Propositions de barrières physiques faites au chef Ducasse et transmises au gouvernement 

Propositions de barrières physiques faites au chef Ducasse et transmises au gouvernement 

 

Quel design pour demain ? : « Il faut recréer une architecture intérieure avec des barrières physiques en évitant le tue-l’amour »

 

Auteur des premières stations Vélib’, des dernières sanisettes parisiennes et de tout l’équipement des futures gares du Grand Paris Express, le designer Patrick Jouin propose des dispositifs « pragmatiques » pour le retour des usagers dans l’espace public, à l’approche du déconfinement.

Comment pensez-vous que l’on puisse restaurer la confiance des citoyens qui vont retrouver l’espace public ?

Propositions de barrières physiques faites au chef Ducasse et transmises au gouvernement 

Le designer Patrick Jouin.

On ne reviendra pas au temps d’avant le Covid-19 : on a mangé notre pain blanc et c’est un constat sidérant à l’échelle de la planète. Le temps que la pandémie soit jugulée, un vaccin trouvé, il y a une longue période trouble à gérer. Il faut réviser nos pratiques au quotidien.

Quand on voyait des Asiatiques se promener dans Paris avec des masques, on pensait qu’ils se protégeaient de nous. Alors que c’est eux – peut-être enrhumés – qui essayaient de nous préserver. C’est un geste de politesse, ancré dans la culture asiatique, qu’il va falloir adopter.

A l’entrée des magasins et des cafés, il faut instaurer un nouveau rituel selon lequel les clients seront accueillis avec l’utilisation de gel hydroalcoolique, cette denrée rare. Et, sur leur parcours, les usagers des transports en commun devront trouver des distributeurs de ce produit. Gel, écrans de plastique, machines de distribution de masques… il faudra voir cet arsenal pour y croire, et retrouver le chemin du centre-ville et des boutiques.

Vous avez porté à l’Elysée, avec le chef Alain Ducasse, des mesures concrètes qui pourraient permettre la réouverture des restaurants et bistrots. Quelles sont-elles ?

Avec Alain Ducasse, avec qui je collabore depuis plus de vingt ans du Plaza Athénée à Paris jusqu’au tout nouveau restaurant Blue à Bangkok, j’ai travaillé sur des dispositifs de distanciation sociale qui soient acceptables pour les bistrotiers, les restaurateurs et leur clientèle. Il a présenté mes dessins lors d’une rencontre du président Macron avec un groupe de professionnels de la restauration et de l’hôtellerie, vendredi 24 avril, et j’étais probablement le seul designer invité par ce truchement !

L’idée est qu’il faut avoir plus qu’une simple distance entre les tables pour installer la confiance : il faut recréer une architecture intérieure avec des barrières physiques les plus élégantes et légères possibles, pour éviter le tue-l’amour ou de perdre l’âme des lieux. Nous sommes dans le design de bon sens, presque un non-design, afin que tout le monde puisse se l’approprier.

Nous avons donc nettement délimité des espaces pour les convives par des paravents « faits maison », mobiles et translucides. Ils respecteront des dimensions imposées par les autorités sanitaires. Les matériaux eux se doivent d’être très bon marché et faciles à mettre en œuvre par le personnel. Les paravents peuvent être simplement réalisés avec des châssis de peintre sur lesquels est tendu ou accroché du film transparent « cristal », celui des fleuristes. On peut imaginer que le cadre soit fait aussi à partir de branchages, plus poétiques. Chaque établissement montrerait ainsi sa créativité.

Vous préconisez du « fait maison », mais pourquoi pas la 3D, vous qui avez fait appel à elle dès 2004 avec la chaise Solid, entrée dans les plus grands musées ?

Ce que nous avons esquissé, c’est un peu la petite robe noire de Chanel ou la chaise Leggera de Gio Ponti : quelques traits dans l’espace, tout en légèreté, mais un accessoire indispensable. Il faut inventer un design de la distanciation sociale qui soit pragmatique. Le designer se doit aujourd’hui d’être humble, pugnace, pratique. Car oui, pour la première fois, on n’a pas accès au matériau idéal. Nous sommes confinés.

Le Plexiglass dont on fait les visières de protection est en rupture de stock et coûteux. Et l’imprimante 3D ne va pas assez vite et n’est pas assez efficace. L’alternative est donc de se tourner notamment vers ces rouleaux de film acétate qu’utilisent les fleuristes.

On se trouve alors devant un autre problème, écologique. Il va falloir impliquer la filière recyclage, puisque c’est une quantité énorme de matière plastique qu’il va falloir jeter régulièrement, pour des raisons d’hygiène. Dans cette crise, l’accumulation des questions est vertigineuse.

Vous avez aussi pensé à la façon dont le service doit s’opérer ?

Oui, il faut inventer de nouvelles pratiques, car la distanciation sociale doit êtredemise entre le personnel de cuisine, celui de salle et les clients eux-mêmes. En premier lieu, le nombre de couverts admissibles est calculé en fonction de la surface de la salle et cette jauge pourra varier avec l’évolution de la pandémie. Reste que la distance minimale à respecter est de 5 mètres carrés : c’est-à-dire que chaque individu devrait pouvoir tourner sur lui-même les bras écartés sans un quidam dans son sillage.

Propositions de barrières physiques faites au chef Ducasse et transmises au gouvernement 
Dispositifs de distanciation sociale, pour les bistrotiers et les restaurateurs présentés lors d’une rencontre entre le président de la République, Emmanuel Macron, et un groupe de professionnels de la restauration et de l’hôtellerie, vendredi 24 avril. Patrick Jouin

Pour deux personnes, j’ai prévu qu’une table d’appoint serve de mise à distance avec le serveur. Il va déposer les assiettes et chaque convive se servira lui-même. Au cas où une fourchette tomberait, ce qui ne manquera pas d’arriver, on y a mis des couverts de secours. Il n’y a plus de menus réutilisables. Et quand deux convives le souhaitent, on peut disposer entre eux un écran transparent.

J’ai dessiné un centre de table constitué d’un cerclage vide pour y accrocher une feuille de film cristal. On peut imaginer de le piquer dans un pot de terre, ou d’utiliser un autre plastique très fin, dont on fait les classeurs transparents. Autant de dispositifs que je mets à disposition sur mon site et sur le réseau social professionnel Linkedin.

Et quid des grandes tablées ?

Un repas d’affaires de dix personnes, cela paraît aujourd’hui très compliqué à organiser. Nous réfléchissons à mettre les convives en ligne côte à côte, plutôt qu’autour d’une grande table. Tous ces scénarios, nous allons les tester dans un restaurant d’Alain Ducasse, début mai. Cette installation prototype va permettre d’organiser au mieux le ballet des serveurs et les gestes qu’il convient d’avoir. C’est une méthode propre au design que de maquetter, tester et de corriger, jusqu’aux gestes naturels, pour que le tout soit bien pensé, intelligent et pratique.

Vous êtes en train de dessiner ce qui pourrait être le premier hôpital de l’après-Covid-19, celui du Grand Paris-Nord, prévu à Saint-Ouen en 2028. Comment le pensez-vous à l’aune de cette pandémie ?

L’actualité nous montre à quel point les soignants sont cruciaux. Cela rend plus viscéral le projet que je porte avec Architecture Studio et Artelia. L’hôpital est un espace de travail tellement technique que l’on peut oublier qu’il doit aussi être agréable, voire réconfortant pour le personnel, de façon à attirer de nouvelles vocations. De même pour les patients.

Notre cheval de bataille est de miser sur la qualité de vie pour tous les usagers de l’hôpital, celui qui soigne et qui est soigné, celui qui nettoie et répare… Mais nous sommes, ici, en compétition avec trois autres candidats, dont les fameux architectes italien Renzo Piano et néerlandais Rem Koolhaas : vous comprendrez que je reste discret !

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Source Le Monde 

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