Les chefs, génération potager
Au commencement, les chefs étaient dans leur cuisine et les maraichers dans leurs champs.
Puis, vient Alain Passard, qui en 2001, donne un grand coup de fourche dans l’univers carné de la haute gastronomie. Il décide, brutalement, de retirer de sa carte 3 étoiles, les plats de viande qui avaient fait sa réputation. Et met les légumes sur le devant de l’assiette. « Je veux que mes légumes, à l’instar des grands vins, fassent exulter leur terroir. » dira-t’il. Mais pour arriver nous à faire rêver avec une betterave rôtie ou une gratinée d’oignons, le chef de l’Arpège a dû enfiler ses bottes en caoutchouc et mettre les mains à la terre en réhabilitant un potager dans la Sarthe. Aujourd’hui, il en possède 2 autres dans l’Eure, et un verger face au Mont Saint Michel. Dès le départ, le discours de Passard est clair : la production d’un légume d’exception passe par un respect total de la nature. Labour en traction animale, pas de pesticides, pas d’engrais chimique, des points d’eau pour les batraciens, des maisons de pierre pour les belettes et les hérissons, des haies et des talus pour que nichent les oiseaux… Le but étant de favoriser toute cette vie animale qui évite les traitements dans un jardin.
Et c’est ainsi que l’étoilé de la rue de Varenne a ouvert la voie à toute une génération de chefs aux mains vertes, bien décidés à agrandir le champ des possibles d’une gastronomie durable et vertueuse. Car l’idée est bien là. Revenir à une cuisine qui résiste aux trompettes d’une mondialisation qui se fout des saisons et dont l’addition kilométrique empeste le CO2.
Aujourd’hui, le luxe ultime est local. Ainsi au George V, palace parisien, le chef Simone Zanoni a entamé une révolution de palais. Les fruits et légumes de sa table méditerranéenne Le George, poussent à 15 km de Paris, à Versailles, dans un potager raisonné et zéro traitement. Il a incubé des graines oubliées, mis en terre plus de 2 000 légumes et sous serres 25 citronniers. 7 ruches s’occupent de la pollinisation et font le miel de l’hôtel. Mieux, dorénavant tous les déchets du George sont convertis en compost. Une équipe de 20 personnes en réinsertion participe aux travaux de jardinage. Mais c’est la brigade du restaurant qui s’occupe de la cueillette. « Je me suis rendu compte que la moitié de mes cuisiniers n’avait jamais ramassé une courgette de leur vie ! » raconte Simone. « Nous avons perdu notre lien à la terre, et du coup la nourriture est devenue un piège.»
Dans le même esprit, le chef Mauro Colagreco du Mirazur à Menton, qui vient obtenir sa troisième étoile, a établi 5 jardins en terrasse surplombant la Méditerranée. « Toute mon équipe travaille par intermittence au potager. Nous cultivons en permaculture, c’est-à-dire que l’on fait se côtoyer des plantes qui sont bénéfiques les unes pour les autres » explique-t’il. Par exemple, les pieds de fèves produisent naturellement de l’azote, qui est un engrais dont les radis raffolent. Une entraide légumière en quelque sorte.
Au-delà des plaisirs raffinés de l’assiette, en cultivant eux-mêmes leur jardin, ces grands chefs sont en train d’inventer une philosophie du bon, qui fait le bien.
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