Face aux « barbares » du Net, les hôtels contre-attaquent

Face aux « barbares » du Net, les hôtels contre-attaquent

 

En popularisant l’offre de nuitées du particulier au particulier à l’échelle planétaire, les plateformes collaboratives conquièrent de nouveaux touristes, mais font aussi de l’ombre aux professionnels « historiques » du logement touristique.

Face aux « barbares » du Net, les hôtels contre-attaquent
Airbnb, Booking, Expedia et autres plateformes ont révolutionné le modèle économique des hôteliers. À l’image du groupe Accor, les acteurs « historiques » commencent à s’organiser pour éviter de se faire « uberiser ».
Disparu, le bon vieux tableau de clés derrière le comptoir. D’ailleurs, envolé le comptoir ! Plus besoin d’y passer, la réservation confirmée en ligne permet d’attribuer la chambre à l’avance. Sauf, qui sait, pour demander à un concierge équipé d’une tablette où trouver un bon restaurant, calme et discret, dans le quartier. Mais une liste de réponses numériques sur l’application mobile de l’hôtel suffira peut-être ? Devant la porte de la chambre, on ouvre d’un geste sur son smartphone, voire d’un coup de poignet équipé d’une « smartwatch » et clic. Bienvenue à l’hôtel 3.0, formule numérique…

Un rien futuriste ? Pas vraiment. Sans aller jusqu’à l’adoption généralisée du robot-réceptionniste comme dans l’hôtel japonais Hen-na du parc à thème Huis Ten Bosch de Nagasaki, c’est bien l’avenir numérique qui se profile derrière les portes des établissements hôteliers. Les chaînes développent déjà des applications mobiles de conciergerie qui permettent non seulement de remplir sa fiche d’entrée et de sortie en ligne mais, selon les cas, d’appeler le service de chambre ou de s’enquérir des horaires d’ouverture du musée voisin. Ces nouveaux services, c’est la façon la plus visible de répondre à l’explosion des plateformes de réservation en ligne qui affectent la distribution, comme Booking ou Expedia, ou le coeur même de l’activité, comme Airbnb.

En popularisant l’offre de nuitées du particulier au particulier à l’échelle planétaire, les plateformes collaboratives conquièrent de nouveaux touristes, mais font aussi de l’ombre aux professionnels « historiques » du logement touristique.

Au Texas, « chaque accroissement de 10 % du marché d’Airbnb aboutit à une baisse des revenus de 0,37% », ont calculé des chercheurs de l’université de Boston dans une étude sur les répercussions de l’économie du partage datant de 2013 et mise à jour en mai 2015. Eux-mêmes reconnaissent les lacunes de leur analyse qui ne prend pas en compte les réservations sur d’autres plateformes et préviennent qu’il est périlleux de vouloir la généraliser à d’autres marchés. Ils démontrent surtout que les habitudes de consommation ont bel et bien changé en matière d’hébergement, même pour le tourisme professionnel. Rien d’anodin dans le fait qu’Airbnb ouvre même une page spécialisée dans le tourisme d’affaires. Après tout, l’idée originale de Brian Chesky et de son camarade d’université Joe Gebbia est née quand ils ont commencé à louer leur chambre lors d’une convention de design en Californie…

« Airbnb est un catalyseur du changement, reconnaît Olivier Petit, associé spécialiste du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration à In Extenso. Ce nouvel acteur a de toute évidence pris des parts de marché aux hôteliers. Dans quelles proportions, c’est plus compliqué à déterminer. »
Même sans pouvoir le chiffrer précisément, « l’effet Airbnb » effraie. Parmi les professionnels français du secteur, plus de huit sondés sur dix interrogés pour le forum Next Tourisme disent percevoir les plateformes collaboratives comme une menace.

La contre-offensive des hôteliers
Ceux qui le peuvent répondent en déployant les grands moyens. En France, le groupe Accor, qui a changé de nom pour devenir AccorHotels, se pose en fer de lance de la contre-offensive et a annoncé à l’automne 2014 un plan de 225 millions d’euros pour se « digitaliser » (lire pages 8 et 9 l’entretien avec Vivek Badrinath, ex-Orange devenu patron des activités numériques du groupe hôtelier présidé par Sébastien Bazin). Il n’est évidemment pas le seul à tenter de répliquer. Le numéro un mondial en nombre de chambres IHG (InterContinental), a lancé le 18 juin une série de nouveautés, comme l’installation de balises numériques dans les parties communes de l’hôtel pour envoyer des messages aux invités, tandis que Hilton teste l’ouverture des chambres par smartphone. Un autre réseau américain, Best Western, de son côté, saute sur l’occasion pour tenter une montée en gamme.

Ce qui illustre l’une des manières les plus logiques de répondre à l’irruption des nouveaux acteurs : faire évoluer le produit lui-même. Car si la concurrence entre les hôteliers les pousse déjà à innover, il leur faut aussi inventer de nouvelles raisons de faire (re) venir dans leurs établissements des voyageurs tentés par l’expérience d’un séjour « chez l’habitant ». Un peu comme les magasins « en dur » forcés de repenser leurs concepts pour continuer d’attirer visiteurs et acheteurs, les hôteliers, en particulier dans le haut de gamme, sont contraints de faire preuve d’imagination. À cette fin, certains d’entre eux déclinent depuis plusieurs mois de nouveaux concepts d’hôtels. Concepts qui adoptent tous de près ou de loin le modèle d’« hôtellerie expérientielle », décliné en boutique-hôtel et autres hôtels-concepts avec une décoration, une restauration et un service ultra-travaillés. Le Mama Shelter et sa décoration signée Stark, ses grandes tablées et ses mises en scènes désormais déclinées de Belleville à Beyoglu en est un exemple. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que cette chaîne, créée par la famille Trigano, a convaincu Accor qui en a acquis 35 % à l’automne 2014.

Si le nerf de la guerre dans l’hôtellerie reste la taille des chambres et des salles de bains, l’offre de restauration représente un point crucial. Et ce d’autant plus qu’en France, la gastronomie, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2010, est présentée comme un avantage compétitif de la France par le quai d’Orsay dans son plan de relance du tourisme (voir encadré).

En 2014, un peu plus d’un hôtel sur deux dispose d’au moins un restaurant, selon le cabinet Gira Conseil. Une ligne de revenus coûteuse, mais qui peut rapporter gros lorsqu’elle est conçue comme le coeur du produit. À propos du Mama Shelter, Olivier Petit indique ainsi : « Les chambres ne présentent aucune originalité particulière mais tout ce qui est autour, la restauration, le petit-déjeuner, l’accueil, toute l’atmosphère qui a été créée, a des conséquences positives sur le taux d’occupation. » Pour l’instant, cela reste une exception. L’an dernier, le chiffre d’affaires de la restauration hôtelière a reculé de 4 %.

2,5 milliards d’euros investis dans l’innovation
Pour d’autres, il s’agira de faire venir les professionnels en transformant les halls d’accueil en espaces de travail.

Au Normandy Hôtel, le groupe Les Hôtels de Paris prévoit d’installer le petit-déjeuner dans un lieu « réutilisable, peut-être dans une bibliothèque où l’on peut se connecter. Un lieu convivial, car les hommes d’affaires qui rentrent tard le soir n’ont pas forcément envie de se retrouver seuls dans leur chambre », expliquait au mois de février Sébastien Didelle, son directeur marketing du réseau.
À cela s’ajoutent les divertissements divers, plutôt l’apanage des maisons de luxe, il est vrai. Mais, par effet domino, ils en font toujours plus. Aussi le Ritz demande-t-il à Chanel de gérer son spa, ou bien The Peninsula organise-t-il des excursions chez les pompiers de New York…

Dans toutes les gammes, ces innovations coûtent cher. L’an dernier, d’après Atout France, les hôteliers français ont investi 2,5 milliards d’euros pour se refaire une beauté et améliorer leur service. Un chiffre en hausse de 8% dans les chaînes et 4 % chez les indépendants. Les dépenses d’investissement de capital représentant désormais 80 % du total contre 64 % quelques années plus tôt.

La rénovation ou la création de palaces à Paris constitue une part importante de cet investissement. Les patrons d’établissement ne rechignent pas à la dépense…

« Nous avons creusé le sol pour faire un spa et une piscine de 20 m de long, l’une des plus grandes de Paris », raconte Robert Cheng, directeur marketing du groupe hongkongais The Peninsula Hotels qui a ouvert un palace dans la capitale en août 2014.
Aux yeux de certains experts, le très grand luxe serait, pour l’instant, épargné par la vague collaborative.

« Il est bien plus difficile de trouver une offre haut de gamme sur Airbnb. Si je veux proposer un grand logement dans un endroit de prestige, je dois rapidement ajouter des services de conciergerie, et je finis par réinventer l’hôtel haut de gamme », note l’associé chargé de l’hôtellerie à In Extenso.
Sauf que cela ne fait apparemment pas peur au groupe Hyatt. Ce dernier se risque même directement sur ce terrain en misant 40 millions de dollars sur la plateforme Onefinestay, spécialisée dans le luxe.

L’hôtellerie (sub) urbaine de province souffre
À l’extrême inverse, du côté des catégories économiques, des hébergements comme les auberges de jeunesse et assimilés connaissent un renouveau. Avec des formules très travaillées comme l’immense St Christopher’s Inns et ses 900 chambres. Entre 2013 et 2014, les hôtels de classe économique sont ceux dont le revenu par chambre disponible a le plus baissé en France (-2%). Pas étonnant donc que, quitte à se rénover, certains hôtels déjà actifs tentent de grimper dans l’échelle de prix.

« Cela s’explique en partie par le nouveau classement hôtelier et les nouvelles obligations liées à celui-ci qui ont tiré les gammes vers le haut », nuance Christian Delom, directeur de la stratégie et des nouvelles technologies d’Atout France, l’organisation qui se charge de vérifier ce classement à la place des préfets depuis 2012.
Dans ce contexte, certains hôteliers risquent d’avoir beaucoup de mal à se défendre : notamment ceux qui ont construit leur modèle sur des coûts immobiliers peu élevés en s’installant en périphérie des villes afin de répondre principalement à la demande de la clientèle d’affaires. Ce sont eux qui se trouvent en difficultés lorsque les voyageurs professionnels limitent leurs déplacements en période de crise, ou parce qu’ils préfèrent les remplacer par des réunions virtuelles par écrans interposés (vidéo-conférences). Dans l’hôtellerie urbaine de province, une nuitée sur deux est réservée par un (e) client (e) en déplacement professionnel.

« À Paris, tous les secteurs sont dynamiques. Ailleurs en France, les hôteliers les plus dépendants des déplacements professionnels souffrent. Comment trouver des relais de croissance dans les hôtels de périphérie de deux ou trois étoiles des villes moyennes ? Qui a envie de passer des vacances ou un week-end entre un Kiabi et un Carglass, sur un parking d’hypermarché ? », interroge Christian Delom.
Pour ceux qui en ont fait une industrie, il reste peut-être à tenter l’internationalisation visant à trouver dans les marchés émergents, en Asie notamment, la croissance qui manque en Europe. Car, même si le Vieux Continent attire toujours plus de voyageurs, les membres de la classe moyenne asiatique se mettent aussi à découvrir les régions qui les entourent. À cet égard, l’acquisition de Louvre Hotel Group (Campanile, Kyriad) acheté par le chinois Jinjiang – qui vient d’ailleurs d’entrer au capital d’AccorHotels -, confirme la montée en puissance de nouveaux acteurs venus d’Asie.

Une réservation sur deux en ligne
La réponse viendra peut-être de la distribution. En la matière, l’hôtellerie a un sérieux coup d’avance sur d’autres secteurs. Près d’une réservation hôtelière sur deux s’effectue désormais en ligne. Surtout, pour organiser ses voyages, le mobile tient de plus en plus de place : près d’un Français sur trois le consulte à cette fin, d’après le cabinet spécialisé Raffour Interactif. Voyage compris, le tourisme pèse déjà un tiers des recettes totales réalisées en ligne en France, soit environ 20 milliards d’euros.

Du côté des hôteliers aussi, l’équipement a changé. Qu’il semble loin le temps où les réservations d’hôtels s’inscrivaient sur des fiches cartonnées, à la main. Ce qui n’empêche pas bien sûr, de « vieilles » techniques de perdurer. « Selon les saisons, 5 ou 10% des réservations étaient annulées à la dernière minute. Or, une chambre vide coûte beaucoup trop cher, il vaut donc mieux brader le prix. Une partie des chambres étaient donc “surréservées” puis louées à prix réduits », se souvient ainsi une ancienne salariée de la chaîne Novotel qui y travaillait à la fin des années 1970. Près de quarante ans plus tard, l’hôtellerie dégriffée existe plus que jamais. Mais, le taux d’occupation peut désormais se prévoir de façon bien plus fine, grâce à ces fameux algorithmes prédictifs qui envahissent tous les pans de l’économie.

Ainsi, les outils de « gestion fine » se démocratisent. Ces logiciels permettent d’adapter à l’hôtellerie les techniques adoptées d’abord dans l’aviation, qui visent à optimiser le remplissage.

« Aujourd’hui, pour la somme de 10.000 ou 15.000 euros, vous trouvez des solutions accessibles, note un expert du secteur. Mais pour les traiter, il faut embaucher du personnel. Les petits hôtels indépendants pourraient partager des postes, mais ils rechignent à le faire de crainte d’échanger trop de données sensibles sur les prix », ajoute-t-il.
Signe, une fois encore, que les chaînes sont clairement mieux positionnées pour se battre. En France, elles détiennent désormais la moitié des chambres disponibles, qui sont souvent plus fréquentées, d’après l’Insee. Pour elles, l’enjeu tient dans la « désintermédiation » afin de reprendre le contrôle de leur distribution. C’est ce que tente, par exemple, de faire AccorHotels.

Dès lors, il est moins question de gérer les murs des hôtels, voire du service à l’intérieur de celui-ci, que de communication avec les clients. Soigner les photos afin de les partager sur Instagram, répondre aux critiques des clients sur Twitter ou TripAdvisor, remplir le contenu des applications d’e-conciergerie… Plus de comptoir, peut-être, mais beaucoup de nouvelles tâches en perspective pour les grooms du futur. À moins qu’eux aussi ne finissent par se faire « uberiser ».

Par Marina Torre

http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/tourisme-loisirs/face-aux-barbares-du-net-les-hotels-contre-attaquent-491969.html

 

 

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