Pré-paiement dans les restaurants, vers une généralisation

Pré-paiement dans les restaurants, vers une généralisation

Face à l’afflux de clients qui n’honorent pas leur réservation, des restaurants très prisés ont déjà opté pour la réservation en ligne. Des applications de versement d’arrhes et de prépaiement viennent bousculer les habitudes Françaises.

Pré-paiement dans les restaurants, vers une généralisation

Un vendredi, en fin de journée, une envie de dîner le soir même dans un restaurant parisien avec des amis. L’opération « réservons une table pour quatre » commence. Si la capitale compte des milliers d’établissements, l’hystérie gastronomique du moment oriente une majorité de clients vers les mêmes adresses, une centaine tout au plus. La mission commando se révèle quasi impossible et transforme la sortie spontanée en un rendez-vous à prévoir. Le monde de la restauration cherche des solutions pour éviter de transformer ce premier contact chef-convive en une immense frustration.

La clientèle a vu apparaître le principe fallacieux du « double service » – le premier vers 19 heures, le second à 21 h 30, qui ne satisfait à peu près personne. Le Chateaubriand, le restaurant d’Iñaki Aizpitarte dans le 11e arrondissement qui fait partie de ces restaurants en vogue, a coupé la poire en deux : accessible de 19 h 30 à 21 heures sur réservation et sans, à partir de 21 h 30. Mais c’est certainement le numérique qui scellera le sort des bookings.

Les atouts de la réservation en ligne

Aujourd’hui, seuls 31 % des Français ayant déjà effectué une réservation en ligne l’ont fait pour un restaurant, selon un sondage Opinionway (mars 2015), loin des 73 % qui ont réservé des spectacles, 77 % des hôtels et 83 % des voyages. Le chemin est encore long. « Pour les restaurateurs, c’est un grand changement car c’est un service payant. Ils doivent abandonner le registre et le crayon papier. Mais depuis deux ans, ils comprennent que c’est une opportunité exceptionnelle de conquérir de nouveaux clients, de mieux les écouter, de “marketer” leur établissement auprès des Français et des touristes », explique Bertrand Jelensperger, cofondateur et président de La Fourchette, leader européen du service de réservation de restaurants par Internet (propriété du géant américain Trip Advisor depuis mai 2014).

Si le service est payant pour le professionnel, il reste encore gratuit pour ceux qui réservent. Le guide Le Fooding se lance aussi dans la course. « Nous allons proposer un service sur notre site d’ici à la fin juin. Sur les pages consacrées aux restaurants, il sera possible de réserver sa table directement. La livraison à domicile sera également disponible. Si on ne l’a pas fait plus tôt, c’est parce qu’il a fallu trouver les bons partenaires pour traiter avec les chefs. Le Fooding sert de “passe-plats” en quelque sorte, le chef est libre de souscrire avec le partenaire ou pas », annonce Alexandre Cammas, son cofondateur.

Mais la prochaine étape mijote déjà à l’étranger. « Le prépaiement arrive. Et je suis sûr que les consommateurs sont prêts pour certains restos. The Clove Club [établissement du chef Isaac McHale, situé dans le East London, NDLR] vient de lancer la prévente par exemple », précise l’homme du Fooding, qui fête en juin ses 15 ans. Dans cet établissement recherché de quarante couverts, les clients doivent acheter leurs tickets pour réserver leur table. On sélectionne son horaire, le nombre de convives et il faut passer à la caisse, avant même d’avoir pu avaler une bouchée. On peut tout de même déplacer son ticket à une autre date en cas d’empêchement, ouf.

La Chasse au lapin est ouverte

Ils réservent, puis ne viennent pas. Et ne se donnent même pas la peine de prévenir. Face à ces clients indélicats, les restaurateurs ont décidé de réagir.

Un magnifique doigt d’honneur. René Redzepi, le chef doublement étoilé du Noma à Copenhague, a posté il y a  quelques années sur Twitter une image le représentant, son staff et lui, le majeur tendu en signe de réprobation avec ce commentaire : « Un message de l’équipe du Noma aux gens des tables restées vides hier soir. »

Un an plus tôt, l’homme plusieurs fois nommé meilleur chef du monde au World 50 Best, avait été plus mesuré : « S’il vous plaît, vous qui ne venez pas au dernier moment, prenez le temps d’annuler votre réservation, l’équipe travaille dur et d’autres aimeraient avoir une table. »

Ce n’était alors que le début du phénomène appelé no show – un terme anglais qui désigne le fait qu’un client réserve une table pour finalement ne pas venir sans prendre le temps d’annuler. Depuis, les chefs se mobilisent.

Certains, excédés, livrent désormais le nom des indélicats sur les réseaux sociaux. D’autres préfèrent employer l’humour. Ainsi, à Paris, Camille Revel et Justine Piluso, à la tête du jeune restaurant Le Cappiello, un temps classé premier sur le site TripAdvisor, n’ont pas hésité à remercier sur Facebook un certain M. Lai (en réalité les trois premières lettres de son véritable nom) de les avoir fait attendre pour rien.

Jusqu’à 15% du chiffre d’affaires

Et si le secteur de la restauration se montre aussi sensible face à cette pratique, c’est que celle-ci représente une perte annuelle de chiffre d’affaires pouvant aller jusqu’à 15%.

Le chef va en effet faire ses courses en fonction du nombre de tables prévu, et embauche parfois du personnel supplémentaire selon le nombre de couverts. David Sinapian, PDG du groupe Pic et président de l’association Les grandes tables du monde, revient sur les raisons de cette tension :

« Comme, ces dernières années, la capacité d’accueil s’est beaucoup réduite, 40 couverts en moyenne, une table de quatre en moins, c’est 10% de votre chiffre d’affaires qui saute. Dans n’importe quelle autre industrie, on trouverait cela colossal. »

La punition paraît d’autant plus frustrante que ces établissements ont souvent refusé d’autres clients. Le profil des nouveaux restaurateurs joue un rôle dans la faible tolérance aux plantages de dernière minute. Dans un pays où la longévité moyenne d’un établissement est passée, selon le magazine « Challenges », de sept à deux ans, il faut réussir vite. Le no show, simple épiphénomène, devient plus qu’un manque à gagner, un véritable trou dans leur business plan.

« Avant, les jeunes diplômés d’HEC rêvaient de travailler chez Unilever, aujourd’hui, ils veulent ouvrir un resto. Du coup, ils sont plus attentifs à la gestion que leurs prédécesseurs », observe François Blouin, président de Food Service Vision, société de conseil spécialisée en restauration.

Dans son enquête « Paroles de chefs gastronomiques », les chefs interrogés placent le no show loin devant les autres difficultés inhérentes à leur métier.

Mais qui sont ces goujats ?

Plusieurs profils se dégagent : l’étourdi qui a oublié sa réservation, l’impatient qui n’a pas pu attendre que quelqu’un décroche le téléphone pour noter son annulation, le timide qui n’ose pas et le client roi qui ne voit pas où est le problème. « Cette dimension du client tout-puissant est très ancrée en France », remarque Sophie Cornibert, du restaurant Fulgurances.

Surtout, bon nombre de clients indélicats appartiennent à une génération de gastronomes plus connectés et… zappeurs. Ils peuvent notamment réserver dans plusieurs restaurants à la fois et en choisir un au dernier moment. Eric Fréchon, chef du restaurant trois étoiles du Bristol et de la brasserie Lazare (également à Paris), nous raconte : « Certaines personnes s’amusent à appeler et à ne pas venir. Ça peut être le concurrent du coin ou le voisin qui veut moins de bruit. »

On peut ajouter le cas où un intermédiaire, le concierge de l’hôtel notamment, fait la réservation. Les risques de no show augmentent puisque la transaction passe par une personne non concernée, et ce pour une personne quittant la ville quelques jours plus tard.

Parmi les solutions envisagées, Xavier Zeitoun, cofondateur de Zenchef, propose via sa start-up un logiciel  personnalisé, sans intermédiaire où la réservation et l’annulation se font en un clic. Celui-ci estime « que la conjoncture actuelle où les marges se réduisent dans un secteur de plus en plus tendu rend le no show insupportable ».

De son côté, Eric Fréchon veut croire que « ça va rentrer dans les mœurs : quand je vois qu’à Londres on réserve et on paie à partir d’appli sur le mobile, je me dis que la restauration est en pleine transformation ». D’autres professionnels tentent le prépaiement ou le versement d’une caution. « Ça a toujours existé, pour les banquets, les fêtes de famille, avec un menu décidé à l’avance, on a toujours demandé le versement d’arrhes », rappelle Patrick Rambourg, historien des pratiques culinaires.

« Une approche plus sensuelle qu’économique »

Dans les pays anglo-saxons, le no show a été quasiment éliminé grâce la demande d’empreinte bancaire. Ce remède commence timidement à être appliqué en France : « Je demande le numéro de carte bancaire à partir de la réservation d’une table de six », indique David Sinapian. Au Noma, certes un des restaurants les plus connus au monde, le client doit avancer l’intégralité du prix du menu, et se contente de payer le prix des boissons une fois sur place.

Pour autant, Patrick Rambourg a du mal à croire que cela puisse fonctionner chez les Latins : « En France, nous avons une approche de la gastronomie plus sensuelle qu’économique. »

Les grandes plateformes de réservation sont, elles, déjà aux aguets. La Fourchette (propriété de Trip-Advisor) propose à ses restos partenaires de sécuriser leur réservation. Mais les chefs s’en méfient car ils ont vu ce qui était arrivé aux hôtels, pieds et poings liés aux opérateurs géants, très gourmands en commission. « Je ne veux pas que L’Ami Jean soit englouti dans une multinationale, noyé au milieu de pizzerias et de sandwicheries », précise d’emblée le chef Stéphane Jégo. Il a préféré l’outil de Zenchef, plus personnalisé et à taille humaine. D’autres regrettent déjà le bon vieux téléphone :

« Avoir le client de vive voix, c’est le début d’un lien qui oblige », souligne Camille Revel du Cappiello.

Certains, comme les propriétaires de l’Experimental Group, envisagent de rassembler des chefs ou de publier une tribune afin d’ « initier un mouvement et d’éviter de se retrouver seuls, traités de voleur, quand on annonce au client qu’il doit laisser un acompte à la réservation », ajoute David Sinapian

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