Les hôteliers déclarent la guerre à Booking.com
La plateforme prend 17 % de commission en moyenne sur les réservations. Trop gourmand pour certains hôteliers, qui veulent inverser le rapport de force.
Difficile de trouver un hôtel pour un séjour à Montpellier mi-août sur Booking.com. La plupart ont pourtant encore des chambres disponibles, mais ils ont décidé de les retirer de la plateforme néerlandaise de réservation pour inciter les clients à réserver en direct. Leur cible : les commissions prélevées, jugées trop élevées, mais aussi les « méthodes dictatoriales » de l’entreprise, pointe Camille Galtier, président du Club hôtelier du grand Montpellier, à l’origine de la fronde.
Né à Amsterdam en 1996, Booking.com est vite devenu une mine d’or pour les hôteliers, rabattant des clients du monde entier en les référençant sur une plateforme unique et simple d’utilisation, et permettant aux professionnels d’améliorer leur taux de remplissage. Mais avec le temps, la plateforme est devenue incontournable… et trop gourmande.
Commission à la tête du client
En moyenne, elle prélève 17 % du montant total (taxes comprises) d’une réservation. « Sur une chambre à 100 euros, il reste moins de 75 euros après la commission, dont 60 euros de charges, détaille l’hôtelier montpelliérain. On récupère moins de 15 euros, ce n’est pas assez pour continuer d’investir dans l’hôtel. »
« La commission varie à la tête du client, explique Camille Galtier. Ça va de 10 % pour le groupe ou la chaîne qui a la force de frappe pour négocier, jusqu’à 25 % pour l’hôtelier isolé et dépendant. » « Non seulement il n’y a pas de parité entre les établissements, mais les commissions changent d’une ville à l’autre, abonde Frédéric Puech, président du Club des hôteliers du Cap d’Agde. On est à 17 % en moyenne quand La Grande Motte à côté est à 15 %. »
Ils nous demandent des efforts alors que eux sont en meilleure santé que nous.
Comme les hôteliers montpelliérains, lui et ses confrères du Cap d’Agde avaient lancé un mouvement de protestation contre Booking.com l’été dernier en affichant leurs chambres à 1 000 euros la nuit. Et ils ne sont pas les seuls, car partout en France, la colère monte : à Ajaccio, des hôteliers tentent aussi le boycott en retirant leurs chambres de la plateforme, quand ceux du Vaucluse ont monté leurs prix de 400 à 500 %.
David contre Golliath
Le ras-le-bol n’est pas nouveau, mais le confinement a fait déborder le vase. Les hôteliers n’ont pas digéré les méthodes de Booking.com, qui a remboursé les réservations des clients sans les prévenir. « Ce n’est pas qu’on ne voulait pas le faire, prévient Camille Galtier. Mais si l’on prend le concurrent Hotels.com par exemple, ils nous ont appelé pour dire qu’ils allaient le faire. »
Une fois le confinement passé, ils ont enfin eu des nouvelles… des commerciaux de Booking.com. « Ils nous ont demandé de baisser nos tarifs pour faire plus de trafic en disant que l’on était trop chers ! s’étrangle l’hôtelier montpelliérain. Après trois mois d’inexploitation, alors qu’on enregistre encore plus d’annulations que de réservations et qu’on est 24h/24 au comptoir, ils nous demandent des efforts alors que eux sont en meilleure santé que nous… »
Si la guerre est déclarée, le combat semble déséquilibré face à un tel géant. D’autant que la plateforme dépense des fortunes en achat de mots clés sur Google – plus de 4 milliards de dollars de dépenses publicitaires en 2019 – pour être incontournable : quand on tape le nom d’un hôtel dans le moteur de recherche, c’est sa page sur Booking.com qui s’affiche en premier. Et malgré les demandes de discussion, les coups de gueule et les opérations de boycott, les Néerlandais « font l’autruche », regrette Frédéric Puech.
« Un canal de commercialisation très rentable »
Contacté par Le Point, Booking.com assure être « choisi » par les hôteliers « parce que nous sommes pour eux un canal de commercialisation très rentable, qui leur apporte des réservations du monde entier, créant ainsi des conditions de concurrence équitables entre les petits hôtels indépendants […] et les chaînes hôtelières établies partout ». Quant aux remboursements effectués pendant le confinement, la plateforme assume sa politique – « Nous pensons que c’est à la fois juste et équitable » – et rappelle que les conditions classiques s’appliquent aux réservations faites depuis le 5 avril.
« Nous encourageons actuellement les voyageurs à réserver à nouveau leurs séjours annulés à cause de la pandémie, sur lesquels Booking.com ne prend aucune commission aux partenaires », ajoute l’entreprise. « Ça ne concerne pas beaucoup de monde, c’est un leurre », regrette Camille Galtier.
Il faut que les clients sachent que la différence de prix va dans la poche de Booking.com.
Difficile pour les hôteliers de fermer totalement le robinet Booking.com. La plateforme représente en moyenne 30 % du taux d’occupation, jusqu’à 80 % pour les plus dépendants. « Les hôteliers se sont bien rendu compte qu’ils se sont fait manger par ces plateformes », relève Patrice Mounier, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) du Vaucluse.
Faire de la pédagogie auprès des clients
Depuis que l’État a retoqué en 2015 une condition de Booking.com qui imposait aux hôteliers d’afficher le meilleur tarif sur la plateforme, la plupart d’entre eux y répercutent la commission, et proposent un tarif plus avantageux pour les réservations effectuées en direct sur leur site. Les professionnels misent sur la pédagogie pour inciter les clients à réserver directement auprès d’eux pour leur prochain séjour. « Il faut qu’ils sachent que la différence de prix va dans la poche de Booking.com, qui ne paie pas d’impôts en France », martèle Patrice Mounier.
Une stratégie qui commence à porter ses fruits. « On a fait moins de chiffre Booking l’année dernière et plus en direct : les mentalités commencent à changer », se réjouit Frédéric Puech. Dans son hôtel, ce sont 25 000 euros qui partent chaque année dans les caisses de la plateforme. « Si je peux déjà récupérer 10 000 euros, c’est tout ça que l’on peut réinvestir dans l’hôtel. » De quoi rêver d’un rééquilibrage des forces dans la collaboration avec Booking.com. « On doit travailler avec eux, on a besoin d’eux, reconnaît-il. Mais eux aussi ont besoin de nous, et on ne peut pas être pris à la gorge comme ça. »