L'histoire extravagante de l'homme qui prétendait racheter le Belle-Rive

Curieusement, l'homme se dit être un professionnel de l'hôtellerie - il se présente la première fois au téléphone comme.....

L’histoire extravagante de l’homme qui prétendait racheter le Belle-Rive

 

Mythomane ou escroc ? Un homme a entrepris de curieuses démarches pour se porter acquéreur des grands hôtels fermés de Thonon et Publier. Et au bout du compte… Sorti de nulle part, un certain Philippe Berre a réussi en 2001 à relancer le chantier de l’autoroute A28 entre Le Mans et Tours, alors qu’il n’était en rien du métier, juste un escroc mythomane passionné par les grands travaux. Sachant cela, ce qui s’est passé sur Thonon peut se concevoir aisément.
Tout a commencé par un courriel reçu le 10 janvier par la rédaction du Messager : celui que nous appellerons Monsieur X, de nationalité belge, affirme « vouloir acquérir l’ancien hôtel Belle-Rive ».

 

L'histoire extravagante de l'homme qui prétendait racheter le Belle-Rive

Etrange méthode
Curieusement, l’homme se dit être un professionnel de l’hôtellerie – il se présente la première fois au téléphone comme « propriétaire du Hilton » – mais s’il contacte le journal, c’est pour obtenir… les coordonnées du propriétaire du Belle-Rive, l’homme d’affaires Man Chun Siu, ou de son agent immobilier. Sans doute parce que Le Messager avait consacré un dossier à M. Siu en décembre ? Autre fait surprenant, cet acheteur potentiel demande la plus grande discrétion… mais con-tacte un média : contradictoire.
Bien que circonspects, nous restons à l’écoute. Car l’homme insiste. Se disant « contrôleur de gestion, responsable régional du groupe Hilton, pas pour la chaîne mais pour ses financiers privés », Monsieur X annonce qu’il est aussi acquéreur de l’autre hôtel de M. Siu, le Beau-Séjour à Amphion !
Pour enfin entrer en contact avec le propriétaire – il prétend tout de même suivre le dossier depuis dix ans… -, il appelle aussi Daniel Magnin, le maire de Maxilly, où M. Siu possède une résidence, et confie ingénument : « Le maire n’a pas voulu me croire ! » Faut-il s’en étonner, après coup ?
Finalement, Monsieur X nous annonce qu’il doit être reçu en mairie de Thonon le 23 février, avec un collaborateur, et nous convenons d’un entretien dans la foulée. Mais au dernier moment l’homme se dérobe. Motif : « Nous avons appris qu’un autre projet existe pour le Belle-Rive. Un groupe financier d’Arabie Saoudite a versé deux millions d’euros d’arrhes pour un projet spéculatif sur l’hôtel, et les travaux devraient intervenir dans un an ou deux. Pour nous, c’est une douche froide. » Renseignements pris, aucun projet saoudien n’est en cours. De source bien informée, les mandataires de M. Siu seraient même sur le point de déposer un troisième permis de cons-truire. Ce qui doit se savoir dans le petit milieu de l’immobilier local, ruinant le crédit de ce Monsieur X qui, selon un interlocuteur, se serait présenté à lui comme mandaté… par M. Siu lui-même.

Impostures ?

Autre mandat revendiqué : l’homme dit avoir « l’appui du groupe Eiffage ». Il présente une carte de visite où son nom apparaît au-dessus de la mention “Métreur pour une filiale d’Eiffage” : de quoi mettre en con-fiance… si l’on ne relève pas que cette filiale est curieusement anonyme. Vérification faite, l’homme n’est pas connu du groupe Hilton et ne figure pas non plus au registre national des collaborateurs du groupe Eiffage.
Pour en avoir le coeur net, nous décidons de recontacter Monsieur X pour le mettre face à ces contradictions. Il ne se démonte pas, expliquant être devenu « indépendant », prestataire de conseils pour les financiers importants se trouvant derrière les grandes marques hôtelières. « Je suis un homme de l’ombre », résume-t-il pour expliquer sa discrétion. Et de citer plusieurs noms connus comme autant de références : difficilement vérifiables en l’état, mais d’accord, ce monsieur a quand même des connaissances dans le domaine du marché de l’hôtellerie, il faut le lui reconnaître.

Le mensonge de trop
Mieux, il annonce que son projet pour le Belle-Rive n’est pas mort ! Il affirme même : « Je me suis entretenu justement ce matin avec Monsieur Siu à Singapour (l’intermédiaire de l’hom- me d’affaires assurant la traduction, précise-t-il) et nous devrions nous voir vers la fin du mois pour que je lui fasse une offre. » Malheureusement pour Monsieur X, l’intermédiaire nous le confirme le jour même : « Ni Monsieur Siu ni moi-même n’avons eu contact avec ce Monsieur (X) de près ou de loin. Ce nom est totalement inconnu et ne fait pas partie de nos connaissances respectives. Il faut se méfier des affabulateurs ! » Tout est dit.
La leçon à tirer de cette histoire ? Peut-être que, malgré son triste état, le Belle-Rive fait toujours rêver – et que c’est justement ce que font miroiter les hommes comme Philippe Berre ou Monsieur X : du rêve.

YVAN STRELZYK

UN PROJET À 30 M D’EUROS
Il faut reconnaître à Monsieur X un aplomb certain quand il dévoile son projet pour le Belle-Rive : 80 chambres d’hôtellerie “devant” (la façade sera conservée), et 40 à 50 logements “derrière” « en résidence de tourisme », sans quoi l’hôtel ne serait pas viable à l’année. « Thonon, ce n’est pas Las Vegas ! », ajoute-t-il. Pour cela, il se dit « prêt à faire une offre à 6 millions » (plus tard « à 5 millions », car tous ces chiffres varient au fil des échanges) pour un projet dont le montant total serait de 30 M d’euros.

« A qui profite le crime ? »
Daniel Magnin, maire de Maxilly, a déjà reçu deux demandes de rendez-vous de Monsieur X. « Mais cela fait deux fois qu’il ne vient pas, rapporte l’élu. La première fois j’ai demandé à ma secrétaire de le rappeler : il a répondu qu’il était malade. Il aurait pu se décommander… » Là aussi, le prétendu investisseur a dévoilé son projet pour les hôtels de M. Siu. Mais M. Magnin prend les choses avec recul : « Vous savez, des gens qui sont venus me raconter des histoires, des mythomanes qui voulaient faire construire des hôtels par ici, j’en ai vu ! Celui-là dit qu’il vient de Chambéry : de chez les fous à Bassens ? » Reste cette question que se pose le maire : « A qui profite le crime ? Quel intérêt a-t-il à faire ça ? » C’est peut-être là que se situe la limite entre l’escroquerie et la mythomanie.

DES DÉTAILS PLUTÔT TROUBLANTS
Lors de ses appels, Monsieur X se présente comme étant belge, âgé de 64 ans. Il a de la faconde et met en avant sa belgitude, n’hésitant pas à proposer de « boire une pinte de bière » en forçant l’accent. Il évoque aussi sa grand-mère : « Une juive polonaise qui m’a appris ce qu’étaient les économies ». Peut-être en fait-il trop ? Mais après tout, à chacun sa personnalité.
Reste que l’homme intrigue par d’autres détails. A l’oral, il se révèle incapable de prononcer correctement le nom de Man Chun Siu. Il y parvient par écrit… mais son message reçu par Internet laisse sceptique. Le voici (fautes incluses) : « Bonjour à toute votre équipe, je suis sur le point de vouloir acquérir l’ancien hotel bellerive sur thonon, Mr Man Chun Siu ?? n’est pas pas présent dans la région du Chablais donc je m’adresse a votre journal pour aller de l’avant, nous sommes un groupe Hotelier qui souhaiterais faire une acquisition claire et précise, avec la vendeur et la Mairie pour remettre en place un belle hotel 4**** dans les 2 Années qui vienne !! Qui pourra me donner les élément pour concrétiser, cette beau challenge. Cordiales Salutations à vous tous. Mr (X). (Professionnelle de L’hotellerie) SVP (Grande Discrétion souhaité) Urgent. » (Sic.) Bien sûr, tout le monde n’écrit pas comme Victor Hugo, mais la première lecture fait furieusement penser à ces messages typiques des “arnaques à la Nigériane”…
Le Messager

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