Les restaurants étoilés font un carton avec leurs plats à emporter ou en livraison
Le Gabriel, Ducasse, Michel Sarran et même bientôt La Tour d’Argent. Les restaurants étoilés et haut de gamme, qui regardaient jusque-là la vente à emporter avec méfiance, s’y sont convertis massivement à la faveur du confinement, et trouvent une nouvelle clientèle.
Forcés de garder portes closes même après le 11 mai, les restaurants se convertissent massivement à la livraison. UberEats a ainsi enregistré une hausse de 39% de nouvelles inscriptions entre janvier et avril. Et parmi les nouveaux entrants sur le marché, apparaissent des acteurs qui n’envisageaient que peu de s’y mettre avant le confinement: de grands gastronomiques et même des étoilés Michelin.
Des cuisines à deux ou trois macarons, comme celles de Michel Sarran à Toulouse ou de Ducasse et du Gabriel à Paris. D’autres à une étoile comme le Jardin des plumes à Giverny, dont le chef David Gallienne participe actuellement à l’émission Top Chef. Et une tripotée de gastronomiques cités dans le guide rouge et le Fooding, comme le Ochre en banlieue parisienne, le bouchon lyonnais Daniel et Denise, le Coco à Strasbourg, ou encore le Modjo à Bordeaux.
“Quand on voit arriver la tempête, on vire de bord, on n’attend pas le vent force 7”, explique Nordine Labiadh.
D’autres commenceront dans quelques jours, comme la Tour d’Argent. Tout un symbole.
Certains d’entre eux, pour se convertir à cette forme de vente inédite, se sont appuyés sur des plateformes type Deliveroo et UberEats. Chez ce dernier, une équipe dédiée à l’accompagnement de ces restaurants haut de gamme a été montée au début du confinement, et “elle tourne à plein régime” depuis, indique la porte-parole d’UberEats. D’autres, en revanche, préfèrent les éviter, comme le chef du Gabriel à Paris.
“Nous ne sommes pas là pour faire du chiffre. Ce ne sont pas la vente à emporter et la livraison qui vont sauver nos ventes. C’est surtout que notre chef, Jérôme Banctel, bouillonnait de ne plus être en cuisine, lui qui d’ordinaire y reste de 8h à 1h du matin”, détaille la porte-parole de l’hôtel cinq étoiles La Réserve, qui héberge le restaurant du chef deux étoiles.
“Et puis ça rend service au quartier. Nous ne livrons que dans le 8ème arrondissement, où il y a beaucoup de bureaux, mais où comme ailleurs, les cantines et les restaurants alentours sont fermés”, ajoute-t-elle.
Même indépendance chez A Mi-Chemin, le gastronomique d’influence méditerranéenne situé dans le 14ème arrondissement, mais pour d’autres raisons.
“Déjà parce qu’ils prennent une trop grosse marge et puis surtout à cause de l’image inhumaine de ces applis, avec leurs livreurs faméliques. S’ils venaient chercher mes plats à livrer, je les forcerais, eux, à les manger!”, plaisante le chef Nordine Labiadh.
Reste que ces applis apportent des solutions aux problèmes auxquels tous sont confrontés. Elles les aident par exemple à trouver des packagings qui correspondent à leur image, alors que ceux qui livrent par eux-mêmes ont toutes les peines à en trouver. Au Gabriel, “on utilise des contenants assez classiques, qui permettent de présenter nos plats de manière correcte. On en recherche de plus élaborés mais les délais de livraison sont très conséquents”, déplore sa porte-parole.
En outre, les équipes de Deliveroo et UberEats qui draguent cette gamme de restaurants depuis bien avant le confinement, apportent aussi du conseil aux chefs “sur les plats qui se transportent le mieux, s’il faut envisager de mettre la sauce à part, etc”.
Parce que forcément, il a fallu adapter la carte: “le foie de veau, par exemple, ça se consomme dès que c’est cuit, donc ce n’est pas possible en livraison, comme la mousseline de carotte, qui perd sa texture aérienne au micro-onde” souligne Joseph Viola, Meilleur Ouvrier de France et chef du bouchon lyonnais Daniel et Denise. Le MOF a donc “conçu en quelques jours une carte dédiée à la livraison, qui ressemble à l’identité de Daniel et Denise”.
Chez A Mi-Chemin en revanche, virage total: le chef né en Tunisie s’est mis au couscous, un plat qu’il avait pourtant toujours refusé de mitonner de peur que cela ne lui “colle à la peau”.
“Mais là je voulais que la cuisine retourne à sa fonction essentielle, nourrir”, indique Nordine Labiadh. Et chez Michel Sarran à Toulouse, un seul plat est disponible en livraison : le croque-monsieur truffé.
Après quelques semaines d’exercice, tous racontent que la sauce a pris dès que le voisinage s’est aperçu que la vente en livraison ou à emporter était disponible. En plus de leurs habitués, ils ont rencontré une nouvelle clientèle, âgée de 20-30 ans, bien plus jeune que celle qui venait s’asseoir dans leur salle.
Au Gabriel et au Daniel et Denise, il y a tellement de commandes qu’il a fallu faire revenir d’autres employés en cuisine. Même si bien sûr, on n’atteint pas le nombre de couverts que ces restaurants avaient l’habitude de servir en salle.
Ainsi le Daniel et Denise livre en moyenne 80 plats chaque jour, contre 360 couverts à la journée quand la salle est ouverte. Et les recettes sont beaucoup plus basses: les livraisons de pâtés en croûte au foie gras à 10 euros ou des quenelles sauce Nantua et pommes chips maison à 13 euros ne compensent pas le ticket moyen de 45 euros par personne au resto. Quant au Gabriel, dont le chef 2 étoiles concocte d’ordinaire des plats à trois chiffres, le menu à emporter y coûte une cinquantaine d’euros.
Bref, “on apprend un nouveau métier, avec des horaires qui n’ont plus rien à voir et de la cuisine préparée en fonction de commandes passées la veille”, sourit Joseph Viola.
Et si les retours sur les réseaux sociaux sont dithyrambiques, les chefs en cuisine ont quand même un regret majeur, raconte le MOF: “mes gars me disent ‘on n’a plus le coup de feu, chef’, et ça leur manque”.
Nina
GODART