Contrat unique : pourquoi Manuel Valls a Raison

Un contrat unique combine astucieusement CDI et CDD. La protection et les indemnités de licenciement augmentent progressivement avec la durée de l'emploi de chacun. Autrement dit, une personne nouvellement embauchée commence avec un CDD, puis son contrat glisse peu à peu vers un CDI.

Contrat Unique : pourquoi Manuel Valls a Raison

Pour l’économiste du “Figaro” Charles Wyplosz, la prise de position récente du Premier ministre en faveur d’un contrat unique pourrait être une véritable avancée dans la lutte contre le chômage.

Contrat Unique : pourquoi Manuel Valls a Raison

Tous, ils jurent de ne ménager aucun effort pour faire reculer le chômage. Les politiques de tous bords, les syndicalistes, les faiseurs d’opinion sont tous vent debout face à ce scandale qui sape la France, humainement et socialement. Depuis trois décennies, ils déclarent se dévouer corps et âme à cette noble tâche. Résultat? Rien.
Le chômage serait-il incompressible? Pas du tout, bien sûr. Il y a une vingtaine d’années, la France ne faisait pas plus mal que l’Allemagne ou la Grande Bretagne. Aujourd’hui, leurs taux de chômage sont la moitié du notre. Manifestement, on n’a pas tout essayé. On n’a surtout pas essayé ce qui marche, flexibiliser le marché du travail.
L’idée du contrat unique a été avancée et analysée depuis longtemps. Il s’agit de casser le marché à deux vitesses que nous connaissons aujourd’hui.
Le souhait exprimé par Manuel Valls d’adopter un contrat de travail unique variable constitue une rupture remarquable par rapport à la couardise générale. De toutes les réformes nécessaires, c’est sans aucun doute la plus efficace, et même la plus juste. La réaction a été non moins remarquable. Les syndicats ont été unanimes à rejeter cette idée, sans même expliquer pourquoi. Mystérieusement, même le Medef a pris position contre. Tous semblent apeurés par une réforme qui tombe trop loin du marécage quotidien. Voilà pourquoi le chômage de masse a de beaux jours devant lui.
L’idée du contrat unique a été avancée et analysée depuis longtemps. Il s’agit de casser le marché à deux vitesses que nous connaissons aujourd’hui. D’un côté, les employés en CDI – ou en contrat à vie pour les fonctionnaires – bénéficient d’une forte garantie d’emploi. En cas de licenciement, qui doit être pour raison économique approuvée par les tribunaux, ils ont droit à de solides indemnités. D’un autre côté, les employés en CDD, justement décrits comme précaires. Ils ne bénéficient d’aucune protection et ne reçoivent aucune indemnité lorsque leurs contrats se terminent. Il est difficile de trouver quelque chose de plus inéquitable.
Ce n’est pas seulement une injustice manifeste, c’est aussi une source majeure de chômage. Une entreprise qui embauche en CDI sait que, si sa situation se détériore, dans un an comme dans dix, il lui sera difficile et très couteux d’ajuster la taille de son personnel. La conclusion est claire: éviter d’embaucher et automatiser au maximum, ou embaucher en CDD au risque de se voir accusé de créer de la précarité, et de s’acheter l’hostilité des syndicats. Si la France est le pays où la productivité du travail est la plus élevée au monde, c’est parce chaque entreprise fait tout ce qu’elle peut pour produire avec le moins de main d’œuvre possible. Cette merveilleuse performance n’est jamais que l’autre visage du chômage de masse.
Le marché du travail à deux vitesses pénalise avant tout les PME. Les grandes entreprises, qui emploient des milliers de personnes, peuvent toujours compter sur les départs volontaires (retraite, déménagement) pour opérer les ajustements à la baisse en cas de besoin. Les PME, qui emploient la majorité des gens dans le secteur privé, n’ont pas ce luxe. Tout le monde veut aider les PME, mais personne ne veut leur donner les moyens d’embaucher quand tout va bien, au risque de débaucher en cas de besoin.
Un contrat unique combine astucieusement CDI et CDD. La protection et les indemnités de licenciement augmentent progressivement avec la durée de l’emploi de chacun. Autrement dit, une personne nouvellement embauchée commence avec un CDD, puis son contrat glisse peu à peu vers un CDI. Il n’y a plus de coupure entre employés protégés et employés précaires, plus de stigmatisation des «CDD permanents» qui passent de petit boulot en petit boulot sans jamais arriver au paradis des CDI. Avec un tel système, on peut supprimer le motif de licenciement pour raison économique, notion très subjective qui est une source de judiciarisation que déplorent toutes les entreprises. Le risque est que les entreprises fassent tourner leur personnel pour n’avoir que des employés récemment embauchés et donc peu protégés. Non seulement ce n’est pas une approche intelligente, car cela empêche de former des employés aux besoins spécifiques de chaque entreprise, mais il existe une solution. Elle consiste à pénaliser les entreprises qui pratiquent un tournis systématique en liant leurs contributions sociales à la fréquence de leurs licenciements, mesurés sur plusieurs années pour éviter les à-coups conjoncturels.
Le contrat unique, ce n’est pas le paradis, certes. En moyenne, les employés seront moins bien protégés qu’avec un CDI, mais protégés contre quoi ? Contre le chômage. Mais si le chômage est réduit, disons de moitié, la protection est moins nécessaire car les licenciements seront moins fréquents.
Parce qu’elle réduit fortement le découragement à l’embauche qui caractérise le marché du travail actuel, l’adoption du contrat unique permettra de réduire, progressivement mais massivement, le chômage. Pourquoi donc ce rejet généralisé? Parce que ceux qui ont un CDI seront moins bien protégés pendant une partie de leur carrière. Comme ils sont la majorité – déclinante – des employés, très démocratiquement, ils sont défendus par leurs syndicats. Mais derrière cette réaction démocratique se dissimule la défense d’intérêts privés au détriment de l’intérêt général. En effet, tout le monde bénéficiera de la baisse permanente du chômage. Non seulement, chaque employé en CDI peut quand même perdre son poste et se retrouver dans le marasme des petits boulots en CDD ou même du chômage, y compris de longue durée. De plus, une réduction massive du taux de chômage permettra de substantielles économies en terme d’allocations qui, faut-il le rappeler, sont financées par les prélèvements obligatoires.
Le contrat unique, ce n’est pas le paradis, certes. En moyenne, les employés seront moins bien protégés qu’avec un CDI, mais protégés contre quoi? Contre le chômage. Mais si le chômage est réduit, disons de moitié, la protection est moins nécessaire car les licenciements seront moins fréquents. Et s’il est possible de retrouver rapidement un emploi en cas de licenciement, la protection perd encore plus de son intérêt. Plus fondamentalement, on ne peut exagérer les ravages du chômage de masse (le taux de chômage n’est jamais passé en dessous de 8% depuis trente ans). Il angoisse les jeunes et leurs parents, il criminalise les banlieues, il coupe un lien social essentiel, il peut même détruire les familles et déstabiliser psychologiquement, et il encourage les tensions entre groupes sociaux et communautés. Le chômage devrait être l’objectif numéro un de tous ceux qui exercent des responsabilités, en actes, pas en paroles. A voir les réactions à la proposition de Manuel Valls, on en est loin. Tant de cynisme est révoltant.

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Charles Wyplosz est professeur d’économie internationale à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève et directeur du Centre international d’études monétaires et bancaires. Ses principaux domaines de recherche sont les crises financières, l’intégration monétaire européenne, les politiques monétaires et budgétaires ainsi que l’intégration monétaire régionale. Il intervient fréquemment comme expert auprès d’organisations internationales.

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04/Mars/2015

Pour la première fois, le président Hollande a évoqué la piste d’une fusion du CDD et du CDI.

“Sur le chômage, il n’y a pas de solution magique”. Cette petite phrase lâchée par François Hollande lors de son entretien face aux lecteurs du Parisien, mercredi, n’est pas sans rappeler celle de François Mitterrand, qui avait assuré en 1993 “avoir tout essayé.” Pas de baguette magique donc, pour relancer l’emploi. Mais un effort va être porté sur les petites entreprises pour qu’elles embauchent. Une grande conférence thématique consacrée à l’emploi dans les PME et TPE aura même lieu dans les semaines à venir. A SUIVRE………

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