Alain Dutournier balance tout : le Michelin, la cuisine, les gilets jaunes, Guy Savoy
Comment ne pas aimer Alain Dutournier. Même quand on ne le connait pas, avec son physique bonhomme et enjoué, il ne peut qu’attirer de la sympathie. Alors, une fois qu’on l’a rencontré, Alain Dutournier est la crème des Chefs, la crème des hommes. Quelqu’un qui, même si sa cuisine est grande, ne s’y est pas perdu.
Relégué en seconde division de la Gastronomie par le bienveillant Guide Michelin, Alain Dutournier n’est désormais plus double étoilé. Simple étoilé comme un jeune Chef à peine sorti de Top Chef lui dont tout le monde se demande pourquoi il n’a jamais été triple étoilé. Mais le Chef du Carré des Feuillants n’est pas homme à se laisser faire. Ce n’est pas avec les poings ou les actions choc que Alain Dutournier s’exprime. Avec intelligence et une jolie plume.
Deux lettres qui expriment la compréhension d’une incompréhension ou le contraire. Comprenant les dérives d’un système devenu mercantile, paillettes et cotillons avec DJs en after show, il juge qu’il en est une injuste victime.
Et on le comprend, car comment mettre au même niveau certains néo étoilés parisiens et Alain Dutournier ? Il a sa cuisine pour lui et, deux étoiles ou pas, les convives qui passent au Carré des Feuillants, peuvent se vanter d’avoir fait un festin de roi.
Par contre, si vous avez la chance d’être invité à sa table, ne vous étonnez pas si il vous propose … de l’eau.
Pas n’importe quelle eau. Une eau pétillante, naturellement gazeuse, une eau médaille d’or du 2ième concours international des eaux gourmet en 2018, la Saint-Géron.
Une eau légèrement pétillante, avec des bulles fines comme du Krug dans laquelle le Chef, avec des amis, a investi par amour des bonnes choses. Refusant le plastique pour les bouteilles, il a cherché a travailler avec Tetra Pak, en vain.
Mais si Alain Dutournier est un buveur d’eau pétillante, c’est surtout un amoureux du vin qu’il connait mieux que personne.
Mais quelle est l’actu d’Alain Dutournier ?
Actuellement, je suis en train de remercier 2000 personnes, qui ont été adorables, qui ont écrit, qui ont fait des tas de choses, par rapport à ce qui s’est passé au Guide Michelin.
Il y encore six, sept ans, madame Clusel qui était la directrice du Michelin était au prise avec trois journalistes agressifs à Equiphotel pour Europe ou un truc comme cela. Le Michelin m’avait demandé d’intervenir et moi, j’ai expliqué qu’il fallait garder des repères tandis que les autres prônaient la disparition du Michelin. Cette dame m’a beaucoup apprécié car j’étais assez loin des lèche-bottes de service. Je n’ai pas eu trois étoiles mais je sais pourquoi.
D’ailleurs, c’est cocasse, à l’époque à laquelle je me battais pour avoir trois étoiles ici, c’était Bernard Naegelen qui était directeur du Michelin, je pense même que c’était le vrai dernier directeur du Michelin qui défendait, en donnant, en enlevant des étoiles, les valeurs de la cuisine française.
Bernard Naegelen, chaque fois que j’allais au siège du Guide Michelin, j’avais deux étoiles, je prenais rendez-vous, chaque fois, il me recevait. Quand j’arrivais dans son bureau, il me disait – Alors, vous avez vu, vous n’avez toujours pas trois étoiles. Alors, bien sur, je lui demandais pourquoi, faut-il que l’on revoit notre services, certains plats. Oh non, pas du tout me disait-il, d’ailleurs je vous l’ai déjà dit la dernière fois, si j’avais un gueuleton à faire avec des amis, ce serait chez vous. Alors, je lui demande encore pourquoi. Et à chaque fois, il me répondait, vous le savez, ce ne sont toujours pas les journaleux qui donnent des étoiles, c’est nous !
Donc, on étaient tricards, Guy Savoy et moi. A l’époque, toute la presse, de la droite à la gauche, se demandait pour Guy Savoy et moi-même n’avions pas trois étoiles. Que c’était inadmissible.
Quand Naegelen a pris sa retraite, il s’est confié devant une douzaine de personnes dont j’étais et sa femme qui était avec lui, à tout de suite dit qu’elle savait de quoi son mari allait parler, y aillant droit constamment. Son mari de reprendre la parole en expliquant penser avoir servi la cuisine française en tant que directeur du Guide Michelin mais qu’il avait fait une très grosse connerie. J’ai empêché Alain Dutournier d’avoir trois étoiles.
Faute avouée, je lui ai pardonné. Pour lui, la presse le faisait passer pour un gogol puisqu’il ne nous donnait pas trois étoiles à Guy et à moi.
En partant à la retraite, il nomme Derek Brown, un inspecteur anglais. Cela se passe ici, à cette table (il montre une table dans la salle principale du Carré). Le repas se fait avec Derek Brown et Claude Allaire qui devait reprendre derrière Naegelen et c’est le premier qui est devenu directeur.
Ensuite, il y a eu Narré, pas exempt de tout reproches malgré le fait qu’il ait monté le Michelin à Tokyo. Mais trop de dossiers au dessus de sa tête ont précipité sa chute. Puis vint Michael Ellis, un type bien, qui connaissait la cuisine. Maintenant, il est à Dubaï, il s’occupe d’une chaîne hôtelière. Il m’a dit que depuis qu’il était parti, que le Michelin était une catastrophe et c’est vrai que cette année, c’est une catastrophe. C’est pour cela que j’ai pris ma plume. Pas pour moi. J’ai bien sur téléphoné au directeur du Michelin, Gwendal Poullennec, pour lui dire ma façon de penser. il m’a gentiment répondu que je ne me rendais pas compte que, l’année prochaine, je pouvais récupérer ma seconde étoile.
Bien sur, je lui ai expliqué que lui, il avait tout le temps – il a 38 ans, et que moi, mon avenir, il est derrière moi. Je me suis battu pour ces deux étoiles. En 1977, j’ai eu la première étoile. J’ai tiré un trait sur tout ceci. Vous pouvez m’enlever toutes les étoiles que vous voulez lui ai-je dit.
Ah, mais non, vous gardez une étoile me dit-il. Vous vous rendez compte, il y a des gens qui mettent quinze ans pour l’obtenir. Vous avez une étoile au Carré des Feuillants, c’est une sacrée référence.
Je lui ai répété que, pour moi, le Michelin, c’était fini mais que, par contre, je ne les lâcherai pas pour la cuisine française. Et ils peuvent me croire, quand on me donne des œufs à couver, je suis une bonne poule. Je lui ai donc fait porter ce que j’ai écris par quelqu’un qui le tutoie ainsi qu’au nouveau patron de Renault (qui s’est investi dans le Guide Michelin). Moi, je n’ai qu’un but, c’st défendre la cuisine française au travers le Michelin qui s’en va vers le fooding (c’est le cas de le dire puisque Le Guide Michelin a racheté le magazine le Fooding) et qui s’en va vers les japonaiseries idiotes, je dis cela sans sectarisme aucun, j’ai travaillé en Asie et formé bon nombre de cuisiniers asiatiques, non, le problème c’est que l’on a quatre siècles de cuisine écrite qui font rêver la terre entière avec des bases que l’on peut utiliser dans d’autres cuisines, la grande tendance actuelle est d’utiliser plus que de raison des produits japonais dans la cuisine française.
Cela n’a rien à voir avec du franchouillardisme primaire, je voudrais simplement que l’on honore un peu plus notre belle cuisine. Quand tu vas à Rome, il n’y a pas un seul produit français dans les superettes et supermarchés, à Madrid, il n’y a pas un produit français, en France, tu as le corner italien, le corner espagnol … Attention, ce ne sont pas de propos maurrassiens (inspirés par le mouvement nationaliste intégral de Charles Maurras). C’est juste que l’on a des petits producteurs uniques au monde avec un savoir-faire extraordinaire, c’est cela que l’on défend au Collège Culinaire de France dont je suis désormais le trésorier suite à la disparition de Joël Robuchon. On a 2500 adhérents. On ne voit pas les produits de la même façon quand on connait les gens qui les font. Mais ce n’est pas parce que je défend corps et âme la cuisine française que je n’aime pas les cuisines du monde.
Cela étant, voilà pour le Michelin et, avant, on avait eu les gilets jaunes. Si l’on arrêtait un peu de donner dans les médias l’image que l’on donne de Paris, on aurait peut-être un peu de tourisme parce que, actuellement, il n’y a plus personne. Sans parler des gilets jaunes. En octobre, on était pas trop mal, à l’équilibre, ce qui est déjà bien, mais après, cela s’est nettement compliqué. Au réveillon, on a fait quarante couverts qui avaient été réservés d’avance, c’est un miracle. Trois jours avant, on annonçait que la rue de Rivoli, que la Place Vendôme étaient bloqués, les convives ont du venir à pied.
On a morflé, avec ça, on a mal terminé l’année qui, pourtant, ne s’annonçait vraiment pas trop mal. Mais c’est comme ça. Maintenant, on fait avec et l’on ne saura qu’à Pâques si cela va repartir, le temps que les gens oublient, et pas seulement les touristes étrangers, les provinciaux. Ce soir, il y a un match du Tournoi, habituellement, ça ramène du monde. Là, personne. Bon, tous les midis, on travaille pas trop mal mais le vendredi midi, je ne sais pas pourquoi, on travaille vraiment bien. Mais les débuts de semaine, le soir, c’est très compliqué. Les gens ne sortent pas, ne sortent plus.
Alors, d’un côté, on a des irresponsables, les gilets jaunes, et de l’autre, qui sont une minorité, les responsables, qui ne prennent aucune décision et qui disent on va parler aux français, et cela va s’arranger. Tu parles Charles.
Bien sur, qu’ils aient récupéré les quarante années de gabegie et de bêtises de leurs prédécesseurs, je veux bien, mais ce sont des propositions que les gens attendent.
On ne peut, bien sur, pas évoquer Alain Dutournier sans parler de l’ami Guy Savoy.
Guy Savoy est un garçon qui fait partie de cette génération, ils sont arrivés à Paris, ils étaient trois lascars, il y avait Claude Perraudin, le Père Claude, ils étaient trois anciens de chez Troisgros, il y avait Guy et puis il y avait Bernard, Bernard Loiseau et il y avait à l’époque, monsieur Vergé, qui était le roi des barrières, monsieur Vergé, le garde barrière, ils étaient donc trois Chefs qui se sont faits connaitre à Paris à ce moment là. En plus, c’était en pleine révolution culinaire, les années où il se passait des choses, ensuite, chacun à fait son petit bonhomme de chemin.
Guy est un homme qui a beaucoup de caractère, qui est généreux, nous avons plein d’affinités, le rugby, plein de choses, avec Guy, on se connait très bien. Nous avons vécu beaucoup de choses ensemble. Des choses parfois insolites auxquelles je repensais récemment, en rentrant de Lyon.
Nous étions partis avec une équipe d’Antenne 2 (France 2 maintenant) avec Paul Bocuse, Jean Banchet qui était à Chicago à l’époque et qui nous a quitté, chez les inuits sur le Cercle Polaire. On a vécu là bas par moins 56 degrés pendant une semaine avec Paul et ses facéties. Avec Guy, j’ai fait le Mont Athos à six ou sept, pendant une semaine, à l’époque, sans portable. On a fait dix mille choses ensemble.
Il n’y a pas longtemps, on a fait un repas chez lui, à La Monnaie, avec des amis, et moi, quand je sors, je sors et, en plus, Guy a du en rajouter un peu, c’était divin. Grande cuisine. Et puis, cela m’a permis de revoir Hubert.
Uber ?
Hubert, le directeur de salle allemand qui parle très bien français et qui veut faire rire tout le monde. Hubert a démarré ici, au Carré des Feuillants alors j’ai été heureux de la retrouver, de le revoir.
Mais ma dernière émotion, elle n’est pas culinaire, c’était au théâtre, mardi dernier, un ami provincial est venu à Paris, et avec d’autres amis, j’ai eu une heure un quart de bonheur extraordinaire avec le spectacle que donne Jean Dussollier au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Cela s’appelle Novecento et André Dussollier m’a bluffé. Il a 73 ans, il est tout seul sur scène avec quatre musiciens et, c’est énorme. Il faut y aller.
On ira, c’est sur, mais on ira également revoir Alain Dutournier, un grand Chef, blessé dans ce qu’il a de plus profond, c’est à dire sa cuisine française.
Car quand on s’attaque à lui, oui, on s’attaque à la cuisine patrimoniale française.
Ce n’est pas un grand Chef, c’est un très grand bonhomme qui, malgré les apparences et son étoile, ne se prend pas pour un shérif.
Seulement pour un amoureux de la cuisine made in France.
Source Mark Skeuds