Bluffant – Dominique Desseigne, PDG de Groupe Lucien Barrière

L'homme est plus complexe qu'il n'y paraît. Casinotier mais pas joueur. Roi de l'hôtellerie mais fuyant les mondanités. Ami des puissants mais fidèle à quelques proches loin des cercles du pouvoir.

Bluffant – Dominique Desseigne, PDG de Groupe Lucien Barrière

 

Avec son allure de dilettante, l’ex-prince consort a trompé son monde. En quinze ans, il a triplé le chiffre d’affaires du groupe de casinos et de palaces, révélant son âme de notaire et de patriarche.

Bluffant - Dominique Desseigne, PDG de Groupe Lucien Barrière

Le PDG de Groupe Lucien Barrière à Cannes CHRISTOPHE BEAUREGARD

Il aurait préféré ne pas en parler. Mais la bande dessinée Rachida. Aux noms des pères était là, dans son bureau, offerte à tous les regards. Et aux questions sur son éventuelle paternité de la petite Zohra Dati. « On me l’a achetée, mais je ne l’ai pas lue », élude Dominique Desseigne. Assigné en justice par l’ancienne garde des Sceaux, le président de Groupe Lucien Barrière, qui refuse le test de paternité que celle-ci réclame, conteste ses allégations.

Comment pourrait-il en être autrement pour lui qui n’a d’autre obsession, depuis le décès de son épouse, Diane Barrière-Desseigne, il y a douze ans, que de transmettre le patrimoine familial à ses deux enfants? Lui qui n’a d’autre ambition que de les protéger? Usufruitier d’un empire de 39 casinos, 17 hôtels de luxe et près de 130 restaurants et bars, il se doit de conserver l’héritage en attendant qu’un jour Alexandre, 26 ans, ou Joy, 22 ans, se décident à le remplacer. « Je suis porté par ma mission, mon devoir vis-à-vis de Diane et des enfants, soupire cet homme de 69 ans. Cela me donne une force incalculable, m’aide à tenir dans les moments difficiles. »

Jeune séducteur

La vie de Dominique? « On pourrait en faire un film », s’exclame le décorateur Jacques Garcia, qui a oeuvré dans bon nombre d’hôtels du groupe. Tout commence avec un jeune et beau notaire qui collectionne les aventures. De préférence avec des femmes riches. A son tableau de chasse, entre autres, une héritière Darty et Corinne Bouygues.

Puis il rencontre la jeune et belle Diane, la demande en mariage. Lucien Barrière, père adoptif de la demoiselle, ne s’y oppose pas, contrairement à papa Bouygues. Les enfants naissent. Les parents virevoltent de soirée en soirée. A la mort brutale de Lucien Barrière, l’été 1990, Diane prend les rênes de la société. Les employés l’apprécient. Le groupe prospère.

Loin des mondanités

Jusqu’à ce jour de l’été 1995 où, de retour de Saint-Tropez, le petit avion de la riche héritière s’écrase près de La Baule, alors qu’elle allait rejoindre mari et enfants. Suivront six années de souffrances avant sa mort. En 2004, Dominique en a fait un livre, intitulé Tout pour être heureux. Publié aux éditions Plon, l’ouvrage est vendu avec un bandeau où figure en grosses lettres: « Un destin brisé ». Les médisants l’accusent d’exploiter un fonds de commerce en surjouant le veuf-patron-malgré-lui. « Rien de faux dans son attitude, corrige le producteur Alain Terzian. Sa vie a été pulvérisée. Il est resté touchant, émouvant. »

Le Nouvel Hôtel Barrière Les Neiges

L’homme est plus complexe qu’il n’y paraît. Casinotier mais pas joueur. Roi de l’hôtellerie mais fuyant les mondanités. Ami des puissants mais fidèle à quelques proches loin des cercles du pouvoir. « Dominique, c’est l’inverse de son allure », résume Alain Minc. S’il se doit d’accueillir les stars au Fouquet’s pour la cérémonie des césars ou à l’hôtel Majestic lors du Festival de Cannes, le seigneur des réjouissances aime se coucher tôt, ne fume pas, ne boit pas, déjeune souvent au bistrot au pied de son bureau parisien. En guise de petit déjeuner, il grignote quelques amandes arrosées d’un bol d’eau chaude.

Aux costumes de notaire qu’il portait autrefois, il préfère désormais – sous l’influence d’une femme, diton – des tenues plus décontractées: chemise ouverte portée négligemment sur le pantalon, mocassins en daim et écharpe en cachemire. A Cannes, sous le déluge, il ose même le short – certes, sur jambes bronzées – au restaurant du Majestic. Parfois aux limites du ridicule, mais toujours cette allure de dandy cette silhouette d’éternel vieux jeune homme au teint hâlé, « cette gravure de mode à peine fanée », comme l’écrivent les journalistes Ariane Chemin et Judith Perrignon dans La Nuit du Fouquet’s (éditions Fayard). Cette fameuse soirée où Nicolas Sarkozy – un ami sincère est venu fêter dans l’établissement du groupe sa victoire à l’élection présidentielle de mai 2007. Un boulet bling-bling que le président traînera durant tout son quinquennat… « Je le vis comme une injustice. Au contraire, je suis fer que le président de la République tout juste élu ait choisi le seul palace français. »

Businessman reconnu

Le veuf dandy sait tromper son monde. Derrière un dilettantisme calculé, il y a un professionnel. Il a réussi en une quinzaine d’années à multiplier par trois et demi le chiffre d’affaires du groupe, passé de 353 millions d’euros en 1997 à plus d’1,2 milliard l’année dernière. Il a modernisé, diversifié la société, entamé le développement à l’international. C’est sous sa direction que les casinos de Lille et de Montreux ont été gagnés, qu’un hôtel à Marrakech a été construit. Pour le casino de Toulouse, confié à l’architecte Jean-Michel Wilmotte, il a investi 75 millions d’euros. Un succès. « Un million de visiteurs par an, 150 spectacles, 200 000 couverts au restaurant », se félicite David Parré, le directeur opérationnel Sud-Ouest. Surtout, il a su mener à bien une opération compliquée, l’hôtel Fouquet’s à Paris. « Diane et Lucien Barrière avaient toujours souhaité ouvrir un hôtel à Paris, raconte Fabrice Moizan, directeur du 5-étoiles. La mission de Dominique a été de mettre en oeuvre ce projet. » Ce qu’il a fait, au prix de coûteuses négociations avec les occupants des immeubles qu’il convoitait. « Pendant longtemps, on n’a vu en Dominique que le gendre de Lucien Barrière, puis le mari de Diane, assure un proche. Aujourd’hui, il est reconnu dans le monde des affaires. » Ce que confirme son actionnaire, Marc Ladreit de Lacharrière: « Il s’est révélé un bon chef d’entreprise, alors qu’il n’était pas destiné à l’être. »

Bien entouré

Mais l’apprentissage n’aura pas été évident. « Ce n’était pas gagné au départ, reconnaît Christine Deloy, directrice développement, marketing et commercial de Lucien Barrière. Nous nous demandions s’il était capable de diriger, mais, pour la plupart, nous n’avons pas douté longtemps. » Plusieurs cadres historiques du groupe contestant sa légitimité et s’effrayant de sa candeur sont tout de même partis. « Il ne savait pas parler en public, se souvient l’un d’entre eux. Seulement pour raconter son malheur. A croire qu’il l’avait appris par coeur. » Au fil des années, l’ex-prince consort du royaume de Lucien Barrière s’est affirmé et a surpris son monde, même ceux qui ne voyaient en lui qu’un gardien du temple. Naïf, lui? Pas tant que ça. Le notaire, armé de bon sens, se réveille en lui. Il s’entoure des meilleurs. Comme l’avocat Alain Maillot, qui le conseille depuis longtemps. Il y a aussi les « beaux esprits » qui peuplent son conseil d’administration, comme Gilles Pélisson, ancien patron d’Accor, ou Matthieu Pigasse, directeur de Lazard à Paris et actionnaire du Monde. Une ferté.

A force de fréquenter des requins, il a aussi appris à déjouer leurs pièges pour éviter de se faire dévorer. En 2004, lui qui s’était toujours montré si fer de son indépendance se rapproche d’Accor, qui prend 34 % du capital, et du fonds d’investissement Colony Capital (15 %). Un beau mariage: Accor dépose dans la corbeille une bonne vingtaine de casinos et trois hôtels. Le management opérationnel de l’ensemble est confié à un homme d’Accor, Sven Boinet. Dominique Desseigne prend de la hauteur et de la distance en présidant le conseil de surveillance. « Nous étions complémentaires, assure aujourd’hui Sven Boinet. Nous nous sommes parfois heurtés, mais toujours de façon constructive. »

Gérant d’un patrimoine

Il n’empêche, Accor, après s’être renforcé en rachetant la part de Colony, souhaite, quelques années après le début de l’aventure, y mettre un terme. Il s’agit maintenant de sortie. Une introduction en Bourse est tentée. Mais la période n’est guère favorable, et le vendeur est trop gourmand. Armé d’un coussin pour soulager un dos malade, Dominique Desseigne effectue une tournée des investisseurs. « Jusqu’au bout, on s’est donné un mal fou pendant ces road shows, reconnaît-il. Mais aujourd’hui, je suis ravi que mon groupe ne soit pas coté. » Fin septembre 2010, il sait que l’opération est vouée à l’échec. « Dominique a été déçu, mais, plutôt que de s’abîmer dans le passé, il a regardé vers l’avenir », explique Christian Meunier, directeur général délégué. Début 2011, Accor vend sa participation pour 268 millions d’euros, bien en deçà de la fourchette basse prévue pour l’introduction. L’heureux acheteur n’est pas la Bourse mais Fimalac, le holding de l’homme d’affaires Marc Ladreit de Lacharrière. « Leurs différences sont un plus, constate Alain Minc, à l’origine de cette union. Dominique s’est adjoint un partenaire doté d’une vision internationale et d’une excellente pratique des finances. Seul un groupe familial qui regarde comme lui à long terme pouvait lui convenir. » « Nos groupes sont complémentaires, tous deux diversifiés et familiaux », renchérit Marc Ladreit de Lacharrière. « Nous regardons dans la même direction et respectons les mêmes valeurs, en particulier sur la propriété de l’immobilier », confirme en écho Desseigne.

L’immobilier? Alors que, à Accor, les actionnaires, dont Colony, poussent à vendre les murs, il n’est pas question d’opter pour cette stratégie chez Barrière: « Si les murs des hôtels avaient été vendus, j’explosais avec la crise », explique Dominique Desseigne. Des actifs solides, voilà à quoi il croit. Un patrimoine qu’il faut faire fructifier. Surtout en cette période peu faste où le produit des jeux dans les casinos ne cesse de baisser, où la clientèle des hôtels se fait plus frileuse.

Ses hôtels et ses restaurants, il les connaît par coeur et les bichonne. « Dès que j’y vais, je note ce qui pourrait nous être utile », reconnaît l’intéressé. Car il y a toujours matière à innovation. Il y a quelques mois, fatigué d’entendre des plaintes de certains de ses amis qui lui assuraient que le Fouquet’s devenait vieillot, il se décide à changer la cantine de luxe des Champs-Elysées. En janvier dernier, il s’est associé à Nicole Rubi, la propriétaire de La Petite Maison de Nicole, une institution de la scène gastronomique niçoise. Désormais, le soir, la terrasse du Fouquet’s se transforme. Petits farcis et pâtes à la truffe, personnel plus décontracté et bougies sur les tables ont renouvelé le genre. Pour un investissement minime et avec des additions… plus salées. « Pour faire des travaux, il est d’accord, encore faut-il lui présenter des plans raisonnables, confie Gilles Pélisson, administrateur du groupe. Dominique est prudent, il n’aime pas prendre de risques inutiles. »

Tenace en affaires

L’entretien d’établissements construits dans les années 1920 ou 1930 coûte tout de même une fortune. La facture des travaux du Majestic à Cannes a dépassé les 80 millions d’euros. Un plan de trois ans est maintenant prévu pour rénover le Normandy de Deauville et les hôtels de La Baule. On avance, sans faire de folies: l’homme est tenace. « Au tennis, je ne lâche pas un point », dit-il, comme en affaires. Il l’a montré en se battant contre le groupe Partouche pour emporter de nouveaux casinos, et ainsi retrouver sa place de leader en France. Pourquoi? Et jusqu’à quand? « Mes enfants ont la capacité de diriger, mais encore faudrait-il qu’ils en aient l’envie. Je ne veux rien leur imposer et ils ont le temps de décider puisque, selon nos statuts, l’âge minimum a été fixé à 33 ans. » Il faudra un bon septennat avant le passage de flambeau. En attendant, Dominique veille. Dans le souvenir de Diane.

 

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