Les restaurants de sushis ne font plus recette

Dans ce genre de jeu, « seuls les plus costauds survivent », commente Charles-Henri Carboni, l’administrateur judiciaire chargé du dossier Planet Sushi. Certains ont déjà disparu, comme la chaîne Sushi West.

Les restaurants de sushis ne font plus recette

 

Si vous passez aux Galeries Lafayette de Toulouse, n’espérez plus marquer une pause zen en dégustant sur place des sushis au foie gras et aux figues ou des makis au fromage frais : le superbe Sushi Shop installé au sixième étage vient de fermer. Il perdait de l’argent ; le propriétaire a arrêté les frais. Les deux points de vente de la Défense ont également disparu. Le même sort attend celui de Vélizy.

Les restaurants de sushis ne font plus recette

Quatre fermetures symptomatiques d’une crise qui touche tout le marché français du sushi. Pendant des années, le succès de cette boulette de riz vinaigré recouverte d’une tranche de poisson cru a tenu du miracle. « Vous ouvriez un restaurant, cela marchait à tous les coups », se souvient un professionnel. A présent, les chaînes spécialisées sont au contraire à la peine. « Désormais, on ne parle plus que des bagels, des burgers et des “food trucks” », grimace le patron de l’une d’elles.

PLANET SUSHI EN SAUVEGARDE JUDICIAIRE DEPUIS UN AN
Dernière victime en date, Matsuri. Incapable de rembourser ses dettes en temps et en heure, l’enseigne, qui avait importé en France le principe du comptoir tournant, a été placée en procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce en juillet, avec ses quatorze restaurants. Elle a six mois pour présenter un plan à même d’assurer sa pérennité.

Son grand concurrent Planet Sushi, le numéro deux du secteur derrière Sushi Shop, est déjà en sauvegarde depuis un an. Il devrait en sortir sous peu. Au tribunal, toutes les parties prenantes ont pris position en faveur du plan d’étalement des remboursements et de redressement des comptes présenté par la direction. La décision est attendue jeudi 13 août.

Leur rival Eat Sushi souffre lui aussi, même si aucune procédure collective n’a été ouverte. Il y a quelques années, le numéro trois du marché avait l’ambition de passer de trente-cinq à soixante-dix établissements à l’horizon 2015. Il est au contraire revenu à quatorze points de vente seulement. Face aux difficultés, ses fondateurs, les frères Benamer, ont laissé le fonds d’investissement Citizen Capital prendre la majorité des parts en 2014. Un manageur de crise, Philippe Pichlak, a été appelé à la rescousse, et un rapprochement avec un autre opérateur n’est pas exclu. « Il faudrait être obtus pour ne pas mener ce type de discussions, estime le nouveau PDG. L’évolution du marché nécessite de revoir le modèle économique des chaînes et de les faire grandir afin d’atteindre la taille critique. »

« LE SUSHI NE POUVAIT PAS DEVENIR UN PRODUIT DE MASSE »
Dans les années 2000, la cuisine japonaise a bénéficié d’un engouement spectaculaire. Sain, diététique, original, le sushi a conquis la France, en commençant par séduire la bourgeoisie parisienne. « Les fonds d’investissement ont alors pensé que cela pouvait devenir un produit de masse, comme la pizza », relate Bernard Boutboul, directeur du cabinet Gira Conseil. Céréa Capital, Azulis Capital ou encore Naxicap Partners ont notamment investi dans le secteur.

Avec leur appui, les points de vente se sont multipliés. Des restaurants chinois se sont mis à proposer eux aussi sushis et sashimis. Plus récemment, des centaines de stands de cuisine nippone ont essaimé dans les grandes surfaces telles que Carrefour, Auchan ou Leclerc.

Problème : la concurrence a explosé au moment précis où la crise économique amenait les Français à aller moins souvent au restaurant. En trois ans, de la mi-2012 à la mi-2015, le chiffre d’affaires de la restauration (hors fast-food) a reculé de 7 %, selon l’Insee. « Nous n’y avons pas échappé », constate avec dépit le dirigeant d’une enseigne japonaise.

« De toute façon, le sushi ne pouvait pas devenir un produit de masse, estime M. Boutboul. Il est trop cher pour cela, compte tenu du coût des matières premières comme le saumon et le thon. Et puis, les Français restent rétifs vis-à-vis du poisson cru. »

SUSHI SHOP S’EN SORT MIEUX
Plus d’offre, moins de demande : les restaurants japonais se sont retrouvés face à une équation meurtrière. Un exemple ? Matsuri. Misant sur l’essor du marché, l’enseigne haut de gamme s’était endettée pour s’offrir de bons emplacements et les aménager de façon chic. Quelque 18 millions d’euros investis en quelques années. « Le projet avait été conçu à un moment où le chiffre d’affaires annuel atteignait 21 millions d’euros et le résultat d’exploitation 3 millions, explique Me Stéphane Cavet, l’avocat de l’entreprise. Avec des ventes inférieures et un résultat deux fois moindre, cela ne passait plus. »

Matsuri a d’abord tenté de trouver un accord amiable avec ses banques. Mais elles ont refusé, et la direction a demandé à bénéficier de la sauvegarde, ce qui gèle les dettes et permettra au tribunal d’imposer aux créanciers un calendrier de remboursement. L’enseigne a déjà entamé un important travail pour comprimer ses coûts et attirer de nouveau les clients. Les prix ont été abaissés de 12 %. Résultat : « La fréquentation remonte depuis neuf mois, et le chiffre d’affaires est lui aussi en hausse depuis deux mois et demi », se réjouit le directeur financier Alex Boutelout.

De la même façon, Eat Sushi a arrêté des poissons comme la daurade, dont le coût était jugé trop élevé par rapport à son rendement, et réduit ses tarifs de 5 % à 10 %. Bref, la guerre des prix fait rage.

Dans ce genre de jeu, « seuls les plus costauds survivent », commente Charles-Henri Carboni, l’administrateur judiciaire chargé du dossier Planet Sushi. Certains ont déjà disparu, comme la chaîne Sushi West.

D’autres s’en sortent beaucoup mieux, à l’image du leader Sushi Shop. « Nous tablons sur 7 % de croissance cette année, avec un chiffre d’affaires qui devrait monter à 165 millions d’euros », précise son cofondateur et directeur général Grégory Marciano. Tout en fermant ses restaurants situés dans des centres commerciaux français, l’enseigne se développe à l’étranger. Prochaine ouverture : Londres, dès le 9 septembre

 

Pascal SITTLER/REA

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