Thierry Costes : « La restauration est une compétition intellectuelle »

Thierry Costes : « La restauration est une compétition intellectuelle »

 

Le Figaro a rencontré le brasseur star à l’occasion de l’ouverture de son Grand Hôtel Amour et de l’arrivée de son nouveau chef, Sylvestre Wahid, au restaurant Thoumieux.

Thierry Costes : « La restauration est une compétition intellectuelle »

LE FIGARO. – Votre nouveau chef, Sylvestre Wahid, remplace depuis peu Jean-François Piège à la tête des cuisines de Thoumieux (1). A-t-il trouvé ses marques?
Thierry COSTES. – J’ai été agréablement surpris par sa vitesse à «rentrer dans les murs», par son aisance à juste modifier les façons de faire. Cela fait vingt ans qu’il est totalement dédié à la cuisine, il a eu deux fois deux étoiles (L’Oustau de Baumanière et le Strato à Courchevel), c’est un incroyable professionnel. Je ne dis pas que cela a été facile pour lui, mais c’était naturel, dans l’ordre des choses. Le restaurant gastronomique est reparti de zéro. En fait, cette adresse est fondée sur deux principes. Le premier, c’est qu’elle existe depuis cent ans. Les gens qui y travaillent sont des passeurs: M. Thoumieux, Chartier, Thierry Costes, Jean-François Piège et maintenant Sylvestre Wahid. Cela représente en quelque sorte une continuité. D’où la brasserie: elle est là, elle ne bouge pas, elle est terriblement parisienne, accueillante. Le second fondamental de Thoumieux, c’est qu’il s’agit de notre maison la plus créative. Et il faut que nous conservions cette particularité.

 
Est-ce un choix délibéré de mettre maintenant en avant les chefs de vos établissements?
Que ce soit Jean-François Piège, à l’époque, ou Sylvestre Wahid, à présent, ce sont les chefs qui m’apparaissent comme les véritables vecteurs de communication. Dans nos maisons les plus récentes, nous essayons d’avoir avec nous des professionnels qui font leur cuisine et non une cuisine de photocopie. Nous avons besoin de plus de créativité, d’être beaucoup plus local. C’est pour cela qu’aujourd’hui, le Café Marly et l’Hôtel Costes sont pour moi les seuls lieux «Costes» de Paris. Le reste, ce sont des produits dérivés. Mais Thoumieux, l’Hôtel Amour, Germain ont leur propre identité. Depuis deux ans, je travaille avec Thierry Burlot (ancien chef passé par la Cristal Room Baccarat, l’Armani Caffè, le Renoma Café, NDLR) qui supervise toutes les brasseries. Nous donnons ensemble les lignes directrices, ensuite les chefs interprètent leur cuisine.
Dans la famille Costes, on s’y perd un peu entre votre père, Gilbert, votre oncle, Jean-Louis, et vous-même. Avez-vous une marque de fabrique commune?
Il y a une façon de faire qui nous est propre: un état d’esprit, un mouvement, un œil, même si nous avons tous nos prismes différents. Gilbert a ses gimmicks, Jean-Louis son savoir-faire, moi le mien. Mais je me sens totalement Costes, je suis très fier de ce qu’ils ont fait et j’espère que j’apporte un peu autre chose aussi. Cela dit, je ne pense pas que le problème de la marque intéresse nos clients.

 
Qu’est-ce qui vous distingue de vos aînés?
Moi, j’ai eu envie de créer des établissements qui étaient sur un format un peu différent. Thoumieux et l’Hôtel Amour se sont par exemple construits sur deux ruptures. Il y a neuf ans, l’Hôtel Amour, plus décontracté, plus underground, a constitué un vrai «plus» pour Paris, car tout à coup on arrivait à se loger à des prix tout à fait abordables, en étant dans une ambiance sympathique. Nous ouvrons dans quelques jours un nouvel hôtel Amour qui va s’appeler le Grand Amour Hôtel (2), doté de 43 chambres et d’un très grand restaurant. Le budget de la construction de la cuisine correspond à lui seul à celui de toute la construction du premier Hôtel Amour. On se situera rue de la Fidélité, dans un quartier qui, depuis deux-trois ans, a totalement explosé. Actuellement, c’est celui qui concentre le plus d’énergie à Paris, comme la rue des Martyrs lorsque nous nous y sommes installés, en son temps. Et je constate que depuis, hormis peut-être le Mama Shelter, beaucoup d’hôtels se sont créés mais visant tous les 4-5 étoiles. L’hôtellerie 2-3 étoiles reste très corporate, soumise aux chaînes, sans restauration ni vraiment d’attraits.

 
C’est un quartier moins cher aussi?
Je n’ai pas l’impression que le fin fond de la rive gauche, le XVe, le XIVe, le XIIIe soient beaucoup plus chers. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que rive droite, il y a aussi les gares. La gare du Nord amène toute la clientèle de Londres, de Belgique, donc c’est plus dynamique.
Quelle est votre vision de la gastronomie parisienne, vous qui en êtes un acteur majeur?
Depuis quelques années, elle s’est terriblement développée. À l’image des start-up, plein de jeunes professionnels ont eu envie de créer leurs lieux. L’environnement est devenu complètement désinhibé: il suffit d’un local, peu importe où il se situe, et d’un très bon produit pour que cela marche bien. Pour nous, acteurs plus établis, c’est une vraie compétition intellectuelle. Ce n’est pas un hasard si j’ai voulu faire Thoumieux. J’avais aussi envie de faire partie de cette nouvelle génération. En vingt ans, je n’ai jamais vu autant de cafés, de restaurants, de blogs, d’initiatives, de pâtissiers. C’est unique!

 
Est-il vrai que les Parisiens ne sortent plus la nuit?
Pas du tout! Tout se passe désormais ailleurs, dans des fêtes, des endroits où nous n’allons plus, ni vous ni moi! Mais si la nuit ne fonctionne pas, c’est parce que les restaurants sont géniaux. Et passé 2 heures du matin, tout le monde a besoin d’aller dormir. Directement ou indirectement, nous possédons trois boîtes de nuit. Le Matignon, plutôt jet-set, international, est plein tous les soirs. Le Germain, avec son cinéma Paradisio au sous-sol, est ouvert en bar de nuit le vendredi et le samedi et marche aussi très bien. Quant à Castel, dont nous assurons la restauration depuis l’an dernier, c’est juste de la folie! Mais vous constaterez quand même que ce sont des lieux accolés à des restaurants.

 
Pourriez-vous vous implanter en province?
Il faudrait trouver une opportunité, mais, globalement, je n’ai pas envie de grossir, de multiplier les lieux, ce n’est pas comme cela que je vois mon avenir. Si je trouvais un bon projet en province, pourquoi pas, mais il me faudrait aussi un partenaire.

 
Pourquoi?
Parce qu’il faut se déplacer, y être. À Paris, nous sommes midi et soir dans nos restaurants. S’il faut faire la même chose en province, ça ne tient pas. La province, ce n’est pas une histoire de goût, c’est surtout une histoire de compétence et de temps disponible.

 
L’Aubrac non plus ne vous tente pas?
Vous avez sur place l’un des meilleurs cuisiniers du monde (Michel Bras, NDLR). Qu’est-ce que j’irais faire là-bas si ce n’est me ridiculiser?!
Thoumieux, 79, rue Saint-Dominique, 75007

Le Figaro

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