Foire d'empoigne autour du Pavillon Dauphine

Les appels d'offre de la municipalité pour l’exploitation de ses plus prestigieuses adresses des Champs-Elysées......

Foire d’empoigne autour du Pavillon Dauphine

Les appels d’offre de la municipalité pour l’exploitation de ses plus prestigieuses adresses des Champs-Elysées au bois de Vincennes donnent lieu à une guerre sans merci.

 

Foire d'empoigne autour du pavillon Dauphine Foire d'empoigne autour du pavillon Dauphine

C’est l’un des hauts lieux des cocktails parisiens. Les fastueux salons du Pavillon Dauphine voient défiler, chaque semaine, les membres du Rotary-Club, chaque mois, les invités des Matins HEC-Challenges, et le gratin local de l’UMP s’y retrouve pour le Nouvel An. Une folie de la Belle Epoque, posée entre le bois de Boulogne et l’avenue Foch, qui fait aujourd’hui l’objet d’une bataille de chiffonniers bien loin de ces aimables rencontres. En remettant en jeu les concessions de ses pavillons, la mairie de Paris a ouvert la boîte de Pandore. Lettres anonymes, lobbying intensif, attaques judiciaires… Tous les coups sont permis dans cette guerre des petits-fours.

Une redevance qui rapportera bien plus

La ville possède une vingtaine de lieux de restauration et de réception, situés surtout dans les jardins des Champs-Elysées, les bois de Boulogne et de Vincennes. Des vitrines prestigieuses exploitées par des sociétés privées, dont le chiffre d’affaires peut avoisiner les 10 millions d’euros. Les concessions ont longtemps été attribuées de gré à gré, les sortants étant reconduits pour dix à quinze ans. Pour en finir avec ces rentes, l’ex-maire Bertrand Delanoë a mis en place de vrais appels d’offres transparents. L’occasion de faire grimper la redevance perçue par la ville, comprise entre 5 et 10% des revenus.

Si certaines attributions n’ont pas fait de vagues, comme celles du restaurant Laurent (groupe Partouche) aux Champs-Elysées, ou de la Chesnaie du Roy (GL Events) au bois de Vincennes, la famille Ambert, elle, ne se résout pas à lâcher le Pavillon Dauphine. “Nous avons donné quarante ans de notre vie pour ce pavillon, qui était en triste état lorsque nous l’avons récupéré”, s’exclame son gérant, Dominique Ambert. En 2012, une première consultation désigne le traiteur Raynier Marchetti comme vainqueur. Mais Ambert lance une violente campagne contre son rival, l’accusant d’être au bord de la faillite. Finalement, la procédure sera annulée car, selon la mairie, Ambert a donné des informations inexactes sur les effectifs, faussant – sciemment ? – l’appel d’offres.

La ville relance une procédure qui aboutit en juin 2014 à la victoire d’un troisième larron, Saint Clair Le Traiteur, filiale de Potel et Chabot. Colère des autres candidats. “On ne nous a jamais donné les clés alors qu’on avait gagné”, peste François Raynier, qui estime être le dindon de la farce et dépose un nouveau recours devant le tribunal administratif. Ambert le suit et monte d’un cran : défendu par le ténor du barreau Olivier Pardo, ce dur à cuire porte plainte au pénal pour favoritisme contre la mairie, qui, en retour, l’attaque pour diffamation !

Une mémorable descente de police

Et pour cause, le gérant a envoyé aux élus et aux journalistes un brûlot intitulé “Tricherie et favoritisme dans les appels à candidatures de la mairie de Paris”. “Réseautage et copinage sont devenus les deux mamelles des adjoints et des hauts fonctionnaires en charge des affaires de la ville. […] L’argent irrigue le système”, accuse ce document concocté par l’agence CClarisse qui conseille aussi… Pierre-Yves Bournazel, vice-président du groupe UMP au Conseil de Paris. Le pavillon serait bradé au grand capital, Potel étant détenu par le fonds d’investissement 21 Partners, contrôlé par la famille Benetton. La mairie a même reçu une lettre anonyme qui dénonce les pratiques d’optimisation fiscale du fonds.

Grande gueule, Ambert se dit victime d’un complot de la mairie, qui lui ferait payer sa proximité avec la droite. Il se plaint d’un contrôle musclé de l’Urssaf dans les cuisines, “avec des policiers le flingue à la main”, à la suite d’une autre lettre anonyme. “Dans ce milieu consanguin où les salariés passent d’une entreprise à l’autre, tout le monde utilise des extras, et c’est le royaume du black”, fait remarquer un connaisseur. Selon Ambert, la mairie aurait, en fait, organisé un jeu de chaises musicales pour ménager Potel et Chabot.

En effet, le traiteur a pu conserver le Pavillon Gabriel et son studio loué à Michel Drucker. Mais il va fermer pour travaux et, en juin, Potel a perdu, après quarante-cinq ans de règne, le Pavillon d’Armenonville, passé chez Butard Enescot. Une défaite contestée devant le tribunal administratif. L’auguste maison, fondée en 1820, s’y connaît aussi en lobbying. Son PDG Franck Jeantet a harcelé les élus, agitant le spectre d’un plan social touchant 100 personnes. Les salariés, coiffés de toques et armés de casseroles, ont manifesté devant l’hôtel de ville de Paris. Pourtant, Butard Enescot s’est engagé à reprendre les équipes.

Quand les politiques s’en mêlent

Potel s’est aussi payé les services du célèbre avocat Jean Veil et de Renaud Donnedieu de Vabres. “Leur cause vaut la peine d’être défendue, assure l’ex-ministre reconverti dans le conseil. Le choix ne devrait pas appartenir aux services de la ville mais aux élus.” Le Conseil représentatif des institutions juives de France, qui organise son dîner annuel à Armenonville, où défile le gratin politique, s’est fendu d’une lettre de soutien. L’affaire est même remontée jusqu’au cabinet de Nicole Bricq, alors ministre du Commerce extérieur. Enfin, Jeantet a écrit à la mairie pour dénigrer les méthodes de Butard Enescot et dénoncer l’installation en Belgique de son propriétaire, l’homme d’affaires Jean-Marie Paul. “Notre entreprise paie ses impôts en France, rétorque son directeur général, Hubert Primas. Ces coups bas sont indignes d’une telle maison.”

Les arguments de Potel et d’Ambert ont été relayés par les élus UMP du XVIe arrondissement, comme Bernard Debré, et même par des socialistes tels que l’ex-ministre Daniel Vaillant. “Les sortants se considèrent chez eux, car ils ont embelli leurs pavillons, mais il s’agit d’emprises publiques, se défend-on à la mairie, qui note que tous les recours ont été rejetés. Le niveau de pression est délirant par rapport aux montants en jeu, on croirait négocier des contrats d’armement !” Elle souligne aussi le bilan positif pour le contribuable : la mise en concurrence a fait grimper les redevances de 30, 50, voire 100%. Mais elle a accepté de lâcher du lest. Les élus seront désormais davantage associés à la sélection des candidats. Pas sûr que cela calme les ardeurs des lobbyistes.

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