cannes, a hérité d’un président bâtisseur. Dominique Desseigne a entrepris de redonner à l’Hôtel Fouquet’s un sérieux lifting des parties communes et des 81 chambres et suites, dont les plus demandées donnent sur les Champs-Élysées (1.400 euros la nuit), une rareté absolue. C’est l’âme de Paris, dit-on. Ce lieu de mémoire a été inscrit au patrimoine de la capitale par Jack Lang.

Jacques Garcia, le décorateur favori du groupe Barrière (18 hôtels, 33 casinos, 2.000 employés), s’est inspiré du chic des années 1950-1960. D’où ces velours et autres étoffes au Bar Marta, à la Conciergerie et, à l’étage, au Joy, le bar-restaurant ouvert sur la terrasse où l’on peut fumer et rêver sur les coussins, sous le ciel de Paris. Cette dépendance à l’étage est une vraie réussite pour les amoureux des Champs-Élysées.

L’hôtel, dont l’entrée se situe avenue George V, a un charme fou et rivalise sans mal avec les adresses stars de Paris, notamment avec le Four Seasons George V à quelques foulées, aux prix plus élevés et aux marbres imposants.

La clientèle du cinéma, d’Hollywood et des affaires a ses habitudes, liées à la formidable notoriété de la brasserie d’angle chère à Tino Rossi, à Raimu, à Charles Trenet et au regretté Georges Cravenne, créateur des César et des Molière. Le restaurant est un club élyséen, plus démocratique que le Jockey Club.

Le Fouquet’s, qui fut un grand restaurant trois étoiles en 1938-1939, a connu une vraie rénovation sans affecter l’allure des lieux de vie et de gourmandise. Jacques Garcia a préservé la convivialité, le confort et l’élégance, mais aussi la cuisine de tradition, accentuée par les trouvailles de Pierre Gagnaire, le grand chef stéphanois formé au répertoire lyonnais, plus canaille que classique.

Le tartare maison où se mêlent viandes, poissons et foie gras reste la grande spécialité du moment. Notons également la salade de homard aux herbes fraîches, la pince de King Crab, la poêlée de calamars aux aubergines et chorizo ou le merlan Colbert et macaronis, envoyés par le chef Bruno Guéret, très soigneux au passe. Les desserts au chocolat et l’éclair à la glace vanille sont quant à eux mitonnés par un Benjamin Roy en forme.

Ce lundi, 450 couverts pour les deux repas: pas rien. Le Fouquet’s dégage une atmosphère très parisienne. Les fidèles se connaissent, d’autres nouent des relations, des amitiés se forgent, l’amour aussi. Tout cela forme la spécificité de cette brasserie éternelle, que le temps a épargné. Plus calme au dîner qu’au déjeuner très animé. Souvent complet. Il faut réserver.

• 46 avenue George V, 75008 Paris. Tél.: 01 40 69 60 00. Chambres à partir de 630 euros selon le Michelin 2017. Au restaurant au 99 avenue des Champs-Élysées (Tél.: 01 40 69 60 50), menus au déjeuner à 48 euros, 68 euros avec vin et eau. Carte de 70 à 130 euros. Petit déjeuner.

Critique: le Park Hyatt Vendôme

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C’est le quinzième anniversaire de l’hôtel de charme classé «palace» du groupe Hyatt (600 établissements dans le monde), qui a su se forger une belle clientèle: des actrices et acteurs comme Vanessa Paradis ou Johnny Depp, des sportifs comme Roger Federer ou Yannick Noah apprécient le cadre lumineux des espaces d’accueil.

La place Vendôme est tout près, l’Opéra à peine plus loin. Deux restaurants, dont les Orchidées pour un déjeuner sur la belle verrière, avec une carte supervisée par le chef Jean-François Rouquette. Carpaccio de bar, citron caviar frais et iodé (35 euros), nougat de volaille et foie gras, légumes en pickles (30 euros) ou les spaghetti alle vongole, ail et persil (28 euros). Plateau de gâteries. Vin italien au verre (12 euros).

Au dîner, on s’avance vers le Pur’ face à la cuisine ouverte: aucun fumet désagréable, une atmosphère de haute gastronomie menée par le chef étoilé en personne, qui répartit les bons de commande à sa brigade de toqués.

À ne pas manquer ces jours-ci: le homard rouge avec betteraves, crémeux corail au shiso (45 euros) et la fricassée de girolles, crumble de noisette, oxalis et mûres façon maman Rouquette (42 euros).

À côté du turbot et couteaux au beurre d’algues et belles de Fontenay en mousseline, ail noir (80 euros) et du dos de cabillaud rôti, céleri, persil plat, infusion au gingembre (59 euros), voici le bœuf wagyu des bouchers Metzger frotté au genièvre, cuit à la plancha, une viande racée tendre et ferme à la fois pour bons carnivores –à partager si l’on veut– (135 euros) et le ris de veau croustillant aux raisins, trévise, échalotes (75 euros).

Tout cela est mitonné avec un sens des goûts et des saveurs qui enchantent les bon palais. Desserts chocolatés un peu chiches.

La carte actuelle n’est pas loin de la seconde étoile, dixit le Michelin, attentif aux efforts de Jean-François Rouquette: plus d’épure, de dépouillement dans les assiettes seraient bienvenus. Clos des Lambrays 2004, rival de la Romanée Conti (80 euros le verre).

Brunch le dimanche à 94 euros avec le blanc de blancs de Taittinger. Terrasse en saison.

• 5 rue de la Paix, 75002 Paris. Tél. : 01 58 71 12 34. Menu au déjeuner à 58 euros, au dîner à 145 euros, mets et vins à 215 euros, et 185 euros pour huit services, met et vins à 275 euros.

Critique: le Meurice

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Est-ce la plus belle salle de restaurant de Paris? En lisière des Tuileries, le plus ancien grand hôtel de Paris (1835) offre à table un moment de beauté, de culture et de raffinement, dans un décor de marbres et de miroirs façon Versailles.

C’est un enchantement renforcé par la présence en cuisine de Jocelyn Herland, un chef triple étoilé au Dorchester de Londres, très marqué par le classicisme le plus discret –tout pour le produit et ses garnitures.

Le pâté chaud de pintade au foie gras et chou (110 euros) est une entrée goûteuse, le must en cette saison. Le sauté de volaille aux écrevisses et girolles est enrichi d’une sauce puissante (135 euros) et le bar de ligne «ikejime» saigné à bord afin de préserver son goût (110 euros) est une merveille de saveurs fines. La sole de Noirmoutier, ferme en bouche, est garnie façon dieppoise aux crevettes (145 euros), tout comme le turbot aux blettes et coquillages (125 euros): deux joyaux de la mer travaillés avec doigté et sensibilité.

Le Meurice, grâce à ce chef épatant, frôle la troisième étoile sans conteste. Le service en salle, piloté par Frédéric Rouen, un maître de l’élégance, est sans rival à Paris (70 couverts par jour).

Une véritable fête des papilles –quatre viandes pour les carnivores–, un repas d’anthologie pour les très fin palais. Desserts ensorcelants: le fameux baba, les figues de Solliès et le chocolat avec le grué de cacao à la coriandre de la Manufacture Alain Ducasse. Un modèle de grand restaurant qui honore la capitale.

• 228 rue de Rivoli, 75002 Paris. Tél.: 01 44 58 10 55. Menu au déjeuner à 130 euros. Carte de 220 à 290 euros. Fermé samedi et dimanche. Petit déjeuner healthy sans gluten, jus détox et fruits en salade (52 euros).

 SLATE

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