Mama Shelter des Hôtels pas Comme les Autres

Serge Trigano (Mama Shelter) : « Nous devrions tripler notre chiffre d’affaires d’ici à 2020 «

Mama Shelter des Hôtels pas Comme les Autres

 

Serge Trigano, Le parcours d’un visionnaire. Résolument cool et branché, le concept hôtelier inventé par Serge Trigano et Philippe Starck a rencontré le succès en cassant les codes du secteur. L’entrée du géant AccorHotels à son capital  lui à permi  de se déployer à l’international. Mais il a su préserver sa différence?

Mama Shelter des Hôtels pas Comme les Autres
Un samedi soir ordinaire, au Mama Shelter de la rue de Bagnolet, dans le 20e arrondissement de Paris, une ambiance à part. Des grandes tablées de copains hilares qui jouxtent des dîners plus intimes. Des couples en train de se former, des hipsters qui tentent des cocktails chatoyants pendant que des cadres évacuent le stress de la semaine sur le dancefloor. Le tout dans un décor inattendu, patchwork d’univers a priori incompatibles: le mobilier chiné aux puces de Saint-Ouen voisine avec le design statutaire comme les graffitis urbains du lobby avec les bouées de plage du bar. Un alambic étrange dans lequel un mixologue inspiré jetterait au hasard divers élixirs dans l’espoir d’en tirer un mélange inédit. Au-dessus du restaurant, un hôtel qui, lui aussi, aspire à un nouvel esprit. On est très loin de l’univers traditionnel de l’hôtellerie.
Et, pourtant, depuis un an, Mama Shelter fait partie de la galaxie AccorHotels. Une association à première vue incongrue entre la néohospitalité «hip” et «hype» et le Goliath de l’hôtellerie purement fonctionnelle. La «start-up” créée par Serge Trigano, l’ancien PDG du Club Med et fils de Gilbert, son patron mythique pendant trente ans, est désormais détenue à 37% par le sixième groupe hôtelier mondial et leader européen. Et la profession imagine déjà Sébastien Bazin, le PDG d’AccorHotels, devenir seul maître à bord du concept hôtelier le plus innovant de la décennie. Au risque de l’affadir?

OUVERTURE À LOS ANGELES
Après Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux et Istanbul, le premier Mama américain a ouvert en juillet à Los Angeles. Il s’est aussitôt attiré les louanges du LA Times et du Wall Street Journal. Dans les tuyaux, les ouvertures à Lille, Toulouse, Strasbourg et, dans la capitale, peut-être bientôt une deuxième adresse, porte de Versailles. «Les élus veulent un «Mama” dans leur ville et les banquiers viennent nous voir pour investir”, rigole Serge Trigano, qui n’a pas toujours été aussi courtisé. La minichaîne terminera 2015 avec un chiffre d’affaires de 47 millions d’euros, contre 38 millions en 2014. Seul l’établissement de Marseille est à la traîne. Dans les quartiers nord, sans vue sur la mer, il fait moins rêver. Celui d’Istanbul, ouvert dès 2011 (la grand-mère maternelle de Serge venait de Turquie), souffre du climat géopolitique et de la concurrence suicidaire entre les 1700 hôtels de la ville. Pour le reste, le succès est éclatant. L’enseigne affiche un taux d’occupation moyen de 85%!
Maître d’oeuvre du Mama d’Hollywood, Benjamin, l’aîné de Serge Trigano, vit sur place, où il anime la galerie photo MB à West Hollywood, le dernier repère branché de L.A. Pour décorer les plafonds, il a fait appel à une trentaine de plasticiens locaux. Invités à improviser sur le thème inépuisable des relations avec leur mère, ils se sont vu offrir le gîte et le couvert en échange de leurs créations… Tout l’esprit Mama est là. Astuce et système D. A Paris, au démarrage, le budget était tellement serré que Philippe Starck, la star du design, partenaire dès l’origine, a dû faire du troc avec Ikea: des canapés contre des nuits d’hôtel pour les cadres du géant suédois de passage. Pour les chambres, après avoir éclaté de rire quand il a pris la mesure de la difficulté, il s’est concentré sur l’essentiel: la qualité de la literie et l’écran 27 pouces des Macs qui tiennent lieu de télé. Les clients peuvent même y regarder des films X en libre accès… quand partout ailleurs il faut payer.
Inauguré en plein marasme des subprimes et sur la vague porteuse du low cost, Mama Shelter et son positionnement «freemium” bon enfant a tout de suite trouvé son public. Clientèle d’affaires, séminaires et habitués du quartier qui viennent prendre un verre, bruncher ou fêter un anniversaire… «D’abord, ce n’est pas un hôtel, mais un lieu de fête et de vie. En rupture avec les codes de l’hôtellerie classique, qui segmente et exclut à l’infini», remarque Serge Trigano. A contrario des règles de la profession, Mama Shelter accorde autant d’importance à la restauration qu’à l’hébergement. «Les restaurants représentent 55% de notre activité. Ce sont eux qui font venir la clientèle locale, si importante pour mettre la vie et l’ambiance”, fait-il valoir.

UNE REVANCHE FAMILIALE
L’accueil n’a rien à voir non plus avec l’obséquiosité impersonnelle de l’hôtellerie classique. Les recrues ne sortent pas toujours d’écoles professionnelles. «L’attention aux autres, la tenue et la bonne humeur» constituent de plus sûrs sésames, explique-t-il. Ce qui ne l’avait pas empêché de débaucher le chef concierge du Plaza Athénée, Jean-Claude Elgaire, pour lui confier les rênes du premier Mama.
Ce projet, c’est le bébé des Trigano, même si d’autres bonnes fées se sont penchées sur le berceau. C’est aussi une revanche pour la famille. Une revanche sur le scepticisme, d’abord. «Personne n’y croyait et aucune banque n’a voulu le financer. Heureusement, les choses se sont très vite mieux passées que prévu», ironise Serge rétrospectivement – et après bien des nuits au Stilnox. Au passage, il salue le banquier des Caisses d’Epargne qui, à défaut de lui prêter les 30 millions d’euros nécessaires, lui conseille d’opter pour le statut de résidence hôtelière. Voilà pourquoi les chambres sont dotées de kitchenettes… Plus avantageux fiscalement, le montage répartit le risque sur les 100 à 150 investisseurs privés qui financent tous les établissements français. Concrètement, les chambres sont vendues par lots à des acheteurs privés, qui les louent ensuite aux actionnaires, propriétaires, eux, des parties communes. Une revanche sur le passé, aussi. PDG du Club Med, Serge s’était fait virer sans ménagement en 1997 par les actionnaires d’alors, la Caisse des Dépôts et Exor, le holding des Agnelli.
L’histoire a commencé au début des années 2000. Accompagné par ses deux fils, Benjamin et Jérémie (lui aussi établi aux Etats-Unis), et par Philippe Starck, Serge réfléchit à un nouveau concept de village vacances. Leur projet, pensé pour Marrakech, capote. Les Trigano actionnent le plan B avec Cyril Aouizerate, gourou de la rénovation urbaine qui les branche sur le quartier parisien de Saint-Blaise. Serge Trigano fait le pari que les villes constituent la nouvelle frontière du tourisme. Le Mama Shelter – baptisé en hommage à la chanson des Stones -, voit donc le jour en 2008, derrière le cimetière du Père Lachaise, à quelques encablures du périphérique. Pari osé, à l’opposé de la maxime d’or du secteur: «l’adresse avant tout”. Mais il s’agit, précisément, d’offrir un ressenti de la vie parisienne «réelle”, loin du Paris muséifié. Le Mama s’inscrit dans le grand rééquilibrage culturel qui fait fleurir l’est de la capitale. Juste à côté, se trouve La Flèche d’or, haut lieu de la scène musicale. Dans ces quartiers, le faible coût du foncier autorise des tarifs alléchants – les chambres sont aujourd’hui facturées à partir de 100 euros à Paris, 50 à Bordeaux. L’équilibre financier est atteint dès la fin 2009.

L’ALLIANCE DE LA PUISSANCE ET L’AGILITÉ
L’aventure prend désormais un nouveau tour. «Accor va nous donner les moyens d’accélérer à l’international, notamment grâce au soutien de son équipe de développeurs”, se félicite Jérémie Trigano. C’est le «factuel» – ainsi se définit-il – du trio, le CEO de l’affaire qui, après un passage chez Coca-Cola et LCL New York, a appris les ficelles de l’hôtellerie et du voyage d’affaires au sein de la grande agence américaine Altour. Avec son père, il énumère les métropoles où ils aimeraient voir Mama Shelter planter son étendard: Londres, Hambourg, Zurich, Amsterdam, Barcelone… Au total, une quinzaine de projets. «Dont neuf lancés entre 2016 et 2018, apportés par AccorHotels», confirme Cédric Gobilliard, directeur des opérations de Mercure, chargé de la mise en oeuvre des «synergies” avec Mama. Autre avantage immédiat: la puissance de frappe commerciale du groupe, via sa plate-forme de réservation en 15 langues, Accorhotels.com, que Mama Shelter a déjà rejointe, tout en conservant la sienne. Ce qui réduit le coût d’acquisition des nouveaux clients et évite d’avoir à payer les taux de commissions élevés (de 15% à 20%) réclamés par Booking ou Tripadvisor.
Pour le géant hôtelier, l’occasion aussi était trop belle. «Le groupe est une mécanique formidable pour se déployer à l’international, juge un ancien cadre dirigeant du groupe, mais ses hôtels ne font pas envie. Et les équipes ont du mal à innover sur les nouvelles tendances.” Depuis plusieurs années, AccorHotels voyait, sans riposte adaptée, arriver les concepts contemporains de ses concurrents américains, le W (Starwood), Andaz (Hyatt)… et tout récemment le citizenM néerlandais, qui, après Londres, a débarqué à Paris. Tous ont en commun de mettre le client vraiment «au centre», pas d’heure pour prendre son petit dej’ou un snack, des forfaits tout compris… Mama Shelter leur fournit la réponse appropriée, comme elle offre une parade face à Airbnb. Concrètement aussi, «l’équipe Mama nous aide à évoluer sur la restauration, à commencer par l’atmosphère ou l’éclairage de nos restaurants”, ajoute Cédric Gobilliard, également intéressé par les profils atypiques et la polyvalence des salariés Mama.
Le deal s’est noué par le truchement du financier Joël Vaturi, qui a «connecté” Trigano et Bazin. Mais l’arrivée d’AccorHotels a entraîné le départ de Philippe Starck. «Il voulait monter au capital, en fait, mais on n’a pas trouvé d’accord sur le montant”, glisse Jérémie Trigano.

LE LOUP DANS LA BERGERIE?
Arrivé en 2010, Michel Reybier (ex-Cochonou et Justin Bridou), aujourd’hui investisseur dans le vin (Clos d’Estournel) et l’hôtellerie de luxe (La Réserve), a vu sa part diluée à 25% au lieu de 30%. Quant à la famille Trigano, elle détient toujours 38%. «Avec une clause de revoyure dans quatre ans. AccorHotels n’a pas de «call” (option d’achat), les choses peuvent très bien rester en l’état», affirme Jérémie. Muet sur la valorisation retenue, il se borne à dire que l’arrivée du groupe de Sébastien Bazin a permis à la famille de se désendetter. «Ça coûtait bonbon!”
Ont-ils fait entrer le loup dans la bergerie? Non, assurent en choeur le père et le fils. «Sébastien Bazin sait très bien que, s’il instaure les méthodes Accor chez nous, ce sera la mort de Mama Shelter. Nous les aidons à mieux se positionner dans certains appels d’offre où on attend de la créativité. Mais ils n’ont jamais remis en cause notre manière de recruter ni notre autonomie”, dit Serge. Les Trigano sont d’ailleurs restés dans leurs locaux, un loft du xie, et n’ont pas rejoint Odyssey, le siège neuf d’AccorHotels. «Accor, c’est un peu comme un couteau suisse, on prend ce qui nous intéresse”, renchérit Jérémie.
Les tentations existent pourtant. Comme l’idée d’ouvrir un deuxième Mama dans l’est parisien, «stoppée net». Ou celle de recourir à la franchise pour aller plus vite à l’international. Notamment à Rio, où un projet doit être lancé en 2016. Jusqu’à présent, les Trigano s’y sont refusés pour conserver la maîtrise de leur concept. A moins de trouver une formule qui permettrait de garder le contrôle du management. Garder le contrôle, ce sera leur défi.
Accorhotels détient plus du tiers du capital
38 % Famille Trigano37 % Accorhotels25 % Michel Reybier

ILS ONT FAIT LE «MAMA SHELTER”
Alain Senderens, pape de la gastronomie tricolore, a supervisé jusqu’en avril dernier la carte des Mama Shelter. Avec son bras droit, Jérôme Banctel, le chef étoilé a revisité les classiques de la cuisine ménagère et bistrotière, coquillettes au jambon, poireaux vinaigrette, parmentier de canard, mariés au plus tendance, saumon snacké, légumes vermicelles sauce thaï… Pour leur succéder (Banctel officie à La Réserve), Jérémie Trigano rêve d’une autre pointure, tel Joël Robuchon, dont l’Atelier vient de signer la programmation culinaire du Mama d’Hollywood. Cyril Aouizerate, philosophe, spécialiste de Spinoza, et businessman, a participé, via sa société, Urbantech, au lancement de Bercy Village, de la Cité de la Mode ainsi qu’à des opérations de rénovation urbaine avec Roland Castro. Notamment celle du quartier Saint-Blaise, dans le xxe arrondissement de Paris, où le premier Mama a pris la place d’un ancien parking. Actionnaire jusqu’en 2013, il est sorti de l’affaire pour mener à bien son propre projet aux Puces de Saint-Ouen: un hôtel, le MOB (Maimonides of Brooklyn), qu’il voit comme un «monastère laïc».Philippe Starck, designer star qui doit beaucoup à l’«hospitality business”, a su se jouer des contraintes financières pour créer l’ambiance bobo-cool du Mama Shelter. Des baladeuses de chantier y font office de lampes de chevet et des bûches bombées or servent de tabourets dans le lobby. Le baby-foot, les graffitis, les bouées gonflables du bar sont devenus la signature même des Mama. Mais son contrat arrive à échéance le 31 décembre. Reste au successeur – sans doute Thierry Gaugain, déjà aux manettes au Mama d’Hollywood – à être aussi inspiré.

LES ECHOS

Partgagez

Plus d'articles

Ecrivez-nous