CHR : la communication des organisations professionnelles en question

Car l’hôtellerie et surtout la restauration, on aime les détester ou on déteste les aimer. C’est selon.

CHR : la communication des organisations professionnelles en question

Omniprésentes dans les médias, les organisations professionnelles de l’hôtellerie et de la restauration peinent à y convaincre et à séduire, car leur communication utilise des arguments mal choisis et trop tournés vers leurs adhérents.

CHR : la communication des organisations professionnelles en question

Taxe de séjour, accessibilité, Airbnb, Booking et autres OTAs, TVA qui baisse puis qui remonte, fait-maison, statut d’artisan des restaurateurs, violence en cuisine, sites de commentaires de consommateurs,… ouf ! Ce ne sont pas les sujets qui manquent pour occuper les organisations professionnelles des Café-Hôtels-Restaurants (CHR).

Elles sont sur tous les fronts, vont et viennent dans les bureaux des députés et sénateurs, dans les ministères, dans les administrations centrales, lancent communiqués de presse sur communiqués de presse, “lobbyisent” à leur manière… Et, il faut bien le dire, les syndicats hôteliers travaillent mieux leurs dossiers qu’il y a encore quelques années où il suffisait de râler publiquement en montrant ses biceps et d’évoquer les sujets façon café du commerce pour faire croire que l’on agissait.

Travailler les dossiers exige ténacité, force de persuasion, travail, voire ruses, pour passer. Ils sont par ailleurs sans doute de plus en plus techniques.

Le premier souci des organisations professionnelles ? Soyons clair, c’est plaire à leurs adhérents, en attirer de nouveaux, faire entrer de l’argent dans les caisses et aussi chercher à prendre la lumière au syndicat adverse. Puisque désormais deux camps s’opposent farouchement et se concurrencent : l’Umih avec le GNC (chaînes hôtelières) et le GNI (regroupant quatre organisations professionnelles d’indépendants).

Et la défense et le progrès de la profession ? Les avis sont plus partagés sur ce point. Comme partout, on trouve des syndicalistes sincères dans l’acte militant et d’autres qui ont d’autres préoccupations et horizons plus personnels…

Attaques tous azimuts
Mi-février 2015, l’Umih écrivait au Premier ministre dans une de ses énièmes revendications pour lutter contre la concurrence déloyale. Un thème comme tant d’autres qui chauffe les esprits. Ses confrères du GNI suivent la même démarche sur les mêmes sujets. Sur LCI le 1er mars 2015, le président du GNI était invité à répondre à plusieurs questions des journalistes. Bien qu’éloquent, il doit essuyer les sarcasmes des deux interviewers à propos des arguments qu’il présente. On a pu les trouver désagréables mais ils étaient surtout incrédules.

Ce n’est qu’un exemple, car les organisations professionnelles des CHR sont omniprésentes dans les médias. Les journalistes les voient comme de bons clients.

Car l’hôtellerie et surtout la restauration, on aime les détester ou on déteste les aimer. C’est selon.

Une injustice ? Oui, probablement, car le secteur n’a jamais eu à endurer autant d’attaques, de contrôles, de contestations, de nouvelles réglementations et de lois presque toujours coûteuses, de changements incessants dans la fiscalité (comme dans les autres secteurs), de contraintes de toutes sortes… tandis que parallèlement, la conjoncture ne lui fait pas de cadeaux et que ses entreprises peinent de plus en plus à s’en sortir économiquement. Durant ces 3 dernières années, 1.900 hôtels ont fermé définitivement d’après nos constats et près de 6 restaurants chaque jour, contre 3 créations.

Alternant les rencontres avec les pouvoirs publics et les communications dans les médias, la stratégie — classique — des syndicats hôteliers consiste à utiliser la presse pour faire pression sur les décideurs politiques. En temps normal cela fonctionne parfois quand la mayonnaise prend et monte, comme pour d’autres branches d’activité. Mais pour les CHR, cela fait comme un effet boomerang avec un retour douloureux sur la tête.

Pourquoi ? Uniquement à cause d’un sérieux problème de communication. Les représentants des CHR, aussi justifiées soient leurs démarches, ne parviennent pas à convaincre car ils n’utilisent pas les bons angles de communication.

Leurs arguments sont la plupart du temps médiocres, mal choisis, incohérents ou encore à côté de la plaque. Pour convaincre il faut choisir les bons moyens et les mots justes. Nos représentants de la branche hôtelière donnent l’impression d’aller chasser le bison avec une canne à pêche.

Des exemples de mauvaise communication ?
• On pensera immédiatement au traitement faisant suite à la baisse de la TVA en restauration où tous les syndicats de restaurateurs ont dit tout et n’importe quoi, sauf la vérité, sur le bénéfice de la réduction fiscale pour les consommateurs. Cela s’est vu. L’opinion et les médias n’étaient pas dupes. Depuis ce moment d’égarement dû à une impréparation flagrante, si les restaurateurs avaient gagné de l’argent sur le coup, ils le paient aujourd’hui très cher et la mauvaise image due à ce dérapage persiste.

La guerre contre Airbnb, qui a pris le relais de celle contre les chambres d’hôtes. On recense déjà à Paris près de 40.000 appartements à louer via ce site contre 78.000 chambres d’hôtels. Les syndicats hôteliers exigent la taxation de ce phénomène nouveau favorisé par Internet au nom de l’équité dans le traitement des conditions d’exercice. Il rêveraient évidemment sa disparition pure et simple, mais c’est bien sûr inavouable. On peut les comprendre. Mais cela fait assez revanchard et mauvais joueur.

Ils prétendent que cela cause du tort à la profession, qui ne va pas bien, sous-entendu à cause de ces sites de locations d’appartements privés. Mais, en réalité, tant sur la France que sur Paris, la montée de ces formules — sous cette forme ou une autre — ne s’est pas faite au détriment des hôteliers. L’hôtellerie enregistre globalement le même volume de nuitées chaque année depuis au moins 2008, soit 197 millions, et tourne autour de 60 % de taux d’occupation sur le plan national (sources Insee, la seule fiable). A Paris, elle caracole à 80 % de taux de fréquentation et cela ne dégringole pas, sans parler des prix élevés. On comprend qu’il est difficile de convaincre en disant que cette concurrence retirerait des clients aux hôtels. Arguments mal choisis.

De toute façon, les hôteliers ont toujours fait en sorte d’avoir quelqu’un dans le nez. Ce furent successivement les chaînes, puis les résidences de tourisme, puis les chambres d’hôtes et à présent les OTAs et Airbnb. L’enfer c’est les autres. « Les autres font notre malheur ». Toujours la faute aux autres. Mais, tuer les concurrents n’a jamais fait revenir les clients. Pour y parvenir, il faut les reséduire. C’est tout.

• Les OTAs et les sites de commentaires de voyageurs font également les gorges chaudes de la profession. Normal, c’est déstabilisant de voir comment Booking et compagnie ont pris tant d’hégémonie commerciale en quelques années. Mais là aussi, les organisation professionnelles choisissent les mauvais arguments pour sensibiliser les médias et le public : parler de chute de rentabilité, de pratiques intolérables, de domination, de taxes et impôts non payées en France, etc. Là non plus, les journalistes ne peuvent pas vraiment les soutenir avec ces reproches, car les agences de voyages en ligne plaisent au public, sont globalement fiables et offrent des garanties à leurs clients.

Or, les médias roulent pour leurs téléspectateurs, lecteurs, auditeurs, bref le public, et ne vont jamais dans un sens corporatiste si cela se place à l’encontre de l’intérêt consumériste. Même chose pour les sites d’avis : c’était ce qui manquait avant que cela n’existe pour bien orienter et guider les consommateurs. Il n’est donc pas question de s’émouvoir de l’émotion des hôteliers quand en face on a affaire à des prestations satisfaisantes et considérées comme utiles.

• A propos de la taxe de séjour, comme il fallait trouver des munitions pour expliquer que sa hausse n’est pas bien, les organisations professionnelles ont suivi au début la tentative d’Alliance 46.2 — assemblée de grands groupes de tourisme —, qui a commandé une étude de complaisance pour lutter contre le projet. Son argument sorti du chapeau tient en quelques mots : relever la taxe de 2 € en moyenne (au moment de l’étude) en région parisienne reviendrait à tuer 1.300 emplois, à faire fuir les touristes et à induire plus de 82 millions d’euros de dépenses non consommées par la clientèle touristique.

A côté de cela, grâce au fameux yield management, augmenter les prix des hôtels d’une nuit sur l’autre de 20, 50, 150 et même de 200 € (doublements et même triplements des prix à Paris) ne ferait étrangement fuir personne, ni même sacrifier des emplois. Encore un argument choc qui fait pschit et discrédite tout ce qui pourrait suivre.

Et des exemples d’arguments bidon, faux, exagérés et surtout mal choisis par les organisations professionnelles pour chercher à défendre leurs dossiers, on ne les compte plus. Si certains journalistes les gobent encore, tant d’autres bien plus pro et surtout les pouvoirs publics ne les prennent plus en compte.

La profession, artisan de son propre malheur
Il y aurait pourtant bien d’autres démonstrations à trouver et à avancer, crédibles, sérieuses et convaincantes, sur chaque sujet.

Comment alors s’étonner que les exploitants de l’hôtellerie et la restauration ne soient pas écoutés, pris en considération et aidés dans le meilleur des cas, ou plus simplement respectés dans l’autre ? L’image de la profession auprès de tout le monde est presque détestable : journalistes, banquiers, personnels politiques et par ricochet, le grand public, font pouah.

Car si on aime les bons restaurants et les hôtels agréables, on se méfie de leurs professionnels. On voit le secteur des CHR avec des reflets poujadistes et un allant corporatiste comme de vulgaires taxis. On le trouve égoïste comme un moustique, non solidaire à la cause nationale, revendicatif comme un vulgaire syndiqué de la SNCF, et malgré tout, à tort ou à raison, favorisé par l’Etat (encore une fois, à cause de l’épisode sur la TVA).

Il faut dire que les scandales réguliers ou dérives médiatisées qui tombent sur la restauration n’arrangent pas les choses, tels la vache folle, la fraude, la cuisine industrielle sachet-ciseaux et à présent la violence en cuisine… Sans parler du nombre important de smicards (le deuxième secteur le plus “smicardisant” de France).

En résumé, si elles traitent tant bien que mal les sujets qui tombent et ne peuvent rien contrôler dans les CHR, les organisations professionnelles sont encore une fois avant tout confrontées à un furieux problème de communication, qui leur coupe l’herbe sous les pieds.

Il faut retenir qu’il est dangereux de critiquer ce qui plaît au public et que l’on ne trouvera pas de soutien sur ce registre auprès des médias. Il n’est pas bon non plus de parler de ses problèmes et de les exposer au tout venant. Que dirait-on d’un acteur qui sur scène se plaindrait de son directeur de théâtre, de la costumière, des impôts qu’il paie sans oublier son genou qui lui fait mal ?

Sauvegarder l’image, avant tout
Les problèmes des hôteliers et des restaurateurs ne regardent pas le public. Il ne faut en aucun cas le prendre pour témoin, lui demander un arbitrage, mettre en cause et désavouer ses choix, attendre de lui qu’il prenne position pour défendre le secteur ou ait un sens citoyen ou solidaire. Aussi, l’inviter à boycotter les OTAs et à lutter contre les avis fictifs, lui demander d’accepter que la baisse de la TVA ne lui soit pas rétrocédée, le culpabiliser de ne pas rejeter la cuisine industrielle,… sont contre-productifs.

Le client se moque de tout cela et a ses propres problèmes à régler. D’autant qu’il se rend généralement dans un restaurant et un hôtel pour y passer un bon moment. Pas pour entendre geindre ni là, ni dans les médias, à propos du métier et de ses difficultés.

Tous ces sujets qui occupent la profession doivent être réglés à l’abri des médias. Cela doit se passer entre les professionnels et les pouvoirs publics avec leurs administrations compétentes. Nulle part ailleurs et surtout pas sur la place publique. En commençant par là, les CHR pourraient espérer commencer à redorer leur image, bien ternie aujourd’hui.

Enfin, toujours dans le registre de la communication, quand nos hôteliers et restaurateurs vont-ils se reprendre en main et cesser de se plaindre de tout, de se victimiser et d’accuser les autres de leurs erreurs, qui commencent maintenant à durer ?

Le malheur des professionnels, pour ceux qui en ont, vient quand même essentiellement d’eux-mêmes et de leurs représentation.

Il doit être possible de réaliser un travail de revalorisation comme l’hôtellerie de plein air avait réussi à le faire, en prenant en considération les clients et en modernisant le secteur. Mais, le chemin sera encore long avant d’y parvenir compte tenu de là où l’on se trouve aujourd’hui.

Mark Watkins

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