Ces lycéens en bac pro hôtellerie-restauration, en mal de pratique

Ces lycéens en bac pro hôtellerie-restauration, en mal de pratique

 

Depuis l’explosion de la pandémie en mars 2020 dans l’hexagone, les élèves en bac pro métiers de l’hôtellerie-restauration du lycée professionnel Jean-Monnet, au Puy-en-Velay, ont vu leur formation – comme nombre de jeunes en bac professionnel ou en apprentissage – fortement perturbée. Entre perte de motivation et interrogations sur l’avenir, les lycéens tentent tant bien que mal de garder le cap. Rencontre.

 

 

 

Ces lycéens en bac pro hôtellerie-restauration, en mal de pratique

Avant les dernières annonces faites par le gouvernement, mercredi 31 mars, les élèves pouvaient travailler leur technique dans le restaurant d’application qui sera fermé dès ce lundi 5 avril. Photo Dominique Lemoine. © L’Eveil

L’apprentissage est la clé de la réussite pour acquérir les bons gestes dans les métiers liés à la restauration. Mais avec la fermeture des établissements en raison de la crise sanitaire, la pratique est mise à mal.
Pour acquérir une certaine aisance dans l’exécution des gestes, que ce soit au niveau du port des plats, de la découpe des aliments ou encore du dressage des tables et des assiettes, la formation requière de nombreuses heures de pratique. Or, les restrictions sanitaires ont changé la donne, rendant les formations plus théoriques que prévu, au grand dam des élèves en bac pro métiers de l’hôtellerie-restauration du lycée ponot Jean-Monnet.

« Il manque l’adrénaline du coup de feu, mais aussi sortir rapidement de belles assiettes, propres »

« On a choisi cette filière pour, plus tard, travailler dans l’hôtellerie ou la restauration : on veut de la pratique ».

« On a choisi cette filière pour, plus tard, travailler dans l’hôtellerie ou la restauration : on veut de la pratique, explique Kelly Nambot, en terminale bac pro des métiers de l’hôtellerie-restauration. Là, on nous enlève cette pratique… Être derrière un bureau tout le temps ça a été compliqué et certains ils ont relâché », poursuit la jeune fille orientée vers une spécialisation commercialisation et services en restauration.
En septembre 2019 pourtant, ces lycéens pensaient pouvoir sortir un peu du cadre scolaire en intégrant une formation professionnalisante dans un domaine qui les passionnait : l’hôtellerie-restauration. Mais quelques mois plus tard, la désillusion est sans appel. En mars 2020, le premier confinement sonne le glas des stages. « On avait bien commencé l’année, on attendait tous cette période avec impatience. Mais au bout d’une semaine tout s’est arrêté ! », rappelle Léo Triouleyre, aujourd’hui en première bac pro métiers de l’hôtellerie-restauration, spécialité cuisine. Stoppés dans leur élan, « les lycéens ont perdu leur motivation » comme le relate Mathis Ruot, lui aussi en première dans la même formation mais spécialisé en commercialisation et services en restauration. « Ça m’a beaucoup découragé et j’ai fini par perdre confiance en moi. Je ne voulais quasiment plus rien faire. Heureusement, mes parents et mes amis étaient là pour m’épauler. »

 « Les profs ne nous ont pas laissés tomber »

À cette réalité compliquée se sont ajoutées des périodes de cours en distanciel, une première fois en mars 2020, puis une seconde fois en octobre, qui ont considérablement réduit le temps réservé à la pratique et ont entamé un peu plus le moral des lycéens. « En décembre, j’ai complètement décroché. Quand on est chez nous, on a tout à disposition : nos téléphones, réseaux sociaux. Donc rester concentré, c’est pénible », confie Kelly Nambot. « Apprendre des cours par cœur pendant deux heures alors qu’en une demi-heure, on peut le comprendre en le faisant, c’est frustrant », ajoute Clément Fraisse, en première, spécialisation commercialisation et services en restauration.
Dans ces moments difficiles, outre le soutien de leurs proches, ces jeunes ont aussi pu compter sur leurs professeurs. « Lorsqu’on était en seconde, au moment du premier confinement, on avait un stage à faire et ils nous ont vraiment aidés », confie Léo Triouleyre. Et de donner en exemple, un des professeurs : « Il nous demandait à chaque cours où on en était, si on avait trouvé et nous donnait des pistes de recherche. Cette année encore, les profs ne nous ont pas laissés tomber », poursuit le jeune homme. Pour les terminales, c’est surtout le travail fourni par les enseignants qui a permis de rester motivés, comme l’explique Rémi Pascal, élève en bac pro, spécialité cuisine : « Certains professeurs nous ont fait des cours en visioconférence, cela nous a permis de rester dans le rythme. Mais il y en a quand même qui ont relâché. »

En mars 2020, le premier confinement a sonné le glas des stages.

Continuer de pratiquer malgré tout

Pour ne pas perdre la main, beaucoup d’étudiants, notamment les cuisiniers, s’entraînaient chez eux. Malgré les incertitudes, ils ont également pu effectuer des stages en entreprise.
Faute de restaurants ouverts, l’équipe pédagogique a permis de trouver des structures dont l’activité était proche de leur domaine de compétence. Cette période n’a pourtant pas compensé la formation auprès d’un restaurant et laisse derrière elle, une certaine amertume. C’est le cas par exemple, pour Mathis Ruot qui, comme les autres élèves de première, a effectué un stage de trois semaines, dans une collectivité, du 2 au 20 novembre 2020. Une immersion au réfectoire d’un collège ponot. « Ça m’a un peu gêné, ça n’avait pas vraiment de lien avec mon premier stage en hôtellerie. On voyait à la fois la cuisine et le service. » Pour d’autres, par exemple Rémi Pascal, ce stage a été l’occasion d’anticiper l‘avenir professionnel. Depuis mercredi 10 mars, il réalise un stage en pâtisserie. Une aubaine pour le jeune homme qui se projette dans cette branche. « Plus tard je voudrais faire un BTM pâtissier. Ça me permet de voir ce qu’est la réalité du terrain avant de partir là-dedans. »

« On aimerait des clients exigeants  qui n’hésitent pas  à nous faire  des réflexions constructives »

En parallèle, les jeunes ont pu s’entraîner dans le restaurant d’application, ouvert depuis la mi-décembre uniquement aux élèves et aux personnels de l’établissement incarnant le rôle de clients. Pour les serveurs, cette réouverture a représenté une bouffée d’air frais, car si les cuisiniers ont pu préparer des assiettes et concevoir des menus, eux n’avaient pas la possibilité de prendre une commande, de manipuler les plateaux…
« C’est mieux que de s’entraîner en classe, analyse Clément Fraisse. On portait des assiettes vides, le reste, c’était de la théorie pure. Là, au moins, on peut servir de vraies assiettes à de vraies personnes ». Mais les élèves de première et de terminale ont le blues du coup de feu. « Ce qui nous manque, c’est de toujours avoir quelque chose à faire, d’être dans le jus le soir », confie Kelly, en dernière année de bac pro service. « Il manque l’adrénaline, sortir rapidement de belles assiettes, propres », ajoute Léo Triouleyre. « Et puis on voit toujours les mêmes têtes, complète Clément Fraisse. On aimerait, comme dans un vrai restaurant, avoir des clients exigeants qui n’hésitent pas à nous faire des réflexions constructives. »

Le spleen du coup  de feu

Cette diminution des pratiques en condition réelle suscite beaucoup d’inquiétudes, notamment chez les terminales. « On a quand même un dossier pro à rendre par rapport à notre stage qu’on était censé faire en restauration. Alors que là, il y en a en pâtisserie, certains en cave… Ce n’est pas du tout pareil. En plus, l’année dernière, on a aussi raté des cours », déplore Rémi Pascal.
Autre source d’anxiété : l’entrée dans le monde professionnel. « Quand on va sortir du lycée avec un bac en poche, si on est en contrôle continu, les entreprises vont préférer choisir les élèves en formation les années suivantes parce qu’elles auront une formation complète », s’inquiète Kelly.
Plus optimiste, Rémi Pascal tente alors de la rassurer : « Après on a eu de la chance de pouvoir réaliser un stage, alors qu’il devait être annulé. Dans notre CV, les employeurs vont voir qu’on a travaillé pendant notre troisième année. »
Face à la situation, l’établissement envisage – pour les terminales en bac pro des métiers de l’hôtellerie-restauration, spécialisés en service – de proposer une année supplémentaire de perfectionnement, même si certains préfèrent d’ores et déjà entrer dans le monde du travail.

 

Maintenir le restaurant d’application, quoi qu’il en coûte

Pour permettre aux élèves de travailler leur technique, le lycée Jean-Monnet a choisi de rouvrir, depuis décembre (uniquement pour les élèves et employés de l’établissement) son restaurant d’application. Une ouverture dont les pertes financières sont conséquentes.

Au menu de ce jeudi 1er avril : filet de truite meunière et pomme duchesse.Photo D. L.
« La décision prise dès le départ, c’est de ne pas pénaliser les élèves », confie Sandrine De Oliveira, directrice déléguée aux formations professionnelles et technologiques au lycée Jean-Monnet. Depuis la mi-décembre 2020, dès que cela a été possible, les équipes pédagogiques ont fait le choix d’ouvrir de nouveau le restaurant d’application, élément essentiel dans la formation pratique des élèves.
L’ouverture, initialement prévue pour les examens, a finalement été maintenue pour les mois qui ont suivi. Habituellement, les élèves accueillaient chaque midi entre 18 et 45 clients extérieurs par services. Depuis la pandémie, le restaurant a été fermé au public. Les clients ont été remplacés par les élèves ou les employés de l’établissement et seulement 12 à 18 personnes peuvent venir se restaurer par services.
Bien que le personnel paye une contribution de 10 euros par repas, cela ne suffit pas à renflouer les caisses. « Toutes les semaines on perd de l’argent. On demande aux enseignants de faire des efforts, mais on a gardé quand même une belle qualité », confie Sandrine De Oliveira.
Depuis la rentrée, en septembre 2020, l’établissement a enregistré entre 15.000 et 20.000 euros de pertes de chiffre d’affaires, le poussant à demander des aides financières aux institutions, notamment au Rectorat et à la Région. Suite aux annonces du gouvernement faites ce mercredi 31 mars, le restaurant devra à nouveau fermer ses portes, au grand désespoir des élèves et des formateurs.

 

Un stage en supermarché pour ne pas perdre ses connaissances

Avec la fermeture des restaurants, les élèves de terminale ont dû, pour leur stage, se tourner vers des entreprises différentes de leurs spécialités. C’est notamment le cas de Chamaie Rattaj, en stage au Super U Aiguilhe depuis le 8 mars dernier.
Avant que la circulation du virus ne vienne contrecarrer ses plans, Chamaie Rattaj devait effectuer sa période de formation en milieu professionnel à la Distillerie, restaurant située au centre-ville du Puy-en-Velay. « Cela faisait deux ans que je travaillais avec eux à travers des stages et des extras. Je voulais donc retourner chez eux. » Après avoir repoussé la période de stage qui devait se dérouler en décembre dernier (espérant la réouverture des restaurants), le lycée a proposé aux élèves de l’effectuer en mars en se tournant vers d’autres métiers de bouches. « J’ai donc pensé à faire un stage à Super U Aiguilhe », explique la lycéenne de 19 ans.

Aujourd’hui Chamaie Rattaj a été affectée pour son avant-dernière semaine au rayon fruits et légumes. Photo D. L.

Soutenue par son lycée, la jeune femme a postulé et sa candidature a été retenue par le supermarché. « On a l’habitude d’en recevoir quelles que soient leurs formations, leurs niveaux scolaires ou leurs âges », détaille Mathieu Saby, chef du secteur alimentaire à Super U.
Depuis qu’elle a commencé le 8 mars dernier, Chamaie a été affectée à différents secteurs du magasin pour faire de la mise en rayons, du service et de l’orientation client.
Même si elle ne peut pas travailler les produits comme dans un restaurant, la stagiaire reste positive : « C’était un mal pour un bien, car cela m’a permis de me conforter dans mon projet professionnel qui est d’intégrer l’école spécialisée dans la pâtisserie située à Yssingeaux. » Avant de terminer son stage, le 10 avril prochain, Chamaie Rattaj passera une dernière semaine au rayon poisson.

 

Source Dominique Lemoine L’Eveil de la Haute Loire

 

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