Jean Imbert : “La hiérarchie, ce n'est pas pour moi”

Jean Imbert : “La hiérarchie, ce n’est pas pour moi”

 

Depuis sa victoire à « Top Chef » en 2012, il poursuit sa révolution culinaire. À Paris, son restaurant l’Acajou fait courir stars et anonymes. Sans parvenir à étourdir ce bouillonnant écolo sensible…

 

Jean Imbert : “La hiérarchie, ce n'est pas pour moi”
Bien qu’installé aux fourneaux de l’Acajou, son restaurant (1), Jean Imbert ne pratique pas la langue de bois. Quand il parle, et il parle beaucoup, une brume de saveurs vous enveloppe, vos papilles s’affolent… Communicatif, désarmant de simplicité, séduisant, inventif, il est tout cela sans conteste. Au point d’avoir été sacré lauréat de la compétition « Top Chef » sur M6 en 2012. On aurait pu craindre que cette gloire médiatique ne vienne affadir sa clairvoyance et gâter son palais, mais il n’en est rien. Jean Imbert n’a qu’une passion, cuisiner et faire partager son art.
Pour avoir grandi auprès d’un père relieur, il a connu très tôt la beauté du geste sûr. À 12 ans déjà, la cuisine le tenaillait. « Quand ma mère m’a proposé de faire des gâteaux au chocolat, je lui ai répondu que je préférais cuisiner des ris de veau. » Et le voilà donc exalté, transformant dans son imagination l’appartement familial de la banlieue parisienne en auberge. « Tout jeune déjà, je voulais mon restaurant. La cuisine ne m’a jamais paru dissociable d’un lieu pour recevoir. » À 17 ans, il passe son bac et intègre l’école Bocuse. « Mes compagnons avaient 25 ans. Nous n’avions pas les mêmes centres d’intérêt. Ils allaient voir les filles, j’allais bosser gratuitement à la cuisine. » Six mois plus tard, il passe son CAP. « Je suis tombé sur omelette et chou à la crème. Très dur ! Je l’ai décroché quand même. » Cinq ans plus tard, il ouvre son restaurant, et cela fait douze ans qu’il assure ses quarante couverts par soirée. « Je suis né dans une famille où la culture de la gagne prédominait… »

“Une table, c’est d’abord du partage”
« Mes préférences ? Le maquereau, le poisson préféré de ma grand-mère. » Jean Imbert.

« Bien sûr, après « Top Chef », on m’a poussé à voir plus grand, à monter en puissance, à ouvrir une brasserie. Je le ferai peut-être, mais pas maintenant. Ce que je veux, encore et toujours, c’est connaître mes clients et les recevoir. Une table, c’est d’abord du partage. » À l’Acajou, entre les photos prises par ses amis Gérard Rancinan et JR, les tables d’hôtes sont en majesté et les clients s’y asseyent les uns à côté des autres. Du monde, il en reçoit, et du beau. Acteurs, actrices, hommes politiques. « Les gens sont scotchés par les people. Mais pour un cuisinier, il n’y a pas de différence entre ses clients, car la cuisine abolit les distances. Robert De Niro, qui est venu plusieurs fois (il lui a servi à dîner un petit déjeuner américain revisité), est un client comme un autre. Il n’y a rien de plus intime que de faire à manger pour quelqu’un. C’est l’acte le plus simple et le plus fondamental qui soit. » À le voir en tee-shirt et baskets, avec son toupet de cheveux et sa barbe vaguement branchée, on s’étonne. Une cuisine, n’est-ce pas un escadron qu’il faut diriger à la cravache ? « J’ai gueulé au début, puis je me suis rendu compte que c’était inutile. La hiérarchie, le chef, l’organisation militaire, ce n’est pas pour moi. Ici, nous formons une famille. Je suis même le témoin de mariage d’une collaboratrice sri-lankaise que j’ai aidée à faire venir en France. »
Quand on lui demande de préciser son style, il hésite. « Ne consommer que ce que la terre produit, français dans la mesure du possible. Connaître ses producteurs. Soigner l’esthétique de la table, les assiettes, les couverts. La beauté d’un plat, c’est 50 % de son goût. » Bourlingueur (« je sors de trois tours du monde »), il parcourt la planète pour y dénicher des bols en bambou, des couteaux japonais et des saveurs inédites. « À Tokyo, j’ai pris une claque dans un restaurant de sushis. En Polynésie, j’ai nagé avec une baleine. J’ai traîné dans le désert australien, où la température est telle que les tomates sont noires, séchées, de la taille d’un ongle, mais d’une puissance démentielle. À Hanoï, j’ai écumé les marchés, j’ai regardé un cuisinier ouvrir des palourdes dans un bouillon. Je n’avais jamais vu ça. »
Lui qui s’avoue curieux jusqu’à la boulimie se reconnaît une contradiction. « Avoir pris vingt-six avions en vingt-deux jours pour courir jusqu’en Polynésie n’a pas dû diminuer mon bilan carbone. » C’est un problème, car Jean Imbert est un écolo du quotidien. « Je crois plus important que chacun réfléchisse à ce qu’il consomme plutôt que d’aller coller partout des éoliennes. » Lui s’est constitué un potager de 90 mètres carrés, avec table et cuisine. « C’est mon refuge secret, où j’organise mes dîners entre amis. » Il consomme tout ce qui y pousse. « Je n’apporte au restaurant que les herbes », comme cette fleur de fenouil dont il tire une infusion. Pour le reste, il se fournit chez des cultivateurs triés sur le volet. Il est même allé planter son riz en Thaïlande dans la ferme green Pure Farm. On lui expédiera par la poste. Jean Imbert est un zélateur du mouvement locavore, qui pousse à consommer des produits locaux en priorité .

“J’invente, je trouve mes recettes dans mon bain”
Bientôt, un restaurant avec Éric Kayzer…

Il partage cette sensibilité écolo avec ses amis, dont Mélanie Laurent. Avec elle, il cherche à promouvoir l’éducation à une alimentation saine dans les écoles. Il est proche encore de Marion Cotillard, qui est venue dîner à l’Acajou à son ouverture. « Elle m’a présenté Nicolas Hulot, Pierre Rabhi. Des gens qui vous donnent le frisson quand ils parlent. Quant à Marion, c’est de la poésie. » Pierre Rabhi, qu’on décrit comme le philosophe paysan, l’a marqué. « Il a une voix, c’est un sage. Et ce qui me plaît chez lui, c’est qu’il place l’humain avant l’écologie. » Jean Imbert réfléchit à divers concepts. Il ouvre un restaurant avec son ami boulanger Éric Kayser (2), et il prévoit d’installer une cabane écologique au cœur d’un potager : « Tout sera gratuit. On s’initiera à la bonne bouffe. Le compost servira à produire le gaz et l’électricité nécessaires. » Ouverture prévue en 2016.

Prosélyte, homme de réseaux – son compte Instagram fait un tabac dans toute l’Europe -, Jean Imbert veut démontrer que l’on peut servir de l’excellente cuisine à faible coût. Tous les midis, on peut déguster dans son restaurant, et pour 20 euros, un plateau qui réunit cinq préparations différentes. « La vaisselle vient de chez Bernardaud, le plateau en bois est fabriqué chez Dior. Je ne gagne pas d’argent là-dessus, mais c’est pédagogique. » Et c’est délicieux : polenta, moules de bouchot, safran, curry, brandade de merlan, citron niçois confit, quinoa bio d’Anjou, aubergine, trois carottes …, avec en sus un dessert à se pâmer : figue fraîche, glace au poivre, nougatine et mousse au chocolat blanc.
« J’innove, j’invente. Je trouve mes recettes dans mon bain. Un de mes amis m’avait procuré un potiron. Le premier de la saison. Je l’ai laissé mûrir. Je ne savais qu’en faire. Puis je me suis dit : et si je faisais des fraises avec une glace au potiron et ma mousse de chocolat blanc. Je l’ai servi au président. Il ne s’en est jamais plaint. »
Jean Imbert est un cuisinier qu’on s’arrache : il redéfinit en ce moment le menu du dernier bateau à roue du Nil ; il est parti cuisiner pour Robert De Niro, acteur du documentaire de JR, The Ghosts of Ellis Island ; et puis, surtout, il a concocté un repas mémorable, servi au Stade de France à Beyoncé et Jay Z. « On m’appelle. J’arrive. Je suis entouré de managers, d’attachés de presse, de gardes du corps qui me mettent une pression terrible. Je me dis, je vais faire une connerie, un truc auquel ils sont allergiques. Ils vont tomber malades, le concert va être annulé, 80.000 personnes vont devenir raides dingues, je vais terminer en taule. » Stress de star.

Jean Imbert, cuisine intime
Chaque plat est lié à son histoire familiale ou à une rencontre hors du commun. Du pâté de lapin de Mamie Nicole à l’omelette qui a soufflé Jamie Oliver, en passant par le repas servi à Beyoncé et Jay Z au Stade de France, les souvenirs se succèdent au rythme des recettes. Un carnet de bord qu’on dévore page après page.
Cuisine intime. Les Recettes de ma vie, par Jean Imbert, préface de Jamie Oliver, éd. Flammarion.

Les recettes de Jean Imbert s’inspirent toujours d’une histoire, d’une rencontre, d’un souvenir de famille. « Je suis obsessionnel. Ma compagne me dit que je ne pense qu’aux repas. C’est vrai. J’en ai quatorze par semaine et je les peaufine. » Cuisinier, Jean Imbert le sera toute sa vie. « La cuisine m’a tout donné. » La cuisine continue de l’émerveiller. « Le véritable aventurier est toujours au commencement », a déclaré le philosophe Vladimir Jankélévitch. C’est son cas. « Je suis toujours un enfant », conclut-il. C’est un privilège d’artiste. Même en mangeant de la soupe, Jean Imbert ne grandit pas. Et c’est très bien comme ça.

Ses 5 destinations favorites

Les Sables-d’Or-les-Pins, en Bretagne. « Mon village. J’y retourne toujours. Mon poisson en provient. »
Le Nil, entre Assouan et Louxor. « En hommage à la lenteur des bateaux à roue et à vapeur. Et parce que je crains que cette beauté disparaisse. »
TeTiaroa, en Polynésie. « Où j’ai nagé avec une baleine de 15 mètres de long. »
Kangourou Island, en Australie. « Où 4 000 personnes vivent sur un territoire grand comme l’Île-de-France, au milieu d’un demi-million de kangourous. Pour jouir du sentiment rare d’être là où l’homme n’a encore rien détruit. »
La ferme de Jamie Oliver, dans l’Essex. « Mon idéal de vie, un potager au milieu des champs, des framboises, des fraises, des poireaux, des poules, un four à bois. Le bonheur. »

(1) L’Acajou, 35 bis, rue Jean-de-la-Fontaine, 75016 Paris.
(2) Les Bols de Jean, 2, rue de Choiseul, 75002 Paris.

Madame Figaro

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