Du Japon au Beaujolais, l'école des futurs chefs

Au bout d'une route perdue au milieu des vignes du Beaujolais, un panneau en japonais, aussi incongru qu'inattendu, indique l'école Tsuji. C'est ici que la crème des futurs chefs japonais vient se former à la cuisine française.

Du Japon au Beaujolais, l’école des futurs chefs

 

« Bucler, c’est flamber le poulet en lyonnais ! »

 

Du Japon au Beaujolais, l'école des futurs chefs

Dans le laboratoire de pâtisserie du château, les élèves japonais s’initient aux tartelettes et autres petits gâteaux. Dans le laboratoire de pâtisserie du château, les élèves japonais s’initient aux tartelettes et autres petits gâteaux. | Aurélie Roperch

Chalumeau à la main, Aimé Nallet élimine les derniers poils de la volaille. Silence dans la salle. Le patois culinaire n’a pas encore été étudié en classe de français par les quarante-six élèves japonais qui assistent à la démonstration. L’homologue nippon du chef français est heureusement là pour traduire les secrets du poulet basquaise. Prise de notes studieuse.

Le professeur de cuisine française, meilleur ouvrier de France en 1997, embraye : « Qu’est ce qu’une tomate portugaise ? On l’a déjà vu. » Les poivrons verts et rouges sautent dans la poêle pendant que Mikihisa Adachi, du haut de ses 19 ans, se hasarde à répondre. Le chef est satisfait. Le jeune de Niigata, comme tous les étudiants de la session d’été, est arrivé au château de l’Éclair de Liergues (Rhône) début avril.

Au milieu des vignes du Beaujolais, les panneaux en japonais qui annoncent l’établissement détonnent, mais n’étonnent plus les riverains. Deux fois par an, depuis 1981, quelques dizaines de futurs chefs investissent le château néogothique du XIXe siècle pour cinq mois de formation. Après une première année à Osaka ou Tokyo, ces étudiants de l’école hôtelière Tsuji – la plus grande du monde, avec plus de 3 000 élèves inscrits chaque année – s’y spécialisent en cuisine ou pâtisserie française.

« Leur goût est différent, commente le chef Nallet après la démonstration estivale de l’après-midi. Il faut tout leur apprendre des saveurs de la cuisine française, depuis les bases. » Sur l’archipel japonais, point de sel pour relever les plats. La sauce soja est le principal condiment. « Mais ce sont des élèves très impliqués et appliqués, continue le professeur. Ils ont beaucoup de révérence pour les bons produits et apprennent vite. »

Avant d’atteindre les étoiles, les journées au château de l’Éclair commencent à 7 h 30. Avec les viennoiseries préparées par une partie des futurs pâtissiers. Suivent cours de français, mise en place de la salle et, surtout, préparation du déjeuner. « La difficulté va croissante pendant cinq mois, souffle Vincent Durant, responsable de la pâtisserie, en surveillant la réalisation d’un saint-honoré à la framboise. Maintenant, pour la fin du classeur de recettes, plus rien n’est traduit en japonais. »

Du Japon au Beaujolais, l'école des futurs chefs

Le mariage de deux traditions

Dans le laboratoire de pâtisserie, après les tartelettes et les petits gâteaux, les Japonais se sont initiés aux gâteaux à partager, « avec découpe en salle », puis aux desserts en assiette et aux verrines. Après le service du soir et sa cuisine « plus familiale », les journées se terminent à 19 h, après un tour de cadran.

« Mais les élèves ont l’habitude de se retrouver dans la foulée pour des meetings, s’amuse le chef Nallet avec une pointe de fierté. Ils font le point sur la journée et préparent celle du lendemain entre eux. »

Les étudiants de la session d’été ont presque fini leur temps au château, comme Mikihisa Adachi et sa tomate portugaise, ou Chisano Sara, 19 ans également, qui s’étonne encore « des aubergines ou des soles, qui sont bien plus grandes que celles du Japon ! » Le dépaysement se prolongera mi-septembre, avec cinq mois de stage dans des établissements prestigieux.

Dans l’Ouest, le Domaine de Rochevilaine, à Billiers (Morbihan), le restaurant de la Vieille Tour, à Plérin (Côtes-d’Armor), et le château de Noirieux, à Briollay (Maine-et-Loire) – tous trois étoilés -, accueilleront chacun un jeune Japonais.

« La majorité d’entre eux deviendront ensuite chefs dans des restaurants au Japon, brosse Pierre Béal, le directeur de l’école. Mais, depuis dix ans, de plus en plus reviennent en France. Des grands chefs nous contactent directement pour trouver un second. » Les anciens de Tsuji ne se comptent plus dans les cuisines étoilées, comme aux Crayères, à Reims, ou dans la brigade du Sur-Mesure de Thierry Marx, à Paris. D’autres ouvrent leur propre table, à l’image de Fumio Kudaka, à Cancale (Ille-et-Vilaine).

« Au départ, c’était extrêmement difficile, se rappelle le chef de la Table Breizh Café, passé par le Château de l’Éclair, en 1984. Il fallait tout apprendre en même temps, de la cuisine au service, en passant par le français ! » Étoilé en 2012, soit deux ans après l’ouverture, le chef Kudaka a de « superbes souvenirs » de sa formation, notamment « les rencontres avec les chefs français de la région, à commencer par Paul Bocuse ».

« Ces chefs japonais apportent énormément à la gastronomie française, reprend le directeur. De nouvelles nuances, de nouvelles structures, des cuissons et des saveurs différentes, issues d’une culture culinaire très forte. »

Le mariage des deux traditions – le savoir-faire japonais et l’héritage français – s’exprime sur la carte bretonne de Fumio Kudaka. En deux langues, les tempuras de homards des îles Chausey y précèdent le canard de Challans, les haricots de Paimpol et le yuzu du Japon.

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