Espionnage : « Partez du principe que votre chambre d’hôtel sera fouillée »

Espionnage : « Partez du principe que votre chambre d’hôtel sera fouillée »

C’est dans les hôtels que les espions, d’Etats ou privés, commencent leur chasse à l’info. En s’introduisant dans la chambre, jusqu’au coffre-fort, ou via un virus. Avec temps et argent, rien ne leur serait impossible.

Espionnage : « Partez du principe que votre chambre d’hôtel sera fouillée »

Si vous étiez un espion, engagé pour récupérer des documents confidentiels, par quel endroit commenceriez-vous ? On vous conseille les hôtels.

Un ancien agent des services secrets, reconverti dans l’espionnage pour le compte d’entreprises privées, raconte dans un reportage de « Spécial investigation », que toutes ses « missions » ont la même case départ :

« Les aéroports, c’est mon terrain de chasse favori. Parce que les hommes d’affaires qui sont en transit prennent une chambre d’hôtel soit pour quelques heures soit pour une nuit, et c’est là que j’opère. »

Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), et expert – entre autres – en intelligence économique, présente à Rue89 le scénario type :

« Si un espion est engagé pour récupérer des informations sur tel secteur d’activité, et qu’il voit qu’un meeting ou une conférence sont organisés à ce sujet dans la salle de réunion d’un hôtel, c’est l’idéal.

Il peut commencer par essayer d’entrer discrètement dans cette salle, ou faire les poubelles. C’est déjà de la récolte d’informations, sans être illégal.

Et si ça ne suffit pas et que le commanditaire est prêt à y mettre le prix, ils organisent le cambriolage de la chambre d’hôtel. »

Entre 50 000 et 100 000 euros

Il précise qu’il faut alors toute une équipe :

quelqu’un pour vérifier que la cible est occupée en bas ;
d’autres pour faire le guet dans les couloirs, éventuellement acheter le silence du garçon de chambre ;
et les spécialistes de l’intrusion qui vont entrer dans la chambre puis photographier les documents secrets et/ou faire une copie de données (ordinateur…).
Pour plus de discrétion, ils louent une chambre dans le même hôtel, ce qui rend leur déplacement légitime.

Eric Denécé nous précise :

« Etant donné le nombre de personnes impliquées, une telle opération coûte entre 50 000 et 100 000 euros, voire beaucoup plus en fonction de la prise de risques.

Donc même si ces pratiques existent bel et bien, ce n’est pas tous les jours que des responsables investissent de telles sommes pour des informations. »

French Touch

Pourquoi est-ce si facile de voler des données dans des hôtels ? L’espion questionné dans le reportage de « Spécial investigation » donne un premier élément de réponse :

« L’hôtel, c’est le maillon faible. Il y a des portes codées, il y a des coffres… ça donne un sentiment de sécurité. Donc les gens relâchent leur garde. »

Robert Gates, ancien ministre de la Défense de Barack Obama et ancien directeur de la CIA, affirmait l’an dernier devant le think tank Council on Foreign Relations que très peu d’industriels ont conscience de représenter une cible facile à l’hôtel :

« Lorsque je donne une conférence auprès de businessmen, je leur demande : “ Combien d’entre vous font des voyages d’affaires à Paris ?” Et toutes les mains se lèvent. “ Combien d’entre vous y amènent leur ordinateur portable ?” Et toutes les mains se lèvent. “ Combien d’entre vous emportent avec eux leur ordi lorsqu’ils vont dîner ?” Et là, très peu de mains se lèvent. »

Pourquoi cette insistance sur Paris ? Robert Gates ajoutait :

« Il y a probablement une douzaine ou une quinzaine de pays qui volent nos secrets technologiques [américains]. Dans le classement des plus efficaces, après les Chinois, on trouve les Français. Et cela depuis très longtemps. »

Conseils aux businessmen

Pourtant, des séminaires sur la protection des données de l’entreprise, notamment lors de voyage d’affaires, sont organisés depuis quelques années, à l’initiative des sociétés elles-mêmes, de syndicats patronaux ou de chambres de commerce et de l’industrie.

Parmi les formateurs, Antonino Mannisi. Il est à la tête de Mannisi & Partners, que des banques et des entreprises peuvent solliciter pour des audits sur leur système de sécurité, pour « dépoussiérer » d’éventuels micros et caméras dans un futur lieu de réunion, ou encore pour faire une piqûre de rappel sur l’espionnage industriel aux employés. A chaque session de formation, son chapitre sur « comment se comporter en voyage d’affaires » :

« On leur explique comment rester discret et comment faire leur valise en prenant le moins de risque possible. Il faut qu’ils partent du principe que leur chambre sera ouverte et fouillée dès qu’ils auront le dos tourné. Donc ils doivent prendre toujours leurs appareils avec eux.

La chambre d’hôtel, c’est fait pour dormir et prendre une douche. Utiliser le wifi, discuter au bar avec une jolie fille ou avec le chauffeur de taxi, c’est se griller. Mais malheureusement, avec le confort d’un cinq étoiles et de l’alcool, ils ne suivent pas toujours les consignes… »

Silence des palaces

Eric Denécé, du CF2R, nous confirme :

« Plus ces personnes sont en haut de la hiérarchie de leur société, plus elles se sentent au-dessus de toutes ces manœuvres. Bien sûr, tout dépend de la sensibilité des dossiers qu’elles transportent. Mais il reste effectivement une naïveté des hommes d’affaires… »

Et une naïveté également de la part des hôtels ? Les gestionnaires des palaces ont-ils conscience que des espions se baladent dans leurs couloirs ?

 

Rue89

 

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