Certaines pizzerias parisiennes n’emploient que des Italiens. Est-ce légal?

Certaines pizzerias parisiennes n’emploient que des Italiens. Est-ce légal?

 

Les restaurants du groupe Big Mamma, par exemple, sont connus pour leur personnel composé d’une grande majorité d’Italiens. Ils ne sont pas dans l’illégalité si la nationalité n’est pas une condition de recrutement, ou s’ils n’ont pas eu le choix

Certaines pizzerias parisiennes n'emploient que des Italiens. Est-ce légal?

Les fondateurs de Big Mamma, Victor Lugger et Tigrane Seydoux. Photo AFP. Martin Bureau.

 

Nous avons reformulé votre question, qui était à l’origine : «Pourquoi les serveurs et cuisiniers de la franchise Big Mamma à Paris parlent-ils tous italiens (alors que les deux fondateurs sont français)? S’agit-il d’une forme de discrimination à l’embauche ?»

Après avoir envahi Paris avec leurs sept établissements, (East Mamma, Ober Mamma, Biglove Caffé, Mamma Primi, Pink Mamma, Pizzeria Popolare, et La Felicità), les pizzerias Big Mamma viennent d’ouvrir un nouvel établissement à Lille. Le groupe de restauration se distingue par sa cuisine, son ambiance branchée, son décor 100 % italien… et un personnel quasi exclusivement transalpin. «quatre-vingts pourcents de nos employés sont italiens», affirme à CheckNews, Victor Lugger, co-fondateur de l’entreprise Big Mamma.

Dans une interview donnée à Challenge l’année dernière, le fondateur allait même un peu plus loin, évoquant un personnel 100% italien. «Ce qu’on aime quand on va en Italie, c’est quand on entre dans n’importe quelle trattoria, dans les Pouilles, en Sicile, et même au fin fond du Piémont: c’est bon, c’est pas cher et c’est servi avec le sourire, dans la bonne humeur, dans des lieux chaleureux où on a l’impression d’entrer dans une famille», expliquait-il, ajoutant avoir souhaité «prendre cette recette et la créer à Paris». D’où «100% de produits provenant en direct de producteurs en Italie, 100% de fait maison, et un staff à 100% italien».

Ce qui est sûr, c’est tout le monde parle italien dans les cuisines et pendant le service. C’est revendiqué. «C’est la langue de l’entreprise. Le restaurant doit être le plus authentique possible et recréer l’ambiance italienne. Quand le client franchit nos portes, il doit se sentir comme en Italie, et être accueilli comme il le serait par des Italiens», explique l’entrepreneur français à CheckNews. Les restaurants Big Mamma ne sont pas les seuls à avoir lancé ce concept. Chez un de leurs concurrents, Grazie (à Paris également), la majorité du personnel est également italien ou parle italien. D’où votre question : ce choix relève-t-il de la discrimination à l’embauche?

L’italien, un critère d’embauche

Le recrutement par nationalité est clairement un motif de discrimination. «A compétence égale, si un Français, parlant italien, n’est pas recruté par le restaurant car ce dernier a préféré prendre un Italien en raison de sa nationalité, c’est de la discrimination directe», affirme Johan Zenou, avocat en droit du travail, à CheckNews. Un restaurant exigeant que ses employés soient italiens serait donc dans l’illégalité.

Exiger qu’un employé parle Italien, en revanche, n’est pas illégal. Le fait de ne pas recruter un candidat parce qu’il ne maîtrise pas une autre langue que le français, n’est pas considéré comme une discrimination à l’embauche. Nul besoin, selon les avocats interrogés, que la compétence linguistique se justifie par l’accueil d’une clientèle étrangère. «Dans le cas des restaurants Big Mamma, parler italien peut être présenté comme une nécessité, puisque le fondateur souhaite en effet que l’ambiance de l’Italie soit totalement recréée. L’utilité invoquée est commerciale», explique à CheckNews Emmanuelle Boussard Verrecchia, avocate en droit du travail.

La discrimination indirecte

Reste qu’un critère d’embauche non discriminant peut mener à la discrimination… C’est la discrimination indirecte. Le Code du travail (article 1 – LOI n° 2008-496 du 27 mai 2008) dispose qu’«un critère ou une pratique neutre en apparence, (est) susceptible d’entraîner[…]un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes». Dans le cas qui nous intéresse, le fait de vouloir à tout prix que son personnel parle italien pour recréer une ambiance, avec ses dialectes, et sa culture, peut entraîner indirectement le restaurant à employer exclusivement des Italiens, et donc à discriminer les autres nationalités.

Sauf si l’établissement arrive à légitimer cette pratique comme «objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but soient nécessaires et appropriés.» (LOI n°2008-496 du 27 mai 2008) Par exemple: l’établissement arrive à prouver que la pratique de l’italien est indispensable d’un point de vue commercial dans son restaurant et en raison de l’état du marché de l’emploi, il n’a pas eu d’autre choix que d’employer que des Italiens. En dernier recours (et en cas de plainte), il appartiendrait à un juge d’apprécier les arguments du restaurant.

La peine encourue pour discrimination est d’un an d’emprisonnement, une amende de 3 750 euros et potentiellement d’un affichage de jugement (sur ses portes est affichée la condamnation), selon l’article 225-4 du Code pénal.

Cordialement

Farah Sadallah

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le CFPJ pour le journal d’application de la promotion 46.

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