Le fantasme de la femme de chambre

Du film noir au porno fétichiste en passant par les œuvres sociales et critiques, on trouve souvent une housemaid dans les environs. Tantôt simple objet sexuel, tantôt facteur révolutionnaire ou espion discret....

Le fantasme de la femme de chambre

 

Apres Nafissatou,Spirou pourrait aussi porter plainte pour tentative de viol.

 

Entendons-nous bien. Ce qu’aurait subi la victime présumée au Sofitel dans l’affaire Strauss-Kahn est un drame inadmissible et, de ce point de vue là, je me range plus du côté de Slate.fr ou de L’imparfaite, que de Jack Lang et Jean-François Kahn. Cela dit, je trouve intéressant de voir qu’au-delà des clichés, le fantasme de la femme de chambre est vraiment très largement repris par la bande-dessinée (et d’autres arts évidemment). DSK, donc, l’aurait eu cette obsession. Voyons-voir ce qu’il aurait pu lire pour perdre tout sens de la mesure.

Juchée sur des talons plus ou moins hauts, engoncée dans un uniforme aussi strict que suggestif, la french maid a un potentiel érotique évident que les auteurs de BD affriolantes n’ont pas manqué de mettre en scène. D’ailleurs les éditions Tabou ne s’y sont pas trompées puisque c’est une femme de chambre qui fait la couverture du premier tome de leur Histoire en images de la BD Erotique. Les jambes galbées, la tunique légèrement soulevée par un courant d’air, elle regarde à travers le trou d’une serrure des ébats que l’on imagine à une paire de chaussures masculines laissée du côté prude de la porte.

Les héroïnes de BD érotiques en petit tablier blanc ne manquent pas. Citons par exemple Lydia, soubrette de luxe, une série des années 80 qui met en scène Lydia et sa copine Anna, toutes les deux employées dans un grand hôtel de luxe (suivez mon regard). Evidemment, à chaque fois qu’elles poussent une porte pour faire le room-service, les chambres sont encore occupées et leurs résidants eux-mêmes souvent bien occupés. Et comme elles ont le sens du devoir, Lydia et Anna ne manquent pas de participer aux ébats qu’elles dévoilent.

Plus récemment, Xavier Duvet a sorti Le journal d’une soubrette, une BD délicatement dessinée à l’aérographe dans un style hyper-réaliste. Là encore, le “scénario” résonne étonnamment avec l’actualité. Clara, l’héroïne, est une jeune française désargentée qui part tenter sa chance à… New-York. Si elle ne travaille pas dans un hôtel mais au service d’une grande bourgeoise de Big Apple, Clara ne manquera pas de se retrouver dans des situations que la morale réprouve. Et, parce que j’aime beaucoup cette BD, je ne résiste pas au plaisir de rappeler que dans les Filles Perdues d’Alan Moore et Melinda Gebbie, une femme de chambre fait également des folies de son corps dans l’hôtel autrichien où se déroule l’intrigue.

Le fantasme de la femme de chambre

Rapports de domination

Par définition, la femme de chambre est issue d’une classe sociale moins élevée que les personnes qu’elle sert. Le rapport dominant/dominé est on ne peut plus explicite et participe évidemment de la popularité de ce type de personnage dans la BD érotique. Et si l’on remonte avant la naissance de la bande-dessinée, l’inégalité de classe est habituelle de l’imagerie érotique occidentale. L’oeuvre érotique de Thomas Rowlandson, un graveur anglais du début du XIXème siècle, en est l’illustration parfaite. Les personnages masculins sont tour à tour officiers de la Marine, gentlemen-farmers ou membres de la haute société. Les femmes, elles, sont de classe inférieure et souvent des servantes.

Le fantasme de la femme de chambre

Au Japon, c’est un peu différent puisque c’est bien sûr l’archétype de la courtisane, la geisha, qui domine. On les retrouve dans de très nombreuses es estampes shunga (“images de printemps”), ainsi qu’on appelle les dessins érotiques qui ont fleuri à partir du XVIIème siècle. Si elles ne sont pas exactement servantes, les geishas partagent avec les femmes de chambre le port de l’uniforme. C’est un élément clé du potentiel érotique de ces personnages en tant qu’il matérialise ce rapport de domination. Pour la soubrette en particulier, d’un point de vue strictement graphique, le noir et le blanc du costume ainsi que sa mise parfaite lui confèrent un côté strict qui en fait un objet de convoitise d’autant plus grand. Des caractéristiques que l’on retrouve dans le costume de la nonne, autre grand classique de la BD érotique.

L’excellente série (pas érotique) d’Hubert et Kersacoët, Miss pas touche, illustre bien l’érotisme du costume de la soubrette. Dans les années 1930, Blanche se fait engager au Pompadour, un bordel parisien de luxe, pour enquêter sur l’assassinat de sa soeur. Problème, celle qu’on surnomme “miss pas touche” est prude personne. Heureusement, la mère maquerelle lui a trouvé un rôle parfait, sans rapports sexuels : elle sera “la vierge du bordel”, fantasme inaccessible chargé de distribuer coups de cravache et de talons à des hommes avides de masochisme. Pour ce faire, elle est habillée… en femme de chambre, dans une inversion du rapport de domination.

Le fantasme de la femme de chambre

Dans la même idée d’inversion du rapport de domination, une autre BD (pas érotique non plus) récente me vient à l’esprit. Je vous ai déjà dit tout le bien que je pensais de Spirou Le Groom vert-de-gris de Yann et Schwartz. Dans cet album qui a pour cadre la Seconde guerre mondiale, l’hôtel où est employé Spirou est transformé en QG de la Gestapo. Et notre groom est littéralement harcelé par une grande et belle blonde allemande, officier de la Wehrmacht, appelée Chickengrüber. Il doit faire montre d’une diplomatie incroyable, voire parfois fuir carrément pour arriver à échapper à son appétit sexuel débordant. Par exemple lorsqu’elle l’appelle au beau milieu de la nuit pour une prétendue souris dans sa chambre, prétexte pour l’accueillir en petite tenue et tenter de mettre le grapin sur le jeune groom.

Le nom de Chickengrüber ressemble d’ailleurs étrangement à celui de Schicklgruber, le premier nom du père d’Hitler. De là à dire que les tentatives de viol de la grande allemande sur le petit groom sont une métaphore de ce que l’Allemagne faisait subir à la Belgique, il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement. Ou alors Chickengrüber est simplement un jeu de mot pour parler d’une belle “poule”…

Spirou et Nafissatou Diallo, la femme de chambre du Sofitel qui accuse DSK, même combat ? L’exemple vient en tous cas illustrer que, plus qu’un rapport de domination homme/femme, c’est bien une domination de classe qui régit les rapports entres maître et femmes (ou hommes) de chambre. Et c’est cela qu’il faut aussi combattre.

Laureline Karaboudjan

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