Ces hôtels de tourisme qui survivent grâce à l’accueil des sans-abri et des migrants

Ces hôtels de tourisme qui survivent grâce à l’accueil des sans-abri et des migrants

 

À Caen (Calvados), des hôtels n’accueillent plus que des touristes mais aussi des sans-abri, des demandeurs d’asile… Ces hôtels se sont reconvertis dans l’hébergement d’urgence.

Ces hôtels de tourisme qui survivent grâce à l’accueil des sans-abri et des migrants

L’hôtel Saint-Jean, dans le centre-ville de Caen (Calvados), s’est reconverti dans l’hébergement d’urgence. (©ML/Normandie-actu)

Ces hôtels de tourisme qui survivent grâce à l’accueil des sans-abri et des migrants

L’hôtel Saint-Jean, en plein centre-ville de Caen (Calvados), affiche complet sur sa vitrine. Mais l’établissement est loin d’être saturé de touristes ! L’hôtel Saint-Jean s’est aujourd’hui reconverti exclusivement dans l’hébergement d’urgence, en accueillant des sans-abri, des demandeurs d’asile, des femmes seules… Dans les 16 chambres de l’établissement, les hôtes ne sont pas là pour faire du tourisme…

« S’il n’y avait pas le 115, l’hôtel Saint-Jean n’existerait plus, assure Marie-Anne Chemin, la gérante. Je suis hôtelière depuis 33 ans et depuis que je suis là, 15 hôtels à Caen ont fermé. »

Le 115, c’est la cocaïne de l’hôtelier. En deux jours, ton hôtel peut être rempli avec le 115, mais franchement, ce n’est pas notre métier, peste un gérant d’hôtel caennais, qui veut rester anonyme.

La population sociale, une variable d’ajustement

D’autres hôteliers jonglent avec les touristes et les travailleurs de passage, comme à l’hôtel Courtonne, dans le centre-ville. L’établissement accueille quelques sans-abri l’hiver et redevient un hôtel exclusivement touristique l’été. « Cela me permet de relever un petit peu ma clientèle en hiver », souligne la gérante de l’hôtel Courtonne. La population sociale est alors la variable d’ajustement.

« Le 115 est devenu le plus gros client des hôtels de province », assure Florent Herouard, un Caennais qui a écrit une thèse sur le sujet Habiter l’hôtel : un reflet de la précarité dans les agglomérations de Caen, Lisieux et Rouen. En mars 2018, 433 personnes sans domicile fixe étaient logées dans 15 hôtels du Calvados, « dans le cadre d’un marché national portant sur de l’hébergement d’urgence et de l’accompagnement social », précise la préfecture du Calvados.

L’hôtelier, un travailleur social ?

Avec l’accueil de cette nouvelle population, l’hôtelier se transforme alors en travailleur social. « Je cumule deux métiers », plaisante Marie-Anne Chemin.

Surnommée « Mamie » par ses hôtes, elle les dépanne, de temps à autre, « deux euros pour un préservatif, une bouteille d’eau, un gel douche… » Mais l’hôtelière peste aussi parfois contre leur complètement. « Ils jettent des aliments encore bons à la poubelle, cela m’énerve mais va leur faire comprendre… Et dès que je mets des choses neuves dans les chambres comme une étagère, un aspirateur, tout est cassé… »

Ces hôtels de tourisme qui survivent grâce à l’accueil des sans-abri et des migrants

L’hôtel confort dispose de 115 places dédiées à l’hébergelent d’urgence. . Le samu social paie 16 euros par personne au propriétaire de l’hotel. Mr Dembelé est réceptionniste ici depuis 2 ans.

Les hôtels ne sont pas des foyers d’urgence

Malgré la bonne coopération des hôteliers avec les services sociaux, les hôtels ne sont pas des foyers d’urgence et les hôteliers ne sont pas des travailleurs sociaux. Leur motivation première est essentiellement financière. Même si, avec la pratique, l’hébergement de personnes en difficulté peut se transformer en véritable vocation pour certains. « Mais ils n’ont pas la formation pour, fait remarquer Florent Herouard. Ils sont souvent très paternalistes ou très policiers. Ils endossent un nouveau rôle pas forcément bien mené. »

Certains hôteliers assurent que le quotidien avec les populations en difficulté n’est pas toujours rose. « Il n’y a pas de suivi avec les gens du 115, on les met à l’abri, on les enlève du trottoir et basta… Ces personnes restent toute la journée dans la chambre, mettent le chauffage à fond, mangent dans la chambre… Les locaux s’abîment beaucoup plus vite », assure l’hôtelier caennais qui souhaite rester anonyme.

D’autant plus que certains hébergements peuvent durer six mois, un an… « Les hôtels ne sont pas adaptés à une vie quotidienne, pour plusieurs mois de résidence, assure Florent Herouard. Il est souvent interdit de manger dans les chambres, certains le font malgré l’interdiction, car manger dehors en permanence, ce n’est pas pratique. »

Et quand il y a un problème, on doit appeler la police, souligne l’hôtelier anonyme. Mais s’ils ne viennent pas, c’est à nous de gérer et croyez-moi, ce n’est pas toujours facile avec des personnes qui ont des problèmes d’alcool, qui ont fait de la prison… Tout en essayant de rester discret pour ne pas gêner notre autre clientèle, les touristes et les travailleurs de passage.

La poule aux œufs d’or des hôteliers ?

Selon les travailleurs sociaux, l’État paye une fortune la nuitée dans les hôtels. Soit environ entre 40 et 60 euros, selon les établissements. Car tous les types d’hôtels pratiquent le 115 : hôtels non étoilés, étoilés, hôtels du groupe Accor…

Et certains hôtels sont vraiment insalubres… Ce serait moins onéreux pour l’État et mieux pour les personnes dans le besoin si l’État faisait le choix d’ouvrir des foyers d’urgence. Car en hôtel, l’accompagnement social est quasi inexistant, assure le Collectif Alerte, qui regroupe 18 associations et fédérations de lutte contre la pauvreté en Normandie.

Pour preuve, « une personne qui a fait sa demande d’asile et qui vit dans un CADA (Centres d’accueil de demandeurs d’asile) a plus de chance d’obtenir des papiers qu’une personne logée dans un hôtel », fait remarquer Florent Herouard.

De leurs côtés, les hôteliers ont conscience qu’ils auraient du mal à vivre sans le 115. Mais certains assurent que « ce n’est pas si rentable que ça et que cela demande du travail en plus. » Les populations en difficulté sont fragiles et demandent plus d’attention que de simples clients d’un hôtel.

Et puis franchement, ce n’est pas notre cœur de métier. J’essaye d’arrêter le 115 mais pour un petit hôtel, aujourd’hui, au vu de la conjoncture, c’est vraiment difficile de se passer de ce client, soupire un hôtelier caennais. Mais je pense que je vais y arriver.

Pourquoi l’État recourt aux hôtels ?

Mais alors pourquoi l’État ne construit pas de nouvelles structures, d’autres foyers d’urgence ? Contactée par Normandie-actu, la préfecture du Calvados n’a pas répondu à cette question.

« Les autorités ont toujours peur de ce fameux « appel d’air ». Si l’on construit des structures, il y aura de plus en plus de monde pour les remplir… », souligne Florent Herouard. Autres arguments avancés : cacher le phénomène en disséminant les personnes aux quatre coins de la ville mais aussi avoir de la mobilité pour gérer les hébergements.

Le recours à ces hôtels, qui ont avant tout une fonction commerciale et qui ne sont pas spécialisés dans l’accueil social, peut-il être considéré comme une incapacité des institutions à subvenir aux besoins grandissants en terme d’hébergement d’urgence ? « Ou représente-t-il une solution alternative adaptée à de nouvelles situations ? », questionne Florent Herouard.

Une situation compliquée

La préfecture répond que « les besoins croissants dans le domaine de l’exclusion et de l’asile ont conduit, en une dizaine d’années, au doublement des places mobilisées. Il y a aujourd’hui 2014 places d’hébergements dans le Calvados ».

En mars 2018, 433 personnes étaient hébergées en hôtel, 400 dans des appartements loués par l’État et 497 dans des foyers d’hébergement d’urgence. Mais les moyens mobilisés par l’État ne suffisent pas. Des centaines de migrants vivent dans des squats à Caen et il y a encore des personnes qui dorment dans la rue…

La situation est très compliquée à gérer, notamment dans un contexte international où de nombreuses populations migrent en Europe pour des raisons économiques, sociales et de conflits dans leurs pays d’origine.

 

Actu.fr

 

 

 

 

 

Partgagez

Plus d'articles

Ecrivez-nous