Dans les cuisines de l’Elysée

Un cuisinier à moitié chamane, qui sait lire dans ses restes, déceler ses carences, deviner ses désirs, qui sait comment recharger les batteries du grand patron, apaiser ses tensions, lui donner du plaisir.

Dans les cuisines de l’Elysée

Plongée au cœur des cuisines de l’Elysée, un palais sous le palais.
Dans les cuisines de l'Elysée

Un sous-sol d’inox, d’ombres et de saveurs. Une brigade toquée et taiseuse, précise et concentrée. Juste le battement des fouets et le raclement des cuillères, le ronronnement des hottes et les bips des minuteurs. Les batteries de cuivres astiqués, les feux doux, vifs, réglés à la seconde. Partout : des senteurs, des bouquets captivants, délicieux. Vous n’en saurez pas plus : les couvercles sont sur les casseroles et les secrets enfermés dans les marmites et derrière les portes des fours. Un doigt de torchon qui essuie d’une virgule un rebord d’assiette. Un fumet qui monte à l’étage et à l’esprit. Les cuisines de l’Elysée, les papilles du palais, un royaume dans le royaume : souterrain, indépendant et mystérieux, une petite armée d’uniformes blancs. Une vingtaine d’hommes habiles et obéissants. Que des hommes. La troupe autour d’un chef : LE chef. L’autre chef de l’Elysée, le chef du chef de l’Etat. L’homme qui nourrit le Président, celui qui veille sur son ventre, celui qui parle à son deuxième cerveau.

 

Un cuisinier à moitié chamane, qui sait lire dans ses restes, déceler ses carences, deviner ses désirs, qui sait comment recharger les batteries du grand patron, apaiser ses tensions, lui donner du plaisir. Le chef de l’Elysée, un homme clef de la République. Guillaume Gomez aujourd’hui, hier, son mentor Bernard Vaussion, avant eux : les Normand, Le Servot et Pelois… La bande des cinq. Plus d’un demi siècle d’histoires de palais au palais, des cadors des fourneaux qui n’ont jamais eu d’autres ordres à recevoir que ceux des Présidents de la Vème ou de leurs Premières dames. Du général de Gaulle à François Hollande.

A l’Elysée, le chef aussi a 39 ans

Ils les ont tous fait manger, choyé leurs familles, régalé leurs amis, flatté leurs invités, réconforté leurs conseillers. Ils ont nourri des fines gueules, des gloutons, des insatiables, des ascétiques, des dédaigneux, des capricieux, des pique-assiettes, des bedonnants, des maigrichons, des géants et des avortons. Autant de goûts, d’envies, de préférences auxquels les chefs de l’Elysée ont toujours su s’accommoder.
Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es : l’aphorisme de Brillat-Savarin. Au fil de l’histoire, les menus sont édifiants et les anecdotes savoureuses, les silhouettes des uns et des autres se dessinant rapidement dans leurs assiettes. L’ombre d’un grand homme penché au-dessus de l’une d’entre elles. Le général, qui raffolait des sardines et des petits pois en conserve que Tante Yvonne allait discrètement lui acheter aux Halles. De Gaulle pour qui la ponctualité des repas primait sur le contenu de l’assiette : 13h10 tapantes pour le déjeuner. 20h15 sonnantes pour le dîner. Le général, grand fana de bouillabaisse, qui aura dynamité les usages des précédentes Républiques, débarrassant sa table de la grande cuisine bourgeoise giboyeuse et de sa quinzaine de plats défilant pendant trois ou quatre heures. Avec le général : cinq plats maximum et deux heures à table tout au plus.
Son successeur, Georges Pompidou, sera celui qui fera rénover les cuisines du palais. Pompidou, le terrien, gourmand, amateur de plats canailles, de gigot de sept heures, de Bourguignon et de veau aux carottes. Tout le contraire d’un Valéry Giscard d’Estaing, qui sera le président de la nouvelle cuisine. Un admirateur de Bocuse qui créa pour lui le VGE, un potage aux truffes, aussi goûteux que snob. Dans l’histoire des cuisines élyséennes,  François Mitterrand restera sans doute, le plus difficile des locataires du palais. Un gourmet rarement satisfait, un monarque socialiste, friand de foie gras et d’ortolans, capable de faire venir des coquillages de l’autre bout du monde pour un dîner entre amis. Une table Mitterrandienne, souvent garnie d’un grand pot de caviar ou chacun pouvait se servir à la cuillère.

 
Une gauche béluga, renversée par un Chirac découpeur de têtes de veau, de viandes saignantes, d’agneaux rosés et de poulets rôtis. Un ogre toujours affamé, mordu de joues de bœuf, d’osso bucco, de boudins aux pommes et d’escargots, pleins de beurre. Un super-client pour les chefs, à l’inverse d’un Nicolas Sarkozy, tout petit mangeur, plus fine bouche qu’on l’imagine, mais obsédé par sa ligne, sa forme et le temps perdu. Jamais un verre de vin. Un Sarko, fou de chocolat, de pâtes italiennes et de légumes croquants. Un champion du mangé digéré en 20 minutes chrono. 20 minutes… A peine nécessaire pour préparer un cordon bleu selon les règles de l’art. Le cordon bleu, le petit péché mignon d’Emmanuel Macron. Au Veau, à la dinde, au poulet, avec du jambon cuit, cru ou fumé, depuis une semaine, le maître de la cuisine de l’Elysée, Guillaume Gomez, a déjà imaginé toutes les variantes possibles. La nouvelle Première dame peut d’ores et déjà être rassurée. Le 55 faubourg St-Honoré, est le dernier endroit où son tout jeune président de mari mangera des saloperies.

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