Décrocher un emploi est avant tout une question de contacts

Les réseaux personnel et professionnel font leur retour alors que les employeurs se noient dans les candidatures en ligne

983 personnes ont candidaté à une offre d’emploi publiée récemment par le recruteur en tech Rob Tansey. La personne qui a obtenu le poste n’en faisait pas partie.

M. Tansey, qui chasse de nouvelles recrues pour le fabricant de logiciels d’aviation Veryon, a reçu six recommandations par une femme qu’il a rencontrée lors de ses précédentes recherches. L’un d’eux est rapidement devenu le favori. Tel est le mode opératoire du recruteur : il estime que seulement 40 % des individus recrutés arrivent à froid via le portail de recrutement de son entreprise. 

« L’idéaliste en moi voudrait jeter un œil à tous les CV, admet-il. Mais c’est impossible. » 

L’utilisation du réseau est de retour. Alors que le nombre de candidatures a explosé ces dernières années, la clé pour obtenir un poste est souvent ce contact personnel qui vous aidera à sortir votre CV de l’ombre informatique pour le montrer à une vraie personne. 

Derrière cette résurgence se trouve la frustration des recruteurs face à la corvée du numérique qui ralentit le recrutement aux Etats-Unis. Beaucoup d’entre eux, ainsi que des employés, s’accordent à dire que la facilité avec laquelle les chercheurs d’emploi peuvent répondre aux offres a brisé le processus de candidature en ligne, en créant un grand nombre de candidats que les responsables de recrutement ne peuvent espérer trier. De leur côté, les candidats affirment que les outils de présélection automatique les empêchent d’accéder à certaines opportunités.

Se fier aux recommandations de ses contacts menace de miner les efforts de diversité en entreprise, qui devraient être encouragés par les candidatures en ligne. Les logiciels promettaient de démocratiser le recrutement en réduisant les biais humains, mais ces plus grands réservoirs de talent ont submergé les employeurs au point de les pousser à revenir aux méthodes qui ont fait leurs preuves dans le passé.

Pour promouvoir l’utilisation de ces contacts, certains employeurs comme le géant des logiciels Dassault Systemes, ont augmenté leurs récompenses en argent pour les employés dont les recommandations ont mené à des recrutements. D’autres, comme l’université de Miami et son système de santé qui compte 20 000 employés, ont lancé de nouveaux programmes de bonus. Les logiciels de recrutement peuvent permettre aux entreprises d’identifier les candidats recommandés et de les classer au-dessus des autres. 

Que ces recommandations soient en interne ou pas, les avantages sont conséquents, selon des données récoltées par l’entreprise de logiciels de recrutement Greenhouse. Pour les postes affichés sur les sites d’emploi de Greenhouse et pourvus au cours du premier trimestre de cette année, les candidats recommandés avaient 50 % de chances de passer la première étape de recrutement, contre 12 % pour les autres.

30 % des potentielles recrues étaient recommandées, même si elles ne représentaient que 5 % de l’ensemble des candidatures. 

« Les candidats cherchent désespérément à être remarqués, alors ils demandent comment tricher et comment se démarquer des autres, affirme Jon Stross, le cofondateur de Greenhouse. Ayez quelqu’un pour appuyer votre candidature. Ceci augmente considérablement vos chances d’être retenu. » 

La course à l’IA est une source de frustration

Ce regain d’intérêt pour le recours au réseau survient alors que les candidats et les employeurs ont du mal à s’y retrouver dans les logiciels qui dominent aujourd’hui le recrutement.

Les entreprises sont submergées de candidats, en partie parce que de nombreux demandeurs d’emploi s’appuient désormais sur ChatGPT et sur des robots pour envoyer de gros volumes de CV, ou utilisent d’autres raccourcis tels que le bouton « postuler facilement » de LinkedIn.

Certains responsables des ressources humaines se lamentent de voir les lettres de motivation se ressembler, comme si elles avaient été écrites par le même robot. 

Les candidats s’énervent lorsqu’ils appuient sur le bouton « envoyer » et ne reçoivent aucune réponse — et parfois, même lorsqu’ils en ont une. Amanda Palasciano, de Red Bank dans le New Jersey, a obtenu un entretien pour le poste de copy-manager alors qu’elle cherchait un emploi dans le secteur de la publicité. Le problème était que son recruteur était un avatar, et non un humain. 

La réunion par vidéo était étrange. L’Américaine de 42 ans avait peu de temps pour enregistrer sa réponse à chaque question. Elle ne savait pas où regarder. Puis, elle a rapidement été rejetée. 

« Cela m’a donné un mauvais aperçu de l’entreprise, dit-elle. Si elle accorde davantage de confiance à des outils flambant neufs plutôt qu’à des personnes, ce n’est pas l’endroit idéal pour moi. »

Elle a décidé après cela d’arrêter de candidater en ligne et a commencé à demander à ses anciens collègues à propos d’offres à mi-temps, en espérant pouvoir en convertir un en temps plein.

« La porte d’entrée est fermée, affirme-t-elle. Alors il faut passer par-derrière, sinon on ne peut pas travailler. » 

La qualité plutôt que la quantité

Lindsay Broveleit, vice-présidente de l’agence de marketing Matato, ne s’est pas embêtée à publier une offre d’emploi lorsqu’elle avait besoin de recruter un nouvel employé récemment. 

Elle craignait qu’une annonce sur Linkedin ou sur le site de l’entreprise lui apporte une multitude de candidatures de mauvaise qualité — et elle se demandait à quel point celles améliorées par l’IA étaient fiables. 

« Il y a quelques années, j’aurais définitivement préféré la voie électronique, admet-elle. Mais pas aujourd’hui. Nous ne voulons pas beaucoup de candidatures, nous en voulons des bonnes. » 

Elle a envisagé de puiser dans ses contacts et ceux de ses collègues pour recruter, puis elle a changé d’avis — même ces canaux sont devenus sursaturés de relations de premier et de second degrés à la recherche d’un emploi.

Les employés sont « inondés de gens qui leur demandent de les aider à trouver des postes vacants », dit-elle.

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Elle a donc fait appel à une agence de recrutement.

Qu’elles fassent appel à des agences ou à leurs propres employés, de plus en plus d’entreprises se tournent vers des personnes pour examiner les candidats potentiels.

Laserfiche, un fabricant de logiciels de gestion de contenu, a mis en place depuis longtemps un programme de recommandation par les employés et s’est engagé à nouveau à contacter toutes les personnes recommandées par un employé.

Selon Jenny Bode, vice-directrice des ressources humaines, cette démarche ne garantit pas qu’une offre sera faite, mais c’est une chance pour les candidats ayant des expériences peu conventionnelles de se faire valoir. Avec environ 400 candidats pour un poste type, cette opportunité n’est pas donnée à tout le monde.

Mme Bode apprécie les recommandations, en partie parce que l’une d’entre elles lui a permis d’arriver chez Laserfiche en 2022. Elle n’était même pas à la recherche d’un emploi lorsqu’une ancienne collègue avec laquelle elle était restée en contact lui en a parlé.

« Elle m’a contactée et m’a dit : «J’ai un poste vacant. Veux-tu passer un entretien ?» », raconte-t-elle.

Alison Mincey a introduit des primes de recommandation pouvant aller jusqu’à 2 500 dollars lorsqu’elle est devenue directrice des ressources humaines à l’université de Miami en 2022. Elle estime qu’une embauche sur dix commence aujourd’hui par la recommandation d’un employé. Le programme, selon elle, contribue également à la fidélisation du personnel : les employés sont plus engagés lorsque leur contribution est appréciée, et les nouveaux arrivants sont plus susceptibles de rester et de s’épanouir lorsqu’ils connaissent déjà un collègue.

Un système imparfait, mais indispensable

Sur la plateforme de Greenhouse, le logiciel propose aux employés d’« envisager de recommander des personnes issues de milieux sous-représentés ». 

Ceci peut être un défi. Les gens ont tendance à connaître et donc à recommander des personnes qui leur ressemblent, explique Ruth Thomas, directrice de recherche pour l’entreprise de management PayScale. (PayScale elle-même a récemment doublé sa part habituelle de nouveaux recrutements obtenus grâce à des recommandations, pour la porter à 30 %).

S’appuyer sur son réseau a tendance à renforcer les déséquilibres démographiques. Selon un sondage réalisé par PayScale sur 53 000 employés, les hommes blancs obtiennent un emploi et une plus grosse promotion grâce à des recommandations que les autres, parce qu’ils ont plus de chance d’être soutenus par des responsables. 

Les recruteurs peuvent par exemple se dire : « Il faisait partie de mon club à l’université de Princeton, donc forcément, c’est quelqu’un de bien », résume John Horton, un professeur à la Sloan School of Management de MIT, et l’auteur d’un article académique sur l’usage de l’IA dans le recrutement. « Si les gens commencent à s’éloigner d’un marché ouvert, et que cela se fait surtout par le biais de connaissances et de références, ce serait une mauvaise chose. »

Cisco Systems s’appuie de plus en plus sur les recommandations pour recruter. Mais l’entreprise d’équipement de réseau sait que cette approche peut aller à l’encontre des efforts de diversité. Elle a donc également lancé une initiative visant à embaucher davantage de personnes de couleur et de travailleurs non diplômés, selon Macy Andrews, vice-présidente de la stratégie de marque pour People and Purpose. Ce projet vise à identifier les candidats possédant des compétences transférables, plutôt que d’exiger des études supérieures. Jusqu’à présent, Cisco a recruté plus de 100 personnes dans le cadre de cette initiative.

L’entreprise cherche également à réduire le nombre de candidatures en ligne par d’autres moyens. Les recruteurs de Cisco se rendent désormais sur les campus universitaires avec des lettres d’offre d’emploi pré-imprimées, afin d’embaucher les étudiants qui font bonne impression.

« Il s’agit là d’un point plus important : le fait d’envoyer des CV et d’en examiner des milliers, voire des millions, n’est pas la voie de l’avenir », déclare-t-elle.

Pas de contact, pas de chance

Samuel Joynson, de Venice en Floride, a entrepris une recherche d’emploi très sophistiquée lorsqu’il a perdu son poste en raison d’une réorganisation de son entreprise. Il s’est servi de ChatGPT pour parfaire son CV et rédiger des ébauches d’emails et de lettres de motivation. 

Sa façon d’écrire ne ressemblait pas à la sienne, alors il a changé d’approche. 

A 28 ans, cet Américain a fini par écrire ses propres lettres et emails, consacrant environ deux heures par candidature. Il s’est également mis à contacter toutes les personnes du secteur de la tech qu’il connaissait, y compris chez Apple, Google et Microsoft. Lors des appels, il les a interrogés sur leur expérience au sein des entreprises, sur leur environnement de travail et sur les politiques en matière de travail à distance.

« J’ai adopté une approche aussi humaine que possible », explique-t-il.

Sa stratégie old-school a payé. De nombreuses conversations l’ont amené à rencontrer d’autres employés au sein des entreprises qu’il visait. Il a décroché un poste et a commencé à travailler en tant que gestionnaire principal de programmes techniques chez Microsoft en avril.

A 40 ans, Francisco Denis a récemment découvert que les relations —ou leur manque— peuvent faire toute la différence. Il raconte qu’il était finaliste pour un poste de chef de projet chez Disney, mais qu’un recruteur lui a dit que l’entreprise avait décidé d’embaucher quelqu’un qui avait déjà travaillé chez eux et qui pouvait s’intégrer rapidement.

M. Denis a candidaté en ligne pour plus de 100 postes cette année après s’être remis de l’échec de sa start-up. Ses efforts ne lui ont rapporté qu’une poignée d’entretiens, un changement radical par rapport à il y a quelques années, lorsqu’il était couramment contacté par des chasseurs de têtes. Pour la première fois de sa carrière, il consacre de l’énergie à la constitution de son réseau, reprenant contact avec d’anciens collègues de travail dans des entreprises qu’il aimerait rejoindre. Il partage souvent son CV et décrit sa recherche d’emploi laborieuse pour montrer qu’il ne cherche pas la charité.

Pourtant, même un système qui repose sur les relations humaines peut être détourné. Sur Fishbowl, une application permettant de se défouler sur le lieu de travail et d’obtenir des conseils en matière de carrière, les utilisateurs ont créé un forum intitulé « Job Referrals ! » (Recommandations d’emploi). Il a attiré des centaines de milliers de membres cherchant à obtenir l’aval de personnes qu’ils ne connaissent pas.

« Quelqu’un serait prêt à me recommander auprès d’Amazon ? », a posté un utilisateur.

Au lieu d’une poignée de main ou d’une carte de visite, un autre a proposé un emoji : « Je cherche un parrain pour Spotify, merci d’avance 🙂 ».

Les fausses recommandations peuvent s’avérer gagnantes pour ceux qui les donnent et ceux qui les reçoivent. Les candidats bénéficient d’un avantage et, s’ils sont embauchés, leurs parrains peuvent avoir droit à des primes de parrainage.

Les entreprises qui ont fait l’offre ? Elles se retrouvent avec une nouvelle stratégie d’embauche qui n’est pas fiable.

Traduit à partir de la version originale en anglais par Lola Ovarlez

Source L’Opinion

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