La liberté d'expression du salarié

Je vous reconnais bien là, chers lecteurs (de plus en plus nombreux…). Si vous acceptez l’idée selon laquelle l’entreprise est un théâtre et que les relations professionnelles sont un jeu de rôle, votre destin est déjà sur de bons rails. Gardez vos convictions pour la vraie vie. Et appliquez les conseils proposés dans ces chroniques…

La liberté d’expression du salarié

 

Pour certaines entreprises, le dialogue avec les salariés ressemble au bureau politique du FN, purge incluse. Que peut-on dire au travail ? Peut-on critiquer son patron ? Son entreprise ? Eléments de réponse.

La liberté d'expression du salarié

C’est sorti tout seul. Lors d’une réunion qui s’est mal passée, vous vous êtes permis de critiquer les techniques de management de votre entreprise. Que risquez-vous ? Sachez que la liberté d’expression est un principe constitutionnel qui s’applique à tous. Cela dit celle-ci est encadrée par le Code du travail. En effet, selon les articles L 1121-1 et L. 2281-1 et l’article 9 du code civil, le salarié bénéficie d’une liberté d’expression dans sa vie professionnelle sous réserve de ne pas en abuser. L’employeur peut restreindre cette liberté dans la mesure où cela est « justifié par la tâche à accomplir et proportionné au but recherché ». Par exemple, on demandera au comptable de rester discret sur les difficultés financières de l’entreprise à la cantine par exemple. On peut aussi demander à un ingénieur de ne pas évoquer devant les autres, un nouveau brevet scientifique. Dans un arrêt du 21 septembre 2011, la chambre sociale de la Cour de Cassation rappelle que « le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, d’une liberté d’expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. L’exercice de la liberté d’expression ne peut donc constituer une faute qu’à la condition d’avoir dégénéré en abus », c’est-à-dire en propos injurieux ou diffamatoires que ce soit en public, par mail, en réunion ou même sur les réseaux sociaux.

Favoriser l’expression individuelle

Les salariés ont également le droit de s’exprimer directement sur le travail qu’ils effectuent et de proposer des améliorations par exemple. L’entreprise a l’obligation de favoriser l’expression individuelle. Tout doit être mis en œuvre pour que les salariés s’expriment sur leurs conditions de travail : réunions, négociations, propositions. Il vous est donc loisible de critiquer les méthodes de management de votre supérieur hiérarchique. Mais envoyer des mails agressifs ou injurieux à ses collègues ou à ses supérieurs est considéré comme un abus de la liberté d’expression (arrêt de la cour de cassation du 11 juillet 2012).

Limite à la liberté d’expression: la diffamation

Pour reconnaitre un abus de liberté d’expression, les juges, sous le contrôle de la Cour de cassation, exigent que le salarié ait injurié, diffamé ou dénigré, tenu des propos excessifs.
Dans l’affaire précitée du 21-09-2011, un salarié est licencié pour avoir envoyé un courrier à un ancien dirigeant de la société, en litige avec elle, dans lequel il communiquait des informations diffamatoires et portant atteinte à la moralité du représentant de cette société.
Licenciement justifié selon la cour d’appel d’Agen, approuvée par la Cour de cassation :
“ayant constaté que dans une lettre adressée à un ancien mandataire social en litige avec le représentant de la société, le salarié avait mis en cause la moralité de ce dernier dans des actes relevant de sa vie privée, la cour d’appel a fait ressortir qu’il avait ainsi abusé de sa liberté d’expression ; que le moyen n’est pas fondé ”

L’utilisation de messages électroniques peut conduire au licenciement pour faute lourde compte tenu des termes utilisés, des destinataires du ou des messages et de l’intention de nuire à la direction de l’entreprise : les messages adressés par le salarié à de nombreux collègues et aux dirigeants de la société mère allemande à l’occasion d’un litige qui ne les concernait pas, caricaturaient les méthodes de gestion du dirigeant de la société française dans des termes excessifs et mettaient en cause son honnêteté et sa loyauté envers l’entreprise en procédant par insinuations et questions insolentes.
La Cour de cassation a donc suivi la cour d’appel :
“ayant retenu que ces faits, qui faisaient suite à de précédentes accusations injustifiées transmises à la société allemande elle a caractérisé l’abus par l’intéressé de sa liberté d’expression et son intention de nuire à l’employeur” Soc 29-04-2009 n°07-44813). Soc 21-09-11Soc 29-04-09

Abus et dénigrement

Peut-on dénigrer impunément les compétences d’un responsable ?
Non répondent la cour d’appel de Versailles et la Cour de cassation (23-06-2010 n°09-40825).
Dans cette affaire où une salariée avait été licenciée pour faute grave pour avoir à plusieurs reprises traité son supérieur d’incompétent devant plusieurs personnes, propos non contestés par l’intéressée :
” la cour d’appel qui a constaté que Mme X… avait dénigré à plusieurs reprises et auprès de diverses personnes son supérieur hiérarchique en le traitant d’incompétent a pu décider que ses propos excédaient les limites de sa liberté d’expression et en déduire ce comportement de la salariée rendait impossible son maintien dans l’entreprise et caractérisait une faute grave “.
Les propos étant établis et non contestés par l’intéressée dépassaient le cadre de la liberté d’expression, même s’ils ne constituaient pas une injure.

Signalons que les tribunaux sont saisis depuis quelques années de contentieux concernant des propos tenus sur les “réseaux sociaux” ou les blogs internet par des salariés peut-être imprudents.
Ainsi, le conseil de Prud’hommes de Boulogne Billancourt (19/11/2010) a eu à connaitre du dossier de licenciement d’un salarié ayant utilisé le réseau “facebook” pour tenir des propos portant atteinte à la réputation de l’entreprise et de son supérieur hiérarchique.
Après avoir écarté l’argument du salarié tiré de l’atteinte à sa vie privée, il a considéré que celui-ci avait abusé de sa liberté d’expression, ce qui justifiait le licenciement pour faute grave intervenu.

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