On a discuté avec des adeptes du resto-basket

On a discuté avec des adeptes du resto-basket

On a discuté avec des adeptes du resto-basket

ILLUSTRATION DE VINCENT VALLON

 

Il est tard, les assiettes s’empilent sur la table, les verres sont vides et l’addition salée. Ça arrive. Ça s’appelle un vendredi soir. Tout le monde y pense, mais faut-il vraiment partir sans payer ? Est-ce que ça fait de vous un être humain déplorable (oui) ? Est-ce que ça vous rendra plus heureux (sûrement) ? L’addition est-elle vraiment retenue sur le salaire du serveur (c’est illégal, mais oui) ? Si vous vous posez toutes ces questions, il est déjà trop tard. Payez votre addition.

Selon le Syndicat Neutre des Indépendants (SNI), 51 % des restaurants ont été victimes de « resto-basket » en 2015. Cette pratique, connue par la loi sous le doux nom de « délit de filouterie », est passible de six mois de prison et de 7 500 euros d’amende. Filous experts, qui vont fumer une clope entre chaque plat pour habituer le serveur à leur future désertion, filous spontanés, échaudés par l’alcool et une éphémère adrénaline, filous dévorés par les remords qui reviennent payer le lendemain : tout existe. Florilège.

Clément, 32 ans

« Arrête-toi ! Arrête-toi ou j’te casse la gueule ! » C’est ça que je retiens. On était en juin 2014 et je détalais dans les ruelles des Halles, un garçon pas commode sur les talons. Un ami du lycée était de passage à Paris : il avait un bus pour le Portugal, à l’aube, Porte Maillot. On avait fêté son départ, un verre ici, un verre là. Puis beaucoup de verres. Et puis, sur les coups de cinq heures, on avait atterri dans une brasserie en train de fermer. Le serveur passait le balai mais il a accepté de nous servir une bouteille de blanc

La bouteille vide, on s’est cassé sans un mot, sans réfléchir. Plutôt que de payer 15 euros, on a décampé comme des voleurs. On a couru pendant 5 à 10 minutes. On était pas mal saouls. Résultat : quinze minutes plus tard, on était tous les deux de retour dans le bar, encerclés par une bande de loubards. Le serveur avait jeté à nos trousses ses cousins qui nous tenaient maintenant en respect. Le deal ? On paye la bouteille et les « intérêts » ou on se fait casser les dents. On a craché 100 balles, et on s’est cassés, l’oreille basse, en direction de la Porte Maillot. On a gardé nos dents.

Claire, 27 ans

C’était 2012, j’avais 19 ans. Je passais des vacances d’été à Cannes, dans l’appart d’une copine. On était étudiantes, on n’avait pas de thune, ce qui est un peu compliqué pour des vacances à Cannes. Le jour du crime, j’étais donc avec ma meilleure amie Lucie. Son père nous avait donné un « plan » : la rumeur disait qu’on pouvait aller prendre le petit-déjeuner au Martinez sans payer. Lucie et moi, toutes les instructions en tête, avons donc décidé de tester ce petit-déjeuner « gratuit ». On est parties pour le Martinez sapées en jupe et tongs, déjà on détonnait un peu…

Ils servent un genre de brunch à volonté, c’est le petit-déjeuner des clients de l’hôtel. Le truc c’est qu’il faut accéder à l’intérieur sans passer par la réception. On a pris la mauvaise porte, on est arrivées dans un sas où un maître d’hôtel nous a demandé notre numéro de chambre. Piètres menteuses que nous sommes, on a bafouillé et finit par dire qu’on n’avait pas de chambre. Il a annoncé le verdict : 40 euros le petit-déjeuner. Il me restait 50 euros pour finir toutes mes vacances, j’étais dégoûtée mais résignée. On a pris place, en se disant « OK, foutu pour foutu, on va manger tout ce qu’on peut et ramener des trucs avec nous. Ce sera le meilleur petit-déjeuner de notre vie ».

Honnêtement, c’était hyper bon. Des jus maison, des viennoiseries à foison, des dizaines de pains différents… En partant, résignées à payer, on traverse la salle du petit-déjeuner vers la sortie. On passe devant un premier guichet et le type nous dit « Merci mesdemoiselles, au revoir et bonne journée ». On se regarde, on ne dit rien, pensant qu’on payera au prochain guichet. Là, rebelote : « Au revoir, bonne journée ». On s’est mis à marcher très lentement jusqu’à la porte, en silence. On a traversé le hall. Sans un mot. Et dès qu’on a atteint la porte, on a détalé comme des lapins et on s’est réfugiées dans un bureau de tabac. Petite montée d’adrénaline pour les jeunes filles qu’on était…On est rentrées à l’appartement avec nos victuailles et une petite histoire à raconter.

Samuel, 25 ans

Je voudrais commencer par dire que plusieurs membres de ma famille travaillent dans la restauration, j’ai moi-même été serveur et franchement j’ai honte. Je m’en veux. Voilà. La première fois, c’était à Madrid en terrasse en février 2011. C’était un bar de bobos. J’étais avec un pote, on avait pris quelques bières et des tapas, on était jeunes et cons – 17 ans – et on est partis en courant. Ça nous a fait rire et j’ai vite oublié.

La seconde fois par contre, je m’en suis vraiment voulu. J’étais à Arequipa au Pérou avec le même ami, ainsi que deux autres Français qu’on avait rencontrés sur place. On avait pris trop de bouffe, c’était un petit resto tout mimi tenu par un père et son fils, la bouffe était pas donnée mais c’était vraiment délicieux. On n’était plus que tous les quatre dans le resto. Et puis à un moment, bourré, je raconte l’histoire de Madrid deux ans auparavant. Et l’un des deux autres potes dit « Bah viens on fait pareil » et donc on a fait pareil… Les deux potes sont partis fumer, mon ami est parti ensuite, je suis parti le dernier, en courant.

On s’était donné rendez-vous à l’auberge de jeunesse, mais quand je suis arrivé, impossible de trouver mon pote. Je l’ai attendu et attendu… Au bout d’une vingtaine de minutes, il débarque, la mine défaite. Le fils du resto l’avait rattrapé, il l’avait ramené en le tirant jusque là-bas. Il a pris une grosse gifle de la part du père, qui lui a dit en espagnol « Petit con pourquoi vous avez fait ça ? ». Mon pote a tout payé. Une fois sobre, j’ai eu tellement honte que je ne l’ai plus jamais refait.

Léa, 28 ans

C’était à Paris, il y a six ou sept ans, j’avais une vingtaine d’années. Une amie passait le week-end chez moi, on se baladait dans le Marais. On s’est arrêtées dans un resto au coin d’une rue, par hasard, parce qu’on avait faim. On a commandé des tartines, c’est ce qui était le moins cher. On a attendu près d’une heure avant d’être servies et ce n’était franchement pas bon. Ensuite, on a de nouveau attendu très longtemps qu’on nous apporte l’addition, donc on a fini par se lever pour aller payer directement au comptoir.

Là, personne ne nous a calculées, on a attendu au moins un quart d’heure avec des mecs qui nous regardaient à peine alors qu’ils voyaient très bien qu’on en avait vraiment marre de poireauter. Puis, quelqu’un a enfin daigné nous encaisser, mais bien sûr, ils n’acceptaient pas la carte bancaire, il fallait donc aller retirer du cash. Il devait y en avoir pour vingt euros à tout casser. Là, notre serveur, qui était le seul à être plutôt sympa, nous indique le distributeur le plus proche, nous accompagne vers la sortie et nous glisse un petit « Au pire, vous ne revenez pas ». Franchement, on est allées jusqu’au distributeur pour retirer, et là on s’est dit qu’on serait bien bêtes d’y retourner pour payer ! On s’est engouffrées dans la première bouche de métro en culpabilisant vaguement, mais en pensant qu’on avait vraiment bien fait ! Aucun regret.

Gwenaëlle, 31 ans

Étudiante à Paris, j’avais 20, 21 ans, je prends un verre avec une amie dans un café du Marais. Les consos s’enchaînent, l’alcoolémie grimpe, on commande à manger pour éponger un peu, et à la fin de la soirée, ma copine me glisse l’idée de partir sans payer. J’hésite, et l’idée se transforme en défi. Le café est petit mais plein, les serveurs semblent assez débordés et notre table est près de la sortie. Ni une, ni deux, on ramasse nos clopes sur la table, nos sacs et on sort l’air de rien. On atteint la rue et on accélère le pas « Au cas où », en rigolant comme des gamines. Passé le coin de la rue, ma copine s’arrête : « Merde, mon portable ! » Elle l’avait oublié sur la table du café…

Pas d’autre choix que d’y retourner. On espère vaguement pouvoir récupérer le portable discrètement sur la table mais il n’y est plus. On est obligées de s’adresser à un serveur derrière le comptoir. La honte. Le type nous toise, on bafouille qu’on s’est rendu compte qu’on a oublié de payer, oups, et au fait, est-ce qu’ils n’auraient pas retrouvé un portable ? Il sort le portable de sous le comptoir, ne dit toujours pas un mot, sort notre ticket d’addition et nous demande comment on veut régler. On en avait quand même pour une cinquantaine d’euros chacune. On a payé et on est parties rouges de honte. Dix ans plus tard, je n’y ai toujours pas remis les pieds.

Vincent, 26 ans

Le premier resto-basket que j’ai fait, c’était au festival d’Avignon et totalement prémédité. J’y étais allé avec une amie et, comme on n’avait pas beaucoup d’argent, on avait décidé de dormir au camping à côté de la ville – il est hyper cool avec une piscine et on pouvait s’amuser face aux troubadours. À la fin, on n’avait plus une thune et plus de réseau – j’étais obligé d’aller à la FNAC pour choper Internet et répondre aux meufs sur Facebook. Pour bouffer, on s’est dit qu’on allait faire un resto basket.

Mais au lieu de le faire dans un truc bon, on est allé dans un Chinois miteux sur une des places. On avait vu qu’il y avait une terrasse et plein de monde, alors on a mangé – c’était dégueulasse – on a attendu la brèche, que le mec soit assez loin à l’intérieur du resto, puis on s’est barré en courant. Je pense qu’en tout, il devait y en avoir pour dix euros. Après, on ne se sentait pas très bien mais ce n’était pas la culpabilité.

En Allemagne, il y a une chaîne de restos qui s’appelle Vapiano. Le concept est super cool parce que c’est un self service, tu prends un plateau, tu récupères les plats que tu veux et tu paies à la fin. Comme les Allemands sont éduqués, ça ne pose aucun problème. Mais quand t’es Français, tu vois tout de suite la faille dans le principe : « les gens me font confiance ». Avec des amis, on a d’ailleurs abusé de cette confiance plusieurs fois. On y allait, on se servait dans le buffet, on mangeait et au lieu d’aller payer à la fin, on se cassait.

Ça marche aussi le bar-basket ? Une fois, je suis allé boire un verre avec un pote qui avait ramené une grosse équipe. On a commandé des mojitos qui étaient immondes et hors de prix. Du coup, on a dit « Bon bah, on se tire ». On était genre huit. On s’est levé et on s’est barré en courant. Le mec qui gérait le bar, c’était un petit gars tout frêle. Il s’est mis à nous courir après. Au bout d’un moment, on s’est regardé et on s’est dit qu’on pouvait peut-être arrêter de courir vu qu’il était tout seul et qu’on était huit. C’est ce qu’on a fait. Il s’est arrêté aussi et puis il est reparti dans son bar.

Je peux le refaire à partir du moment où le service ne me convient pas. Si le serveur est chiant, que c’est pas bon et que c’est cher, je me dis que c’est mérité. C’est ma façon à moi de mettre une étoile sur Yelp.

Source Vice 

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