La Serveuse se confesse

De son côté de la table, elle a tout vu. De la naissance de belles histoires d'amour aux ruptures orageuses (commentées en catimini par tout le personnel). Du vieux couple qui tue l'ennui en émiettant des biscuits soda au jeune couple BCBG pris en flagrant délit de bagatelle un soir d'été sur la terrasse désertée. «On leur a dit d'arrêter. Ils ont continué dans les toilettes.»

La Serveuse se confesse

 

Quand une “waitress” se met à table, il faut tendre l’oreille… et laisser un bon pourboire

La Serveuse se confesse

 

En dix ans de service dans cinq restaurants torontois (du café m’as-tu-vu à la rôtisserie familiale), Tammy ne compte plus le nombre de cheveux sur la soupe, de poils dans les pâtes, de cils dans les patates… «Oh oui, ça arrive souvent!» Et d’où viennent-ils, ces fâcheux? «Hum… Difficile à dire. Peut-être de la cuisine, peut-être des clients. Peut-être qu’ils flottaient dans les airs.» Minute, moumoute. Et toi, Tammy, tes tifs, tombent-ils? «Je les attachais toujours.» N’appelez pas la DPC (Direction de la protection capillaire): désormais, ils sont libres.

Tammy Benlolo est intarissable sur ce gagne-pain parfois pourri mais qu’elle a adoré, maintenant qu’elle a accroché son plateau et déniché un autre job (relationniste pour une maison d’édition). Un métier qu’elle considère comme une vache à lait et qui lui a donné ce qu’elle voulait: l’argent pour payer ses études et assez d’anecdotes pour en traire un livre: From My Side Of The Table.

De son côté de la table, elle a tout vu. De la naissance de belles histoires d’amour aux ruptures orageuses (commentées en catimini par tout le personnel). Du vieux couple qui tue l’ennui en émiettant des biscuits soda au jeune couple BCBG pris en flagrant délit de bagatelle un soir d’été sur la terrasse désertée. «On leur a dit d’arrêter. Ils ont continué dans les toilettes.»

Elle a connu son lot de vacheries: des hommes très comme il faut, veston cravate machin et tout, qui commandent les plats les plus chers et les meilleurs vins, puis sortent griller une clope… et ne reviennent jamais. «J’ai dû payer leur addition.» Pourtant, les fumeurs, à l’époque où ils pouvaient encore nourrir leur cancer au chaud, elle les aimait bien: «Ils donnaient de gros pourboires.» Tout le contraire des aînés: «Plus ils sont âgés, plus ils sont radins. Les professeurs aussi comptent leurs sous.»

Dans le chapitre intitulé «Un tour autour du monde», Tammy décrit les habitudes de diverses nationalités. Ainsi, les Iraniens remportent le trophée Séraphin («Ils apprécient ton boulot, n’arrêtent pas de te remercier et laissent un tip de 3 à 5 %»), les Américains demandent de l’extra gravy (quelle surprise!) et les mâles canadiens s’assoient le plus loin possible de leur femme…

Au sujet de ces rumeurs urbaines peu ragoûtantes — le contenu d’une assiette qui tombe sur le sol de la cuisine est remis illico à sa place avant de passer en salle, un serveur mécontent qui crache dans la soupe, le pain à moitié grignoté qui, le soir venu, devient croûtons —, Tammy ne pipe pas. «Oui, bien sûr, moi aussi, j’ai entendu parler de tout ça. Mais je n’ai jamais rien vu de tel.» Ouais, ouais. Pressée comme un citron, elle laisse couler que la meilleure façon de s’assurer que le café est assez chaud, c’est d’y tremper le doigt… et qu’il ne faut pas chercher bien loin si ce même café assez chaud que vous avez expressément demandé «décaféiné, s’il vous plaît» vous empêche de dormir…

Hey, waitress!

Tammy n’est pas la seule, ni la première et sûrement pas la dernière, à lever le tablier pour exposer les dessous pas toujours chic de la profession. Quelques exemples.

– Waiting – The True Confessions Of A Waitress, par l’Américaine Debra Ginsberg: 20 ans de broue dans le chignon à énumérer le menu du jour et à se masser les pieds le soir avec, en extra, quelques conseils aux clients, surtout les réguliers: soyez gentils avec la serveuse, sinon…

– Hey Waitress! – The USA From The Other Side Of The Tray: les confidences glanées par une journaliste (Alison Owing) auprès de 35 serveuses, des années 40 à aujourd’hui, d’un comptoir à grilled-cheese chez Woolworth à Chez Panisse, un Toqué! californien encore plus hors de prix, le tout sur fond d’émancipation féminine.

Sans compter une poignée de blogues sur le même thème:

– Manhattanwaitress, les hauts et les bas d’une certaine Amanda qui bosse dans un «lovely French café»;

– Restaurantgirl, les états d’âme d’une serveuse à San Francisco;

– Laserveusegratinée, à ma connaissance la seule Québécoise du lot, qui ne blogue plus depuis 2004.

Des trucs

La question du pourboire, cruciale, est aujourd’hui étudiée d’une façon très sérieuse. Surtout aux États-Unis, où le salaire de plus de deux millions de personnes en dépend et où, en 2001, on estimait à 16 milliards de dollars au moins la somme des pourboires annuels. Alléché par tous ces chiffres, Michael Lynn, professeur à l’école d’administration hôtelière de l’université Cornell, a pondu en 2004 un bouquin: Mega Tips – Techniques éprouvées scientifiquement pour augmenter vos pourboires. Dans la même veine, mais plus récent, The Wealthy Waiter, de Joseph Durocher, professeur de management à l’Université du New Hampshire, promet la recette secrète pour booster ses revenus jusqu’à 150 000 $ par année.

Curieux, j’ai soumis les enseignements du sieur Lynn à une spécialiste patentée, Hélène Turcotte, ex-serveuse chez Saint-Hubert BBQ puis à la chaîne hôtelière Relais et Châteaux, aujourd’hui prof au département des techniques de restaurant à l’ITHQ.

 

La Serveuse se confesse

Supertramp, Breakfast Is Served, 1979. Tiré de 70S All-American Ads, Ed. Jim Heimann, Taschen.

«Voici les trucs que je considère incontournables dans tous les types de restaurants (du haut de gamme au familial):

1- se présenter par son prénom;

2- répéter la commande du client;

3- sourire aux clients;

4- vendre et suggérer;

5- nommer le client par son nom de famille (inscrit sur sa carte de crédit);

6- utiliser des plateaux de monnaie avec l’insigne de carte de crédit.

Voici ceux que je trouve “inoffensifs”:

1- porter un bijou pour se différencier du commun des serveurs;

2- faire le musicien ou offrir d’autres types d'”entertainment”;

3- écrire “Merci” sur la facture;

4- dessiner un “happy face” sur la facture;

5- donner des bonbons.

Et, finalement, ceux qui n’ont leur place que lors de situations très amicales ou pour un type de restauration à l’américaine:

1- toucher le client;

2- s’accroupir pour être au même niveau que la table… »

Geneviève Dufresne, serveuse

«Je n’aime pas ce mot-là, “serveuse”. C’est trop proche de “servante”. Faudrait en trouver un autre.» Appelons-la donc Geneviève; en plus, c’est un joli prénom.

Elle a 16 ans de métier dans le corps, la tête, et, pourtant, toujours le sourire. Serveuse (je cherche, Geneviève, je cherche) n’était pas le job dont elle rêvait. «Je voulais être professeur, comme mes parents.» Mais la vie et une grossesse à 18 ans ont changé la donne.

Tant pis. Et même tant mieux. «Je ne suis pas faite pour le neuf à cinq. Et comme je travaille à l’heure du lunch, le matin, j’ai le temps de m’occuper de mes enfants [elle en a deux] et je suis à la maison quand ils reviennent de l’école le soir. Pour moi, c’est très important.»

Elle s’est fait la main chez Mikes en naviguant entre les tables avec des sous-marins all dressed. Puis, pendant plusieurs années, c’est au buffet La Stanza, dans l’ouest de la ville, que Geneviève a développé son sixième sens pour deviner rapidement la personnalité d’un client et se forger une carapace. «Les gens qui nous regardent de haut, comme si on était des deux de pique parce qu’on n’a pas fait d’études, c’est dur à accepter. J’en ai souvent pleuré… En plus, c’est pas toujours vrai: chez Stanza, il y a eu un professeur et une infirmière dans le personnel: c’était leur deuxième emploi.»

Mikes, La Stanza, d’autres gargotes aussi — mais ça, elle ne le dira pas, parce qu’elle est trop gentille, ce qui n’est pas mon cas —, c’était le purgatoire. Il y a quelques semaines, Geneviève est entrée au paradis. «Je savais que ça existait, un endroit comme ça. J’en avais entendu parler, mais je n’en avais jamais connu.»

C’est vrai qu’elle a l’air aux anges, Geneviève, dans cet éden très classe à l’ombre du Centre Bell et où, je m’en confesse, j’ai péché par gourmandise. C’est pas ma faute, mon père, c’est celle du chef de cuisine, Marc-André Royal, un p’tit démon qui officiait jusqu’à tout récemment dans un monde parallèle, au club privé de Daniel Langlois. Pauvre mécène, il doit se mordre les doigts d’avoir laissé filer une telle perle. Et même si son royaume est encore en rodage (il n’a ouvert ses portes qu’en février dernier), le tout était, comment dire, au poil!

La Brasserie brunoise

 

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