Booking, Expedia : pourquoi ça “chauffe” entre plateformes et hôteliers ?

Booking, Expedia : pourquoi ça “chauffe” entre plateformes et hôteliers ?

 

Commission à 22% – obligation d’émettre des vouchers, mais Expedia garde l’argent des hôteliers…

 

Rien ne va plus dans le landerneau de la distribution digitale des hôtels. Si la France a déclaré la guerre au Covid-19 au printemps dernier, les hôteliers ont fait de même contre leurs principaux distributeurs à savoir Booking.com et Expedia. Nous vous révélons les pratiques pas toujours très chevaleresques des géants du numérique… Direction le Maroc.

 

Booking, Expedia : pourquoi ça "chauffe" entre plateformes et hôteliers ?

Commission à 22%, obligation d’émettre des vouchers, mais Expedia garde l’argent des hôteliers… – Crédit photo : Depositphotos @Olly18

A la fin mai 2020, Expedia nous contactait pour prendre la parole et nous présenter son plan de relance.

Environ 250 millions d’euros étaient mobilisés “pour aider et venir en soutien à la fois de nos partenaires, des destinations et de l’industrie dans son ensemble,” nous déclarait alors Olivier Pernoud, directeur des marchés pour la partie Nord de l’Europe chez Expedia.

Comprendre par partenaires, les hôteliers français fortement impactés par l’arrêt du tourisme.

Sauf que derrière cet élan chevaleresque se cachent des pratiques beaucoup moins reluisantes. Un hôtelier installé au Maroc nous a contactés pour nous dévoiler l’envers du décor.

“Il y a eu des changements de règles de façon unilatérale, sans qu’aucun recours ne soit possible, c’est assez cocasse.

Avec le virus, ils nous ont demandé d’assouplir nos règles de réservation,” nous explique l’hôtelier préférant garder l’anonymat, par peur des représailles.

Pour rendre la plateforme plus flexible aux yeux des voyageurs, les séjours deviennent tous remboursables et c’est aux hôteliers de s’affairer.

 

Expedia : avec la mise en place des vouchers “ils étranglent les hôtels”

“Ils nous ont dit que ce serait bien de proposer des vouchers, sauf que nous avons du faire toute la relation commerciale, même pour des billets non remboursables.

Mais l’histoire de s’arrête pas là, car Expedia s’est permis d’émettre des vouchers sans rien nous demander,” témoigne le professionnel.

Etranglés par des charges fixes, des salariés et des protocoles sanitaires lourds, les hôteliers se retrouvent privés de l’argent de ces plateformes.

En effet, le géant américain conserverait alors les réservations dans ses caisses et ne débloquera les montants qu’une fois le client à bon port, une mesure similaire à ce qu’il se passe dans la distribution touristique.

“Ils étranglent les hôtels, car nous avons intérêt à mettre en place ces vouchers que si et seulement si nous avons la trésorerie, à l’image des compagnies aériennes ou des agences de voyages.” Sauf que bien évidemment ce n’es tpas le cas.

Gérant alors la relation client les hôteliers se trouvent privés de liquidités, mais en plus se voient appliquer la commission de base à savoir 20%.

Autre particularité de ces nouvelles pratiques : l’incapacité à joindre des responsables.

“Un responsable local m’a alors communiqué un numéro pour que je puisse exposer mon problème, sauf que je tombe sur un centre d’appels avec des réponses automatisées et écrites.”

Une façon de décourager les moins téméraires et de noyer les plaintes, par des procédures interminables.

 

Expedia vs Hôtels : “il y a clairement un abus de position dominante”

Pour Jean-Baptiste Pieri, le patron de l’association des hôteliers du golfe d’Ajaccio ces menaces relèvent d’un autre temps.

“Ce genre de pratique en France, je ne dis pas que c’est impossible, mais cela fait quelques années que nous n’en avons plus entendu parler.

Sachant qu’ils sont sous enquête des autorités de la concurrence en Europe, je pense que cela relève plutôt du contexte marocain.”

Après être devenu indispensable pour l’ensemble du parc hôtelier mondial, ces plateformes maîtrisent d’une main de maître et de fer la distribution.

“Ils augmentent leurs commissions régulièrement, pour dépasser maintenant les 20%.

Ils parlent de nous comme des partenaires, pour nous appâter, puis une fois dans la machine, nous n’avons plus prise sur quoi que ce soit,” se plaint l’hôtelier désabusé.

Et alors qu’il est interdit contractuellement de communiquer sur le montant de la commission, pour ne pas faire de mauvaises publicités, Expedia n’hésiterait pas à proférer des menaces.

“Si jamais vous n’acceptez pas les règles du jeu, ils nous font comprendre que nous allons passer derrière tous les autres établissements dans les requêtes clients.

Ainsi, nous n’avons plus le choix que d’accepter les hausses de commission.”

Cette menace de reléguer l’hôtel dans les limbes du web mondial, n’est pas la seule mesure coercitive.

“Sans nous le dire, ils peuvent afficher partout que l’hôtel est complet, donc décourager le client. Il y a clairement un abus de position dominante.”

 

Près de 30% des hôtels français menacés par la faillite en 2020

Du côté de l’UMIH, Laurent Duc dénonce l’usine à gaz créée par Expedia.

“En échange d’une baisse de 10% de réduction de commission, les hôteliers ont obligation d’afficher une baisse de tarif de 10% aux clients de la plateforme et avoir des tarifs au minimum paritaires avec ceux pratiqués ailleurs,” dénonce le président de la branche Hôtellerie.

La DGE (Direction Générale des entreprises), toujours selon le représentant du syndicat, trouverait ces pratiques illégales.

D’autant qu’en plus de dicter ses règles, le géant américain ponctionnerait 22% à chaque réservation, un taux qui ne cesse d’augmenter année après année.

“Ce qui est scandaleux dans tout ça : les commissions que nous allons devoir leur payer le seront par le PGE que nous avons souscrit auprès de l’Etat.”

Alors que le taux d’occupation serait en recul de 20 à 25%, et atteindrait les 30% en prenant en compte le parc entier y compris les hôtels fermés, ces pratiques pourraient entraîner au purgatoire bon nombre d’établissements français.

Si la situation pourrait paraître économiquement moins chaotique pour les géants du numérique, ces derniers ont dû recapitaliser et licencier en masse.

A l’image d’Airbnb, qui a dû licencier un quart des salariés dans le monde et entier, soit 1 900 personnes.

Malgré les difficultés rencontrées par les deux parties, “à l’heure actuelle, les négociations sont rompues. Ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas payer n’auront pas de clients.

Je pense que nous allons perdre un tiers des enseignes de l’hôtellerie,” craint Laurent Duc, le président de la branche Hôtellerie de l’UMIH.

Toutefois, les hôteliers n’entendent pas couler en silence, des actions seront prévues à Lyon, puis dans le sud ou encore en Bretagne.

La pression a été mise sur le nouvel exécutif, auquel il est demandé de bloquer la commission à 5% au moins jusqu’à la fin de l’année 2020.

Avec une capacité hôtelière 20% trop importante, si les deux parties ne font pas d’effort, la casse sera terrible dans quelques mois.

 

Réponse d’Expedia :

« Parallèlement aux initiatives gouvernementales prises et aux efforts déployés par les professionnels médicaux du monde entier, les déplacements internationaux ont été rigoureusement limités afin de lutter contre la COVID-19.

En conséquence, les touristes n’ont pas pu effectuer leur voyage en raison des restrictions gouvernementales liées à la lutte contre la COVID-19. D’ailleurs, il aurait été extrêmement risqué, dangereux et socialement irresponsable pour eux de voyager.

Nous sommes toutefois conscients que les demandes d’annulation successives exerçaient une pression énorme sur nos partenaires en multipliant les tâches administratives inutiles et évitables.

On ne pouvait pas rester sans rien faire alors qu’on pouvait contribuer à faciliter les choses. Il était donc important que nous puissions répondre aux demandes d’annulation aussi rapidement et simplement que possible afin de soulager au maximum nos partenaires et les voyageurs du monde entier.

Pendant cette période, les partenaires ont eu le choix de demander à Expedia de rembourser intégralement ou de fournir des bons aux voyageurs dont les réservations n’étaient pas remboursables.

Le bon est valable pour une utilisation dans la même propriété afin de faciliter les réservations futures une fois que le voyage aura repris.

Sachant que les bons sont une solution populaire dans le monde entier, nous avons automatiquement inscrit nos partenaires à notre programme de bons COVID-19, tout en leur offrant la possibilité de se désinscrire et d’effectuer des remboursements complets à la place.

Nous pensons que cette approche est plus simple et plus facile aussi bien pour nos partenaires et que les voyageurs. »

 

Romain PommierPublié par Romain PommierJournaliste – TourMaG.com

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