Je vais vous confier sans attendre mes impressions sur François Adamski, celui que j’ai appelé Monsieur lors de mes échanges avant le stage et spontanément Chef dès mon arrivée dans les cuisines. Avoir tout naturellement du respect pour quelqu’un sans le connaître vraiment, cela m’est arrivé peu de fois et avec François Adamski, les choses se sont faites ainsi. Et si la discipline n’est mon fort, elle ne m’a pourtant jamais quitté en sa présence.

Mes armes dans la brigade d'un restaurant gastronomique

La cuisine de François Adamski

Ses multiples récompenses face aux défis qu’il se lance
Depuis ses débuts dans la cuisine, François Adamski cumule sans conteste les succès : trophée Lucien Vannier, Toque d’Or internationale, trophée national de cuisine et pâtisserie, concours pièces artistiques Gilbert Muller et Bocuse d’Or en 2001. Cet impressionnant palmarès se verra peut-être couronné en mars prochain par l‘obtention du titre de Meilleur Ouvrier de France. Malgré cela, François Adamski reste discret sur ce sujet. Persévérant, appliqué, intéressé et toujours disponible, j’ai vu en lui un chef qui gardait la tête froide tout en menant son affaire tambour battant.

Une cuisine traditionnelle et créative
Si je devais désigner un symbole définissant le mieux la cuisine de François Adamski, ce serait le cylindre que l’on retrouve très souvent dans ses recettes. Alors que la présentation des plats reste très géométrique, structurée et carrée, les formes intérieures sont rondes et cylindriques. A titre d’exemple, je citerai les croquettes de homard et truffes, le rôti de sandre et ses lentilles crémeuses au vin rouge de Menetou-Salon, le dos de loup au foie de lotte et truffes (lauréat au Bocuse d’Or 2001), les macaronis moelleux au ris de veau, jabugo et parmesan dressés, le cylindre au chocolat lacté sur un brownie, sorbet chocolat… Sa cuisine est à l’image de la personnalité. De prime abord droite et imposante (les salsifis biseautés présentés en damier, le dos de chevreuil rectangulaire), elle offre au final des associations créatives (œuf cocotte, légumes croquants et huîtres fine de claires). Avec des réalisations parfois fantasques (la flammèche de coques sur une garniture de calamar), Adamski offre des produits harmonieusement mis en valeur dans des courbes colorées (ailerons de volaille farcis, ris de veau aux pistaches, œuf de caille mollet, mini-mouillette et sauce suprême).

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Si certains considèrent que sa cuisine reste traditionnelle, je pourrais leur opposer qu’il maîtrise l’art culinaire français, la bible gastronomique du célébrissime Escoffier, tout en apportant une innovation très inspirée. Parmi les innombrables concepts-clés que j’ai assimilé durant ce stage, je retiendrai particulièrement celui de la qualité des produits et d’une cuisson réussie. J’ai toujours été convaincue de cela, mais en goûtant les plats, je me répétais à moi-même que les bonnes choses sont souvent les plus simples. Le chemin vers cette authenticité du goût n’est pas chose aisée pour le néophyte. Avec la cuisine de François Adamski, on se régale autant les yeux que les papilles et l’on succombe pour ses saveurs franches, ses textures à la fois fondantes et croustillantes.

Ce que j’ai compris sur la cuisine

L’organisation de la brigade
Les plats sont conçus par le chef, au détail près, et préparés au quotidien par toute la brigade. Plusieurs recettes sont réalisées par partie (viandes, poissons, garde-manger, pâtisserie), et deux fois par semaine, les cuisiniers s’assurent que leurs stocks sont suffisamment approvisionnés. Le matin et en fin d‘après-midi, ils s’avancent dans la réalisation des plats puis font leur mise en place, pour être sur les starts-in-block avant le service. Très souvent, ils n’ont qu’un quart d’heure pour manger ou ne prennent pas le temps de boire. Quand je leur demandais si cela ne leur coûtait pas, tous me répondaient que c’était dans l’ordre des choses, qu’ils étaient bien rôdés avec ce mode de fonctionnement acquis pour certains depuis l’adolescence.

La maîtrise des gestes avant la créativité
Pour la ménagère de base comme moi, on teste tout, on met trop souvent l’accent sur la créativité sans travailler en amont les techniques de la cuisine. Qui prétend savoir maîtriser la cuisson d’un bœuf ou d’une volaille ? Pas moi, et je crois que ce stage m’aura permis de revoir mes positions sur ce sujet. Apprendre les bases, en travaillant, même en autodidacte, en faisant des recherches, en répétant les gestes jusqu’à ce que j’y parvienne. Je suis arrivée à cette conclusion grâce à un cuisinier à qui je demandais si la récurrence des tâches ne le lassait pas. Il m’a alors expliqué que la répétition de tous ces gestes permettait au contraire de les réaliser de mieux en mieux et plus rapidement. Tout devient alors instinctif et c’est là que l’imagination culinaire prend le dessus. Le chef change également la carte cinq fois par an, ce qui permet de varier régulièrement le travail et les produits sélectionnés.

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La chaleur
C’est la première chose que j’ai ressenti après quelques heures passées en cuisine. Lors du service, j’allais parfois chercher des ingrédients dans les chambres froides et c’est avec soulagement que je pouvais me rafraîchir quelques secondes. A aucun moment, on ne peut échapper à cette chaleur. Il y a tout d’abord la salamandre, un appareil de cuisson électrique permettant de torréfier les différentes variétés de noix, de griller le pain ou de maintenir au chaud les assiettes dressées ; les plaques chauffantes sur lesquelles mijotent potages et jus de viande ; les feux sur lesquels cuisent ardemment les poissons et les pièces de viande ; les assiettes stockées dans les dessertes chauffantes, que l’on doit sortir avec un torchon tellement elles sont bleues ; le four que l’on utilise pour maintenir au chaud les viandes, cuire les gratins ; le chalumeau pour caraméliser les crèmes brûlées… Toute cette chaleur au service de la cuisine et du client qui se doit d’avoir des plats à la bonne température.

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La vitesse
J’ai commencé à travailler au poste des poissons et en guise d’entrée en matière, Sylvain m’a confié une tâche que je n’ai pas considérée comme ingrate : retirer les queues de deux gros paquets de persil plat pour qu’il les transforme en purée. Je sentais que je devais le faire vite et bien. Une heure après, j’avais terminé et déjà mal aux doigts. Cependant, j’ai perçu que mon travail n’avait pas été optimal. La vitesse… On la perçoit lors du travail préparatoire des plats, on se la prend en plein figure lors du service, lorsque le maître d’hôtel fait sa première annonce. Tout se met alors en branle, les pas s’accélèrent, les gestes sont secs, millimétrés, les ordres nets et accomplis en temps réel. Dans cet élan, il n’était pas question que j’anticipe quelque action au risque d’écrouler le château de cartes que chacun dressait méticuleusement. J’ai passé ensuite la plupart du temps au garde-manger (entrées chaudes, froides, cocktails…). Après une phase d’observation et une bonne connaissance de la composition de chaque entrée, j’ai pu alors intervenir lors du service. «Je réclame les sept amuses-bouches de la table 8 !». C’est réclamé, il faut y aller, à fond, mais sans se tromper. Je sortais alors les assiettes rectangulaires, les dentelles de papier, les couverts, le caviar d’aubergines pour fixer les mini-tartelettes de ris de veau. Je disposai les verres remplis de potage au potiron émulsionné sur ces assiettes, garnissais les tartelettes et enfin, petite touche finale, la peluche de cerfeuil tout juste sortie du réfrigérateur. Ce n’était pas grand-chose, mais pour moi, c’était beaucoup, je me sentais utile, j’étais plongée comme dans un tourbillon presque enivrant. L’adrénaline, je l’ai ressentie à chaque service et si l’on aime ce métier, c’est certainement en partie pour cela.

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L’excellence et le savoir-faire
Je n’ai pas trouvé de meilleur mot pour définir les compétences d‘un cuisinier gastronomique : savoir et faire. Qu’il s’agisse d’émincer rapidement un oignon, de faire sauter les légumes dans une poêle de 5 kg (j’ai essayé pourtant !), de canneler des champignons, de préparer des calamars, de désosser une côte de veau, j’ai été bluffée par la facilité d’exécution des gestes. A mon niveau, Julien et Christopher m’ont appris à ciseler finement la ciboulette avec le couteau chef. Exercice périlleux, j’ai écalé de nombreux œufs de caille mollets. Sylvain m‘a indiqué comment découper en brunoise des piquillos, retirer les arrêtes du loup ; Dao m’a appris à dénerver correctement un foie gras ; Bertrand à tailler de manière régulière les salsifis. J’ai également pu être en contact avec des matériaux nobles, que l’on utilise peu chez soi. Je pense notamment à la truffe noire, au caviar d’Aquitaine ou à ce homard de plus 5 kg. Chez François Adamski, tous les bouillons, jus, fonds de viande et de poissons sont fait maison, tout comme le saumon et le magret de canard fumés. Je revois Yoan, le sous-chef, cuire et caraméliser une cinquantaine d’ailerons de poulets pour la confection d’un fond, Bertrand et Paul soulever à deux une énorme marmite de bouillon de volaille. Tantôt la force est requise, tantôt le tact et l’agilité sont de mises. Il s’agit là d’un juste équilibre que seule l’expérience et le travail peuvent permettre.

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La rigueur
D’un naturel plutôt désorganisé, j’ai appris à travailler proprement. Sur le plan de travail en inox, je disposais un torchon mouillé puis une planche en PVC pour qu’elle soit bien stable. Lorsque je découpais un légume, il fallait le mettre de côté dans une boite et ainsi de suite. Il n’est pas question d’avoir une montagne de légumes émincés sur sa planche, tout est fait au fur et à mesure. Le rangement et l’étiquetage des denréessont essentiels pour le bon fonctionnement de la cuisine. Quant à l’hygiène, elle occupe une place prépondérante. Après chaque service, soit deux fois par jour, la cuisine était nettoyée au Karcher des murs au sol et les plaques de cuisson raclées avec des éponges ferraillées. C’est lors de ces moments que je ressentais le plus la fatigue. Après l’effervescence du service, on ne s’arrêtait pas, il fallait continuer sur sa lancée pour nettoyer, ranger et préparer le service du soir. Tous les jours au garde-manger, nous devions trier minutieusement des salades frisées et la riquette (version plus petite que la roquette), détailler en brunoise les carottes et céleris, émincer la ciboulette, préparer les rondelles de pommes pour le foie gras poché…

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Ce que je croyais savoir en cuisine…

Je n’ai jamais eu la prétention de tout savoir en cuisine, mais si un jour une personne m’avait demandé si je savais casser des œufs, je crois que je lui aurai ri au nez. Et pourtant, je ne savais pas correctement le faire, jusqu’à ce que Sylvain me montre la façon de procéder. On ne casse pas un œuf sur le rebord du saladier mais à plat, surtout lorsqu‘il s‘agit d’un œuf de ferme. Avec la première méthode, la coquille est brisée de l’extérieur vers l’intérieur et les saletés entrent alors en contact le blanc. Avec la deuxième méthode, l’œuf est juste brisé en surface, il suffit de plonger ses pouces pour ouvrir l’œuf sans qu‘il soit sali par la coquille. Faites le test, vous serez surpris du résultat.

Faire cuire du riz, cela aussi je croyais savoir. Deux fois par jour, les cuisiniers préparaient à tour de rôle le repas du personnel. Sylvain me demanda un jour de cuire du riz pour accompagner la délicieuse blanquette que le sous-chef concoctait. Je fus étonnée de le voir saler l’eau. J’ai toujours lu dans les livres de cuisine que cela ralentissait la cuisson du riz. C’est faux ! Ceci est valable uniquement pour les légumineuses comportant une peau, comme les lentilles ou les haricots blancs, qui durcit au contact du sel. En salant l’eau, le riz est salé même à cœur. Enfin, il est impératif de le mélanger lors de sa cuisson, chose que je ne faisais jamais. Ma mère me disait toujours de le laisser cuire au fond sans mélanger, pour qu’il reste entier. Encore faux. Si on ne mélange pas le riz, il reste collé dans la casserole, particulièrement lorsqu’il y en a en grande quantité.

J’ai toujours aimé faire la mayonnaise et lorsque Dao me demanda d’en préparer ¼ de litre pour des œufs mimosa, j’étais ravie de lui montrer mes compétences. J’ai sorti un œuf, de la moutarde et de l’huile de tournesol et m’attelai à une autre tâche en attendant que mes produits soient tous à la même température. Elle me demanda pourquoi je ne commençais pas la mayonnaise. Elle sortit de l’huile de pépins de raisin et m’expliqua qu’avec cette huile, il n’était pas nécessaire d’avoir ses ingrédients à la même température. Mieux encore, la mayonnaise préparée ainsi ne rend pas d’huile à bout de quelques jours.

Une fois cette mayonnaise préparée, nous l’avons mélangée avec des jaunes d’œufs cuits, préalablement passés au tamis, et avons ajouté à cela des blancs d’œufs cuits hachés et de la ciboulette ciselée finement. Après avoir fait toaster des petites tranches de pain de mie en forme de fleur, il ne restait plus qu’à dresser des dômes d’œufs mimosa dessus. « Dresser avec une poche à douille ? Bah je sais faire ! ». Pendant que je réalisais ce travail le plus consciencieusement possible, le sous-chef passa une tête au-dessus de moi et me dit : « C’est pas comme cela qu’on tient un poche à douille, c’est comme ça… ». Comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessous, il faut non seulement entortiller l’extrémité de la poche, ce que je faisais, mais surtout l’enrouler autour de l’index pour optimiser la pression des mains. Et là forcément, j’allais incroyablement plus vite. Je n’ai pas encore testé avec les macarons mais cela ne saurait tarder.

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Mon bilan

La restauration de haut niveau est plus qu’une passion, c’est un sacerdoce, une dévotion totale qui m’a laissé quelquefois perplexe. J’ai eu chaud, très chaud, j’ai eu mal aux jambes, peur de mal faire ou de gêner lors du service, j’ai eu de nombreux complexes d’infériorité. Je me rappelle de certains coups de gueule, parce que le client n’a pas le droit d’attendre, de la nécessaire rapidité à laquelle je devais faire preuve. Ce qui m’a le plus marqué, ce sont les nettes différences avec le monde de l’entreprise, surtout celui des sociétés de service où je travaillais auparavant. Dans les bureaux, on vous attend au tournant, les rapports sont moins sincères, plus ambivalents, on slalome habillement entre les propos et actions de chacun , on met souvent en place des stratégies douteuses au service de sa carrière.

En cuisine, il n’y a pas de passe-droit. Les relations peuvent être rudes, certes, mais elle sont plus franches. Les réflexions parfois virulentes ne se font pas attendre lorsque l’on fait une erreur. On est directement happé dans les mailles du filet et c‘est à chacun de s’en sortir. J’ai le profond sentiment que cela n’a jamais été fait contre mais dans l’intérêt des personnes. En tant que stagiaire, j’étais privilégiée. Toute l’équipe a fait preuve de sympathie, de partage, parfois même de confiance à mon égard et je les en remercie sincèrement. Je me rappelle les regards complices en goûtant un morceau de filet mignon ou une cuillère de purée truffée, des expériences de certains auprès de chefs comme Loiseau ou Veyrat, des rires contenus pendant le service parfois… Et pour ceux qui savent travailler, qui ont de la volonté et du talent, je suis persuadée qu’ils ont une place à se faire. Dans le monde de la gastronomie, on a le succès que l’on mérite. Je me suis souvent fait cette réflexion en observant le chef et sa brigade. Mes armes en cuisine gastronomique, je les ai faites grâce à eux, je ne l’oublierai pas .

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