La fusion donne le ton ! Depuis son passage début 2020, dans le giron du néerlandais Takeaway.com (pour un montant de 6,9 milliards d’euros), Just Eat se convertit à marche forcée à la livraison du consommateur. Une activité que la plate-forme ne prenait pas en charge auparavant. Elle en laissait le soin aux restaurants eux-mêmes ou à des coursiers indépendants, agissant généralement pour son partenaire Stuart, filiale à 100 % de Geoposte (groupe La Poste). Contrairement à Takeaway qui pratique la livraison depuis 2016.
Une filiale Takeaway.com opérait donc déjà la livraison de ses clients dans 11 pays et 140 villes, en mobilisant 22 000 de ses salariés. C’est désormais au tour de Just Eat France d’internaliser progressivement ce service. Juste Eat commence par Paris, son premier marché français. Et programme de le faire dans une trentaine de villes d’ici fin 2021.
Fragilité juridique du modèle auto-entrepreneur
L’entreprise, d’emblée, a donc choisi de ne pas recourir à des livreurs auto-entrepreneurs. Un modèle adopté par ses concurrents Deliveroo et Uber Eats mais de plus en plus remis en cause. Par les clients, par les livreurs et par la Justice elle-même, saisie par ces derniers. Le juge n’hésite plus, dans certains cas, à requalifier des prestations de service en contrat de travail (Conseil de Prud’hommes de Paris, février 2020).
D’autres tribunaux, en revanche (cour d’appel de Paris, octobre 2020), n’ont pas trouvé de motifs pour les requalifier. Néanmoins, les recours se multipliant ces derniers mois, la fragilité juridique de leur lien entre avec les coursiers indépendants constitue désormais un risque avéré de contentieux pour les plateformes. Le choix de Just Eat devrait la mettre à l’abri d’éventuelles poursuites de ce type.
Just Eat, pour sa part, a déclaré qu’elle embaucherait exclusivement des livreurs dans le cadre de CDI. Ils signeront avec sa filiale en charge de cette activité, un contrat de travail à temps partiel (à partir de 15 h/semaine et jusqu’à 35 heures). Ses salariés seront rémunérés, non plus à la course, mais à l’heure. Sur la base de 10,30 € brut de l’heure (soit 5 centimes de mieux que le SMIC). Et quel que soit le nombre de courses effectuées dans l’heure.
Double challenge : recruter-fidéliser et absorber cette charge
Just Eat ne facturera pas cette prestation au consommateur, à court terme du moins. Les restaurateurs supporteront en revanche une commission de 30 %, contre 13 à 15 % auparavant quand eux-même assuraient la livraison. Ils pourront toujours, demain, continuer d’utiliser leur propre flotte.
Comme l’indiquait Meleyne Rabot au JDD (30 janvier 2020), sa directrice générale, Just Eat était et va rester une place de marché. « 80% de nos 15 000 restaurants partenaires en France ont leur propre service de livraison, précisait-elle, cette nouvelle offre s’adresse aux 20% d’indépendants et de grandes chaînes de fast-foods qui n’ont pas leurs coursiers.»
La marque va donc faire face à un double challenge. Recruter et fidéliser des livreurs fiables, d’une part. Et maîtriser ses coûts d’exploitation en absorbant une charge fixe supplémentaire. Pas sur que les 30 % facturés aux restaurateurs n’y suffisent. D’autres opérateurs, dans un passé récent (Foodora et Take it Easy en 2019), ont cessé leur activité.
Quant à ses concurrents Deliveroo et Uber Eats, leur marge brute d’exploitation ne dépasse guère 14 %. Les géants les compensent par des volumes. Just Eat n’échappera pas à cette logique.