Des restaurants dans le plus simple appareil

Tel doit être le sens de ces décors néo-néants, remonter à la source, écouter le babil premier,

Des restaurants dans le plus simple appareil

Ils nous sortent du puits, comme la vérité. Tout nus. Hébétés. Ce sont ces nouveaux restaurants construits de briques et de broc. Une sorte de cri primal poussé en métal brossé, béton, poutres et ferrailles. Ces restaurants desquamés enchantent une clientèle pigeant tout de suite, dans cette déconstruction — plus proche de Jacques Derrida que de Valérie Damidot —, le nouveau chant de la gastronomie. Celle de plats surgis de l’âge de la pierre, crus, barbares, presque maudits.

 

Des restaurants dans le plus simple appareil

C’est la cucina povera dans sa noblesse rupestre. Ils sont effleurés, tournés à la main, finis au chalumeau, jamais maquillés (nude). On ose à peine les tutoyer. Ils vous regardent droit dans les yeux. C’est le chant originel, là où la carotte émet ses premières diphtongues. Elle est servie bien entendu avec ses fanes. Il s’agit donc de travailler la péréquation. Aligner un décor cohérent à cette philosophie du brutalisme, le brut de décoffrage, ou, si vous préférez, le « romantisme du mal foutu » cher à Le Corbusier.

La clientèle elle-même est gagnée par cette esthétique de la décroissance : barbe de trois jours, cheveux sur les épaules, vêtements roots, vocabulaire éraflé, allusif, intuitif (pas trop d’expression, mais du sens). Si certaines adresses imitent le genre (le « fake » ambiant), quelques tables à Paris (dont Dersou, rue Saint-Nicolas) sont dans leur jus, leur authenticité. Le message est clair, palpable, tactile. L’ambiance fin de chantier, où l’on ne serait pas étonné de croiser des plâtriers cantinant, rappelle que les nourritures dans leur ébauche n’ont jamais été aussi proches d’elles-mêmes.

Francesco Bongiorno pour M Le magazine du Monde
Tel doit être le sens de ces décors néo-néants, remonter à la source, écouter le babil premier, débarrasser jusqu’aux murs rabotés, pelés jusqu’au parpaing. On est au bord de traverser le miroir, tomber dans une autre époque. D’où cette impression délicieusement confuse lorsqu’on sort de ces tables. On est comme passé à la pierre ponce, virginal, un brin pompette (le cocktail a remplacé le verre de vin). Bref, on est au XXIe siècle.

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