Disparition de Pierre Bellon, fondateur et bâtisseur du géant mondial Sodexo

« Ma force, c’est l’observation et la compréhension des faits à partir desquels il est possible de comprendre ce qui va se passer. C’est pour moi un élément tout à fait déterminant. » « Avant d’être grand, il faut être petit. C’est là toute ma philosophie. La réussite est un long cheminement. » (Extraits de son livre Servir et faire grandir, édition Manitoba).

 

Pierre Bellon était le patron le plus riche de la branche Hébergement Restauration. Il caracolait en tête du classement qu’HR-infos établit chaque année depuis 2008 sur les grandes fortunes de la profession, à l’appui de l’enquête du magazine Challenges et de nos propres vérifications. Détenteur avec sa famille de 42,8 % du capital de Sodexo, sa fortune s’élèverait à plus de 5 milliards d’euros, sur la base d’une valorisation de son groupe à 12 milliards.

Mais sa fortune professionnelle, Pierre Bellon ne la devait ni à l’héritage, ni à la rente, ni à l’investissement spéculatif. Le Marseillais l’a édifiée en industriel visionnaire. En participant, avec une poignée d’autres pionniers du secteur, à l’invention de nouveaux services basés sur l’externalisation.

Le tout premier des nouveaux métiers de la sous-traitance qu’il lança, en 1966, fut la restauration d’entreprise concédée. Se faire servir plutôt que d’apporter sa « gamelle », ce nouveau modèle social a connu le succès que l’on sait auprès des salariés et des employeurs. Vinrent également précocement les titres restaurant, plus largement les titres de services ainsi que la gestion des bases vies. Avant le grand tournant du facilities management, qui combine services à la personne, services à l’activité et services à l’immeuble.

Volonté absolue d’indépendance financière 

Cette vision entrepreneuriale était associée à une volonté absolue d’indépendance financière. Pierre Bellon et sa famille ont toujours contrôlé le capital de leur groupe. Y compris lorsqu’il a fallu financer les rachats en 1995 de Gardner Merchant en Grande-Bretagne et Partena en Suède. Puis, en 1997, de Marriott Management Services aux Etats-Unis. Ces acquisitions permirent à l’entreprise de doubler de taille et de devenir leader mondial, avec Compass, de la restauration collective.

Cette indépendance était le corollaire nécessaire à la maîtrise des choix stratégiques de Pierre Bellon. Elle explique sans doute l’atypique éventail d’activités chez Sodexo, peu consommatrices, il est vrai, de capitaux. Le groupe français gère une centaine de services différents. C’est beaucoup…

Ce serait sans doute beaucoup trop aux yeux de fonds d’investissement, qui chercheraient à revendre rapidement des branches entières. Une option que Sodexo n’a jamais envisagée. Sauf, très localement, en cas de pertes ou de faible rentabilité. Ce qui l’a conduit à céder l’an dernier le contrôle de son réseau de crèches privées à Grandir. Et celui de Rydoo (solutions dédiées aux voyages professionnels) à Marlin. Ou encore à vendre le cabaret Le Lido à Accor.

A l’inverse, l’activité étant très rentable, Sodexo envisage même, pour se désendetter, de céder une part minoritaire (30 %) de ses activités Avantages et Récompenses (carte restaurant, chèques et cartes cadeaux…), qui ont toujours été l’un de ses principaux moteurs de croissance.

Sa succession assurée depuis 2016

Ces cessions, de petites dimensions, ne remettent pas en cause les fondements et les fondamentaux du groupe. Pierre Bellon laisse derrière lui un groupe solide et résilient, malgré la crise sanitaire, avec une stratégie claire et un capital verrouillé par sa famille pour au moins 50 ans.

« J’ai toujours été guidé par le souci de l’unité familiale et de l’indépendance pour assurer la pérennité et ne pas tomber entre les mains d’un groupe industriel et financier,  déclarait Pierre Bellon au Figaro en décembre 2013, commentant la succession à venir de sa fille Sophie en 2016 à son poste de président du conseil d’administration. Je n’ai jamais accepté les dérives d’un capitalisme financier qui a l’obsession des résultats trimestriels et de la plus-value à court terme. J’en connais des entreprises et des entrepreneurs dont les familles se sont battues… C’est la raison pour laquelle ma femme, mes quatre enfants et moi avons signé il y a un an et demi  (NDLR : 2011) une convention pour cinquante ans, qui engage donc aussi mes treize petits-enfants. Aucun de nous ne pourra vendre ses titres en dehors de la famille »

Ses titres

Entré en 1958 à la Société d’Exploitations Hôtelières, Aériennes, Maritimes et Terrestres comme Attaché de Direction, Pierre Bellon y exerce ensuite successivement les fonctions de Directeur Général, puis de PDG.
Il fonde, en 1966, Sodexo S.A., société dont il a été PDG jusqu’au 31 août 2005. À la suite de la décision prise par le Conseil d’Administration de dissocier les pouvoirs du Président et du Directeur Général, Pierre Bellon est nommé à partir de cette date
et ce, jusqu’à l’Assemblée Générale du 26 janvier 2016, Président du Conseil d’Administration de Sodexo. Depuis cette dernière date, il était Président d’honneur.
PDG de Bellon SA depuis 1988, il en devient ensuite Président du Directoire de 1996 à 2002 puis Président du Conseil de Surveillance à partir de février 2002.
Il a été par ailleurs :

    • Vice-Président du CNPF, puis du MEDEF de 1980 à 2005
    • Président National du Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprises (ex-Centre des Jeunes Patrons) de 1968 à 1970
    • Président du Syndicat National des Chaînes d’Hôtels et de Restaurants de 1972 à 1975
    • Membre du Conseil Économique et Social de 1969 à 1979

Témoignages

 Sophie Bellon, présidente du conseil d’administration et directrice générale du groupe par intérim

  «Notre père était un bâtisseur, un pionnier, un esprit libre que la prise de risque n’a jamais effrayé.».

Michel Landel, 33 ans dans le groupe dont douze comme directeur général (2005-2017)

 «Pierre Bellon était un homme de cœur, un homme drôle et passionné avec des valeurs extrêmement fortesC’était un homme qui aimait les gens, un des plus grands entrepreneurs français, qui avait une détermination hors du commun. Il a créé cette entreprise merveilleuse, en créant énormément d’emplois, ce qui était sa priorité».

Damien Verdier, ancien cadre dirigeant et président du Groupement des professions de services

«Je suis rentré en 1978 chez Sodexo pour mon stage de fin d’étude. Je pensais y rester trois ans, j’y ai passé 42 ans, dont quinze au comité exécutif. Pierre avait une vision de long terme extraordinaire, tout en étant passionné par le terrain. Il s’appuyait sur des faits. Il bâtissait plus sa vision sur les évolutions démographiques, que celles des PIB. Pierre Bellon avait tout de suite compris que les services prendraient une importance considérable dans l’économie. Il avait cette idée incroyable que Sodexo était là pour améliorer la qualité de vie des salariés dans l’entreprise, des étudiants, des enfants à l’école, des personnes âgées en maison de retraite…»

François Pinault, fondateur d’Artémis et Kering

« Je suis très triste d’apprendre la disparition de Pierre Bellon. lI était mon ami. Je l’ai connu il y a plus de trente ans. C’était un entrepreneur humaniste, progressiste et très attentif au rôle de l’entreprise dans la société. Sur un plan plus personnel, c’était un homme attachant et fidèle, il était d’une grande simplicité et avait une épaisseur humaine rare dans le milieu des affaires. Mes pensées vont à sa famille ».

Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef

«Pierre Bellon a été un de mes mentors au Medef,Il m’a aidé, parrainé. C’est en partie grâce à lui que je suis devenu président du Medef. C’était quelqu’un de très joyeux et passionné, avec un fort engagement militant. C’est lui qui a inventé la semaine école et entreprise. C’était un bon vivant, à la fois très simple et très direct. Avec Antoine Riboud, il fait partie de cette génération de patrons qui a repensé l’entreprise. Il l’a fait pour Sodexo et pour le Medef».

 Laurence Parisot, présidente de la banque d’affaires Citi France, présidente d’honneur du Medef

«Pierre Bellon est l’un des plus immenses patrons français, Son œuvre est extraordinaire, car il a inventé un nouveau métier, celui du service qui a le culte du client. Il a joué un rôle majeur dans le patronat français. Il était souvent en bagarre avec le monde de la finance, capable de s’opposer aux banquesJe me souviens un jour à l’université de l’été du Medef d’une conversation très vive entre lui et le président d’une grande banque, Pierre Bellon demandant au banquier d’être moins court-termiste et plus entrepreneurial. Il était très investi et très généreux».

Anne Méaux, fondatrice de l’agence de communication Image 7, qui a travaillé pour sa holding familiale

«Pierre Bellon avait une bonhomie malicieuse. Il était très avenant et remarquablement intelligent. C’était un de ces patrons visionnaires. Il a investi et développé Sodexo de façon époustouflante».