Confession d'une serveuse

Confession d’une serveuse

 

Quand on fait une sortie au resto, on parle beaucoup de la bouffe. On la prend en photo, on l’envoie à des amis, on essaie de la reproduire, on vante la consistance d’une sauce, la présentation d’un dessert. Et le service? S’il est bon, on s’en rend vaguement compte. S’il est mauvais, ça nous fait une histoire à raconter.

Confession d'une serveuse

Drew BARRYMORE

 

Comme ce n’est (heureusement) pas demain qu’on se mettra à instagrammer la face de notre serveur au restaurant, on a décidé de diriger la lumière des projecteurs sur le service le temps d’un article, afin de se mettre sous leur tablier quelques instants.

Valérie*, une serveuse de 25 ans qui a travaillé dans sept restaurants à Montréal et en région, a accepté de répondre à nos questions…
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C’est qui pour toi, le pire client?
Un client qui ne me regarde pas dans les yeux, qui me donne des ordres, qui claque des doigts pour avoir ses choses… Il y a aussi ceux qui changent de table plein de fois, ou qui se plaignent par exemple qu’ils n’aiment pas l’odeur de la personne à côté d’eux.

Et comment être le meilleur client?
C’est drôle à dire, mais le meilleur client va juste considérer tes déplacements, en fait. Il va commander toutes ses choses en même temps, ne pas te demander constamment un verre d’eau, du ketchup ou une fourchette; il va penser à tout. Les personnes curieuses aussi sont le fun à servir puisqu’elles ne sont pas là juste pour manger leur bouffe rapidement.

Est-ce que certains clients sont systématiquement fuis par les serveurs?
C’est un peu triste à dire, mais quand une table avec des enfants arrive, personne ne la veut parce que ça salit vraiment. Il y a aussi les clients de dernière minute; même si c’est de l’argent de plus, à une certaine heure, on dirait que tu ne veux plus de personnes parce que tu en as eu assez. Les dates ou les couples qui s’aiment trop, ce n’est pas trop nice non plus, tu ne sais jamais quand aller porter le plat… J’ai aussi vu plusieurs dates aller mal : ça n’avait pas l’air de cliquer! J’avais l’impression de sauver leur conversation quand j’arrivais, ils me posaient des questions sur ma vie et sur Montréal.

Et les pourboires?
En général, plus le prix du repas est bas, moins les clients laissent de pourboire en proportion. Le mythe voulant que les hommes soient plus généreux que les femmes est plutôt vrai, et les Américains sont ceux qui laissent les meilleurs pourboires. Par contre, je déteste quand les gens te disent qu’ils ont eu un bon service, mais qu’ils n’ont pas aimé la nourriture et donc qu’ils ne laissent pas de tip. C’est tellement frustrant! On doit déclarer 9% de pourboire même si on ne reçoit rien, donc on paie pour servir les clients finalement.

Un habitué d’un resto où je travaillais m’a laissé une carte de bon voyage quand je suis partie. Il venait tous les jours, se confiait à moi. Il y a vraiment beaucoup de monde dont les contacts sociaux sont principalement faits aux restos qu’ils fréquentent, ils s’y sentent comme chez eux.

Te fais-tu cruiser au travail? ( en Francais draguer )
Quand même souvent, ça dépend des lieux. Sans nécessairement te cruiser, certains clients insistent pour que tu t’assoies avec eux, que tu boives et que tu manges un peu… Aucun proprio ne va accepter ça, mais c’est surprenant comme beaucoup clients le demandent. Dans les restaurants vraiment chics, c’est des choses qui se font des fois, mais je n’ai jamais travaillé dans un resto avec aussi peu de tables. Alors je dois vraiment insister pour leur dire que c’est gentil, mais que je ne peux pas.

Avec les collègues, c’est vrai qu’il y a beaucoup de compétition?
Énormément. Tu fais 15% sur la facture, donc systématiquement, si tu sers moins de table, tu fais moins d’argent. Il y a donc beaucoup de vols de tables, et c’est fait de façon très subtile… Si tu vas à la salle de bain, un autre serveur peut te voler une table en proposant à des clients de changer d’endroit, en les asseyant dans sa section. Et les serveurs en question peuvent être de bons amis, mais le faire quand même. C’est épuisant. J’ai travaillé à quelques endroits où le salaire était partagé au pot [NDLR : divisé équitablement entre les serveurs] et je préférais cela. Sinon, tu finis par voir chaque client comme un montant d’argent. Tu calcules tu es rendu à combien, les autres sont rendus à combien…

Qu’est-ce qui est le plus dur dans le métier?
Je crois que les gens ne savent pas à quel point les serveurs n’ont jamais droit à des pauses. On fait des shifts de 8 heures consécutives, on n’a pas de temps pour manger. Et c’est aussi un milieu où tu paies pour tes erreurs : si des clients ne sont pas clairs dans leur commande et que le plat doit être refait, ça arrive souvent que le coût de l’assiette soit déduit du pourboire du serveur. Mais bon, il y a aussi le contact avec les clients qui peut être très plaisant, ça rend le travail plus humain, et j’adore cette partie.

Ferais-tu ça toute ta vie?
Personnellement, dès que j’ai fini mes études, j’arrête ça. Pour l’instant, je suis peut-être tannée, mais avec les pourboires, ça fait une bonne différence au niveau de l’argent comparativement à d’autres emplois. Mais je ne vois vraiment pas comment quelqu’un peut faire ça toute sa vie.

Et vous, clients de ce monde, qu’allez-vous faire lors de votre prochaine visite au resto maintenant que vous savez tout ça?

 

Urbania

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