Le poids de l’uniforme, le calvaire des hôtesses d’accueil

 

Le poids de l’uniforme, le calvaire des hôtesses d’accueil
« Receptionist » (Vilnius). Petras Gagilas/Flickr, CC BY-SA

 

En mai 2016 le Royaume-Uni s’est ému du licenciement d’une jeune femme motivé par son refus de porter des talons hauts sur son lieu de travail. À tort, les journaux français l’ont présentée en tant que « réceptionniste », une bien mauvaise traduction puisque « receptionist » en anglais et dans ce contexte signifie « hôtesse d’accueil ».

Or, est-ce si étonnant d’apprendre qu’une hôtesse d’accueil avait à se vêtir d’une façon bien déterminée ? Non, bien sûr. Pour s’en assurer, il suffit de se rendre dans une grande entreprise et de voir que les hôtesses ne sont pas maîtresses de leur image : tailleur, escarpins, coiffure et maquillage leur sont imposés. À leur grand regret.

Pourquoi est-ce si difficile de se conformer à une image prédéterminée ? Quels enjeux se jouent derrière cette obligation ? Ne serait-il pas temps de changer de pratiques, et ce, pour un meilleur management et donc de meilleurs résultats ?

L’uniforme que portent aujourd’hui les hôtesses d’accueil en entreprise est l’héritage du costume que portaient les grooms du début du siècle passé. Sans poste de travail attitré, ces derniers se devaient de porter un uniforme particulièrement voyant pour être repérable en un bref coup d’œil.

Albert Winter, groom de la Société Générale à Londres en 1912. SG

Si aujourd’hui le personnel d’accueil n’est plus mobile, mais bien posté derrière une banque d’accueil, cette tradition mêlant accueil et uniforme a perduré alors même que le rôle des hôtesses s’est considérablement étoffé, le petit assistanat ayant pris une part importante dans leurs activités journalières. De la même façon, on exige des candidates-hôtesses de posséder de multiples compétences, telles qu’une excellente maîtrise de l’anglais (voire d’une troisième langue), un français soutenu, la capacité de se servir de plusieurs logiciels, une grande réactivité et du sang-froid, et pourtant les tenues qui leur sont imposées ne laissent apparaître que leur mission de représentation, aussi réductrice qu’ultra féminisée.

Malgré ces paradoxes, tout est fait pour que la plupart des hôtesses d’accueil restent en uniforme. Non seulement la grande majorité d’entre elles perçoivent une prime pour en porter un au quotidien (alors que leur salaire ne dépasse que très rarement le smic !), mais ne pas s’y conformer c’est nécessairement s’exposer à des sanctions, voire à un renvoi.

Le poids de l’uniforme, le calvaire des hôtesses d’accueil

Hôtesses d’accueil.

Un uniforme si lourd à porter

Tous les uniformes ne sont pas aussi mal vécus que celui de l’hôtesse d’accueil. Beaucoup d’entre eux renvoient au contraire à une expertise qui valorise ceux qui les portent : la blouse blanche du personnel médical ou l’équipement du sapeur-pompier en sont de parfaits exemples. À l’opposé, les obligations des hôtesses d’accueil en termes d’image – pour beaucoup : tailleur, escarpins, collants, styles de maquillage et de coiffure imposés – n’évoquent rien sinon leur identité sexuelle, ce qui n’est pas sans conséquence. En effet, non seulement les femmes ne sont pas toutes à l’aise avec ces atours, mais de surcroît l’absence totale de choix rend l’exercice plus pénible encore. Une jupe qui ne flatte pas certaines courbes, une veste mal taillée, un décolleté trop plongeant, un rouge à lèvres, dont la couleur est estimée vulgaire sont autant de sources d’inconfort pour qui doit les porter cinq jours sur sept, à plus forte raison quand le cœur de l’activité consiste à s’exposer à une multitude d’interlocuteurs.

Au-delà de cette implacable absence de choix, l’ultra standardisation de l’apparence des hôtesses est également problématique. La volonté exprimée qu’elles soient toutes habillées et apprêtées rigoureusement de la même façon montre qu’il est question de les faire passer pour interchangeables, d’effacer ce qui les rend uniques, et de les fondre dans le décor.

Un uniforme, une mise à distance du prestataire

L’uniforme de l’hôtesse d’accueil est aussi une véritable mise à distance vis-à-vis de l’entreprise dans laquelle elles travaillent, car pour l’écrasante majorité d’entre elles, elles ne sont que prestataires de service. La banque d’accueil incarne cette ultime barrière avant la véritable entrée, et pour leur part, les hôtesses ne pénètrent à l’intérieur des locaux qu’en de très rares occasions, voire jamais. Leurs contraintes vestimentaires – qu’elles sont seules à avoir avec d’autres équipes de prestataires (telles que les équipes d’entretien) – rappellent donc ce statut à la fois précaire et bâtard. Elles ne sont ni tout à fait dedans, ni tout à fait à l’extérieur de cette entreprise qui n’est pas la leur, mais dont elles doivent maîtriser le fonctionnement.

Le poids de l’uniforme, le calvaire des hôtesses d’accueil

Robot hôtesse d’accueil Saya : uniforme… et soutien-gorge. Brad Stone/Jennifer/Flickr, CC BY-SA

Pourquoi est-ce une erreur managériale ?

De prime abord, cette question de l’uniforme de l’hôtesse d’accueil pourrait sembler triviale, voire superficielle. Elle ne l’est, en fait, pas du tout. L’indignation qu’a suscitée l’anecdote du renvoi de cette hôtesse d’accueil britannique en témoigne, et effectivement, c’est choquant. Choquant en premier lieu, car cela signifie que seule l’image de l’hôtesse compte, et ce, quelle que soit la qualité de sa prestation. Choquant également parce que la perspective de porter des artefacts non-choisis a été suffisamment révoltante pour que cette jeune femme s’y refuse, quitte à en payer les conséquences.

Outre la dimension essentielle du bien-être personnel, ce port imposé de l’uniforme nuit à la qualité de la prestation des hôtesses. En effet, de nombreuses recherches en sciences de gestion ont démontré que l’implication des salariés – leur sentiment d’appartenance à l’organisation – passe notamment par la territorialisation de l’espace de travail, or dans le cas des hôtesses d’accueil (dont le bureau est une banque exposée au regard de tous, et qui ne doit refléter que l’image institutionnelle de l’entreprise) il n’en est naturellement pas question. Dès lors, leur champ de territorialisation se restreint à leur propre corps qui est, lui aussi, annexé. Ainsi, pour beaucoup d’hôtesses d’accueil, ce métier ne représente qu’une pause dans leur parcours professionnel, car elles ne peuvent s’y investir sur le long terme, privées de cette liberté cruciale. Leur motivation est en berne avec les effets que l’on devine sur leur turnover.

Ainsi, si l’on peut admettre l’importance du branding pour une grande entreprise, il serait néanmoins bon d’envisager davantage d’options quant à la présentation des hôtesses, car l’accueil étant essentiellement un métier de service, la qualité de celui-ci dépend nécessairement de leur bien-être et de leur motivation.

The Conversation

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